Asmodée s’écrasa sur le sol. Aussitôt, Azarias déploya ses propres ailes et se jeta sur lui. La force de son énergie était telle qu’il brillait de mille feux ; on aurait dit que c’était la lumière elle-même qui maintenait le démon contre le sol. Mais la créature des ténèbres n’était pas dépourvue de puissance pour autant. D’un coup de griffe, il produisit un arc de feu qui frappa son ennemi de plein fouet, l’obligeant à reculer. Il ne réussit pas à se remettre debout, mais put au moins se redresser pour préparer sa prochaine attaque.
Tobo était aux premières loges. Le guide de Tobie n’était décidément pas celui qu’il prétendait être. Azarias fils d’Ananias, mon œil ! Comment un simple Israélite aurait-il pu se pourvoir d’une paire d’ailes azur, s’entourer d’une aura de lumière d’or, ou tenir tête au plus puissant des démons ?
Mais il ne devait pas se laisser déconcentrer. Il était le rempart de cette maison, il était celui qui devait empêcher les voleurs et les démons de s’en prendre à son maître ou à ses hôtes. Ils ne passeraient pas !
Un éclair de lumière venu du ciel frappa Asmodée de plein fouet. Il était si puissant que le sol s’ouvrit sous ses pieds, et que l’herbe noircit sur un rayon de plusieurs mètres. Asmodée, lui, se releva comme si de rien n’était. Il leva les mains et une épaisse fumée rouge sortit du trou dans le sol, enveloppant son adversaire céleste des pieds à la tête. Mais celui-ci balaya la fumée d’un revers de la main, et elle s’éparpilla dans toutes les directions.
Tobo redressa les oreilles. Sur les petits fragments de fumée, l’un d’eux se dirigeait droit vers la fenêtre du rez-de-chaussée ! Hors de question de la laisser entrer. Le chien banda ses muscles et sauta à pattes jointes sur le nuage. Aussitôt, il fut pris de nausée, de vertiges et il commença même à voir des taches de lumière danser devant ses yeux. Tout cela pour un simple petit nuage, alors qu’Azarias avait encaissé toute la fumée sans sourciller ! Tobo ne pouvait s’empêcher de se sentir médiocre comparé à lui. Il s’allongea sur le sol le temps de récupérer.
Lorsqu’il eut repris ses esprits, il put voir qu’Asmodée avait encore perdu du terrain. Le démon, auparavant grand et imposant, n’était plus qu’un être de la taille d’un enfant, de couleur grisâtre, dépourvu de ses cornes et aux ailes chétives. Azarias avait faibli, lui aussi. Mais le vainqueur du combat ne faisait désormais aucun doute. Asmodée tenta une dernière attaque.
Mais le bienfaiteur de Tobie fit apparaître une longue corde de lumière et enchaîna le démon.
« Tobo ! »
Le chien releva la tête. Azraël, du haut de la fenêtre, essayait d’attirer son attention.
« Tobo, derrière toi ! »
Il se retourna. Et un frisson de terreur le traversa. La dernière attaque d’Asmodée n’était pas tombée à l’eau. Une crevette géante venait de bondir hors d’un buisson et se dirigeait à présent vers la chambre de Sara et Tobie.
Azarias n’était plus là. Il s’était vraisemblablement téléporté avec Asmodée pour l’enfermer Dieu savait où. Azraël avait l’air épuisé. Le chat avait dû se bagarrer avec une poignée de mauvais sorts que lui-même n’avait pas pu bloquer. Et puis, que pouvait faire une petite bête comme lui contre un monstre aussi imposant ? Il n’y avait pas le choix. Lui seul pouvait le faire. Il se ramassa sur lui-même et bondit le plus haut qu’il put.
Ses crocs se refermèrent sur la queue du crustacé. Il serra le plus fort possible tandis qu’il retombait, il ne devait pas lâcher sa prise, surtout pas ! Le bestiau faisait presque la moitié de sa taille, il donnait des coups de pattes dans tous les sens et il puait la charogne de mer. Tobo retomba lourdement sur le dos, serra la mâchoire de toutes ses forces, ne pas lâcher, ne pas lâcher ! Mais il faiblissait rapidement. L’effet de la fumée rouge ne s’était pas totalement estompé, et la crevette était un pur condensé de magie démoniaque.
Quand soudain, le démon rose cessa totalement de se débattre.
Tobo releva la tête. Au-dessus de lui, perché sur le rebord de la fenêtre, Azraël le regardait. Il avait l’air d’un chat qui venait de faire tomber quelque chose par terre. Et précisément en dessous de la fenêtre, à quelques mètres à peine du cadavre de la crevette, se trouvait, ouvert et cabossé, le brûle-parfums de Sara qui contenait encore les cendres du cœur et du foie du poisson.
La fumigation avait eu raison de la crevette abominable.