II.7 Azraël

Notes de l’auteur : La prière de Tobie est copiée-collée du texte biblique

Azraël se glissa juste derrière Tobie dans la chambre nuptiale. Il élut domicile sur un pouf et fit semblant de dormir en surveillant les opérations. Pas qu’il fût particulièrement attaché à Tobie, mais si Asmodée le tuait, ce serait un nouveau coup pour Sara. Et puis, si l’un des coups perdus dont parlait Azarias touchait son humaine ?

Heureusement, Tobie fit exactement ce qu’Azarias lui avait dit. Il sortit de sa besace le foie et le cœur du poisson et les disposa dans le brûle-parfums. Les organes avaient un peu séché, mais grâce au sel, ils restaient tout de même bien conservés. Lorsqu’il alluma le feu, une délicieuse odeur de poisson grillé monta jusqu’aux narines d’Azraël. Ah, il devait résister pour ne pas se jeter dessus !

« Es-tu sûr que cela suffira ? demanda Sara, toujours inquiète.

- Ayons confiance en Dieu, ma chérie. Tu permets que je t’appelle ma chérie ? »

Elle sourit doucement. Puis, la seconde qui suivit, les larmes resurgirent.

« Oh, Tobie ! Ce serait terrible si tu mourais, plus encore que les autres. Les premiers hommes que j’ai épousés, je les appréciais cordialement ; les suivants, c’étaient les rares qui acceptaient encore de prendre le risque, car ils lorgnaient sur la fortune de mon père. Et le dernier était un Assyrien que l’on a poussé dans mes bras dans l’espoir de s’en débarrasser. Mais toi, je t’aime de tout mon cœur et de toute mon âme, tu es le seul que j’ai aimé à ce point. Si tu venais à mourir, toi aussi… »

Tobie la prit dans ses bras pour la consoler maladroitement. Elle finit par se calmer, ou plus exactement – Azraël la connaissait trop bien pour s’y laisser prendre – par rétablir une façade stoïque autour de son angoisse abyssale. Puis il lui chuchota à l’oreille quelque chose qu’Azraël n’entendit pas, mais après cela, ils s’agenouillèrent tous les deux pour prier.

 

« Béni sois-tu, Dieu de nos pères ; béni soit ton nom dans toutes les générations, à jamais. Que les cieux te bénissent et toute ta création, dans tous les siècles. C’est toi qui as fait Adam ; tu lui as fait une aide et un appui : Ève, son épouse. Et de tous deux est né le genre humain. C’est toi qui as dit : “Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui soit semblable.” Ce n’est donc pas pour une union illégitime que je prends ma sœur que voici, mais dans la vérité de la Loi. Daigne me faire miséricorde, ainsi qu’à elle, et nous mener ensemble à un âge avancé. »

Puis ils dirent d’une seule voix : « Amen ! Amen ! »

 

Le moment était venu de voir si les protections d’Azarias s’étaient avérées efficaces. Sara, après s’être relevée, enleva sa robe d’un geste décidé qui ne servait qu’à cacher sa détresse. Elle espérait terminer les choses au plus vite, de se retrouver soit mariée, soit veuve, mais pas dans cette incertitude terrible. C’était sans compter sur le fait que Tobie, lui, se mariait pour la première fois. Alors, quand il vit sa toute nouvelle épouse nue, il se figea. Elle était si belle ! Et en même temps, c’était si gênant !

« Je t’en prie, Tobie, finissons-en. »

Il acquiesça machinalement et enleva lui aussi ses habits. Alors, Asmodée apparut. Il était toujours grand et noir et cornu et pourvu de deux ailes rouges. Mais dès qu’il sentit la fumée du cœur et du foie du poisson, il vacilla.

« Qu’est-ce que c’est que ce… »

Azraël, doucement, pour ne pas déranger les humains, s’approcha du démon.

« Va-t-en, Asmodée », grogna-t-il entre ses dents.

Et du bout de la patte, il rapprocha le brûle-parfums.

Alors, Asmodée sembla se décomposer. Sa carapace noire fondait, ses cornes blanches se ternissaient, ses ailes rouges se craquelaient. Il tenta néanmoins de faire un pas vers Tobie. Mais Azraël, tout aussi impatient que son humaine, sauta sur le démon, griffes en avant, et le fit basculer par la fenêtre.

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