« Va chercher, Tobo ! »
Tobo s’élança à la poursuite du bâton. Il le trouva bientôt, entre les herbes folles ; il le saisit dans sa gueule, puis galopa sur le chemin du retour pour le remettre à Tobie. Le garçon le récompensa d’une caresse. Puis il passa le bâton à Sara.
« Tu veux essayer ?
- Va chercher, Tobo ! »
Encore une fois, il se mit à courir derrière le bâton. La jeune fille l’avait lancé plus loin encore que Tobie ; ce ne fut qu’après de longues minutes que le chien put refermer ses crocs sur sa proie. Enfin, il remit fièrement son trophée à la fille de Ragouël.
« Je peux le caresser ?
- Il serait déçu si tu ne le faisais pas. »
Alors Sara approcha sa main de la tête de Tobo. Il la regarda en remuant la queue. Enfin, timidement, elle posa sa paume sur sa fourrure et la fit glisser de haut en bas.
Azraël, qui les observait depuis le toit, cracha de dégoût. Pourquoi Tobo avait-il droit à tout ? Ce n’était pas juste !
Un peu plus tard, alors que Sara cueillait des plantes dans son carré d’herbes médicinales, Tobie prit la parole.
« Sara, je… Voilà : ça ne fait pas très longtemps que l’on se connaît, mais je repars demain et je n’ai pas du tout envie de te quitter. Voudrais-tu venir avec moi ? »
Sara se figea.
« Venir… avec toi ?
- Oui. Je t’aime, et il me semble que je ne te suis pas indifférent. Alors si tu acceptes, je demanderai ce soir ta main à ton père. »
En entendant ces mots, elle blêmit, laissa tomber ses plantes et recula d’un pas.
« Non. Non, Tobie, oublie-moi, c’est mieux. »
Et elle se précipita vers la maison.
Sentant son maître décontenancé, Tobo s’approcha de lui pour lui apporter du réconfort. Machinalement, Tobie caressa son chien en regardant dans le vide.
« Je ne savais pas que je la répugnais à ce point-là », prononça-t-il lentement.
Des larmes commençaient à rouler sur ses joues. Il ne s’était pas rendu compte d’à quel point il était amoureux de cette cousine.
« Tu ne la répugnes pas », fit une voix de l’autre côté de la clôture.
Une voisine le regardait, amusée.
« Sara est maudite. Elle a déjà eu sept maris, et ils sont morts dans leur chambre nuptiale : ils ont succombé la nuit même où ils voulaient s’approcher d’elle. On dit même que c’est un démon qui les tue. Si tu la prends pour femme, nul doute que tu y passeras toi aussi. »
Et sur un petit rire méprisant, la voisine retourna à ses occupations.
Invisible, celui qui se faisait appeler Azarias avait entendu la conversation. L’être avait passé la nuit et la matinée à chercher Asmodée ; il avait bien obtenu la preuve que le démon logeait chez Sara, mais il restait bien caché. Aucun moyen de le tirer de son trou pour le combattre et le vaincre. Il s’était obstiné pendant des heures et des heures ; alors que pourtant, la solution se trouvait juste devant ses yeux ! Était-il obtus d’être passé à côté d’une telle évidence ? Il laissa tomber son manteau d’invisibilité et, à grandes enjambées, rejoignit Tobie.