De Léa, fille de Laban
À Laban, fils de Béthuel
Paddan-Aram, banlieue d’Ur
Cher papa,
Je ne veux pas te faire de reproches, car je sais que tu agis toujours au mieux, mais je ne peux m’empêcher de souhaiter que Rachel n’ait pas épousé Jacob. Pendant la semaine qui a suivi notre mariage, mon mari a accompli son devoir conjugal ; mais dès que tu as accepté de lui céder Rachel aussi, il s’est détourné de moi. Le temps qu’il ne passe pas auprès de tes moutons à rembourser la dot de Rachel, il l’occupe à la cajoler et la câliner de tout son être.
Toutefois, la semaine que mon mari a bien voulu me concéder s’est avérée fructueuse. Cher papa, j’ai la grande joie de t’annoncer que je suis enceinte, cela est à présent certain. Peux-tu, s’il te plaît, prier le dieu de nos pères pour que ce soit un fils ? Ainsi, peut-être Jacob m’aimera-t-il un peu mieux.
Pardonne cet étalage de sentiments impurs, et accepte les chaleureux baisers de
ta fille, Léa
* * *
Jacob et Léa
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils aîné :
Ruben
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Bilha retrouva Zilpa au lavoir. Toutes deux étaient chargées de draps tachés, d’excréments pour Zilpa, de sang pour Bilha.
« Il y en a partout, soupira Zilpa. Le petit réussit toujours à enlever ses langes. C’est infernal.
- C’est que tu ne les attaches pas bien, lui répondit Bilha. Si seulement je pouvais mettre des langes à ma maîtresse quand elle a ses règles.
- Toujours pas enceinte ? Pourtant, au vu du temps que notre seigneur Jacob passe avec elle… La mienne rêverait d’avoir ne serait-ce que la moitié de l’attention qu’il lui porte.
- Et Rachel n’a de cesse de prier pour avoir un enfant, comme Léa, termina Bilha. L’herbe est toujours plus verte ailleurs, dit-on. »
Après avoir mis les draps à sécher, Zilpa retourna auprès de sa maîtresse. Léa avait l’air sombre.
« Je lui ai donné un fils, et pourtant, il me préfère toujours Rachel, se plaignit-elle pour la quatrième fois de la semaine.
- Veux-tu que je boucle tes cheveux, et que je te parfume de ce nard que t’a offert ta tante ?
- Crois-tu que cela suffira à le ramener dans mon lit ?
- Rachel est en état d’impureté, maîtresse, répondit Zilpa. Tenu à l’écart de sa belle, ton seigneur Jacob sera peut-être plus réceptif à tes avances. »
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Jacob et Léa
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils :
Siméon
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De Rachel, fille de Laban
Paddan-Aram, banlieue d’Ur
À Rebecca, fille de Béthuel
Beer-Shéba, pays de Guérar
Ma chère tante,
Je me permets de t’écrire cette lettre pour solliciter tes conseils avisés. Pardonne mon audace, car je ne t’ai jamais rencontrée pour accomplir envers toi mes devoirs de belle-fille ; mais si jamais tu voulais me pardonner de ce manquement de ma part, peut-être auras-tu un mot pour une jeune femme dans une triste situation.
Tu sais que j’étais promise à ton fils Jacob, mais que mon père Laban l’a forcé à épouser en premier lieu ma sœur Léa. Tu sais aussi que Jacob m’a prise moi aussi comme épouse, en échange de sept nouvelles années de travail pour mon père. Léa est devenue sa femme par fourberie, et non par entente préalable. Heureusement, ton fils sait à qui va son amour ; mais je crains que les dieux de nos pères n’en aient après moi d’une façon ou d’une autre, car après plus d’un an de mariage, je ne suis toujours pas enceinte. Léa, de son côté, a déjà donné deux fils en parfaite santé, et elle en porte un troisième. N’est-ce pas injuste ?
Toi-même, me suis-je laissé dire, tu es passée par les affres de l’infertilité. Saurais-tu me conseiller sur la meilleure manière de faire naître un enfant en mon sein et d’accomplir enfin mon devoir d’épouse ?
Je te remercie par avance pour toute réponse que tu pourrais m’apporter.
Sincèrement tienne,
Rachel
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Jacob et Léa
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils :
Lévi
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Jacob berçait doucement sa belle qui sanglotait faiblement.
« Que sont les enfants, ma douce, quand tu as mon amour ? Jamais je ne te renverrai, je te le promets.
- J’aimerais tellement pouvoir être une bonne épouse pour toi, hoqueta Rachel entre deux sanglots.
- Allons, ce n’est pas de ta faute si ton ventre est stérile.
- Oh, tais-toi ! Et laisse-moi tranquille. »
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Jacob et Léa
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils :
Juda
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« Maman, maman ! »
Léa sourit à son fils aîné. Ruben, qui allait sur ses quatre ans, jouait avec le chien. Puis Juda se mit à pleurer et elle dénuda sa poitrine pour l’allaiter.
« Zilpa ? Donne leur bain à Siméon et Lévi. »
La servante hocha la tête et emmena les deux enfants. Léa laissa Juda terminer sa tétée tout en surveillant Ruben du coin de l’œil.
C’est alors qu’arriva Rachel. L’air insouciant, elle effleurait une marguerite : il m’aime un peu, beaucoup, passionnément… Quelle injustice ! Cela faisait quatre ans qu’elle avait donné naissance à Ruben, elle avait eu trois autres fils, et pendant ce temps, il préférait toujours Rachel. Alors que celle-ci ne faisait que fôlatrer dans les prés fleuris !
« Dis-moi Rachel, accepterais-tu de me prêter ta servante pour préparer le repas ? Zilpa et moi sommes accaparées par les enfants. Toi-même, tu n’as pas besoin de son aide », ajouta Léa d’un ton plus acide que prévu.
Rachel foudroya sa sœur du regard. Pendant une petite heure, Jacob avait réussi à lui faire oublier la malédiction qui affligeait son ventre ; et voilà que Léa la lui rappelait cruellement.
« Bilha est à moi. Si tu voulais du temps libre, tu n’avais qu’à pas pondre autant d’enfants ! »
Et elle se précipita dans sa tente afin d’y pleurer tout son soûl.
Jacob la rejoignit quelques minutes plus tard.
« Tout va bien, Rachel ?
- Fais-moi un enfant ou je meurs, parvint-elle à articuler au milieu de ses larmes.
- Suis-je à la place de Dieu qui t’empêche d’avoir des enfants ? »
Rachel n’en pouvait plus. Soudain, elle repensa à ce que Léa lui avait demandé, et à ce qu’elle avait répondu. Elle se leva, prit sa servante par le bras et la traîna devant son époux.
« Voici ma servante Bilha ! Aie des relations avec elle, et que par elle, un enfant naisse sur mes genoux. »
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Jacob et Rachel
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
issu de la servante Bilha :
Dan
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Léa regardait tristement son époux aux côtés de sa sœur. Les deux tourtereaux jouaient avec le petit Dan, un adorable bambin dont les boucles noires rappelaient celles de Bilha. La rusée Rachel avait réussi à contourner son affliction pour donner malgré tout un fils à leur mari. Sa servante était d’ailleurs enceinte d’un deuxième enfant.
De son côté, Juda avait fait ses premiers pas quelques semaines auparavant. À présent, Zilpa s’affairait à le faire marcher toujours plus loin. Les aînés, Lévi, Siméon et Ruben, jouaient à chat.
Léa espérait un cinquième garçon, mais pour l’instant, c’était en vain. Jacob était allé vers elle deux ou trois fois depuis la naissance de Juda, sans que son ventre ne se soit arrondi.
Soudain, elle eut une idée. Mais oui ! Puisque Rachel utilisait Bilha, Léa allait faire de même.
« Zilpa ? Quand seras-tu fertile ?
- La semaine prochaine, répondit la servante.
- Très bien. La semaine prochaine, tu iras vers Jacob. »
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Jacob et Rachel
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
issu de la servante Bilha :
Nephtali
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Jacob et Léa
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
issu de la servante Zilpa :
Gad
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Jacob et Léa
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
issu de la servante Zilpa :
Asher
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De Jacob, fils d’Isaac
À Laban, fils de Béthuel
Paddan-Aram, banlieue d’Ur
Cher et estimé beau-père,
Le troupeau que tu m’as confié, constitué au départ d’une dizaine de moutons, compte à présent cent quatre brebis, dix-huit béliers, quatre-vingt-quatorze chèvres et vingt-et-un boucs. J’ose espérer que tu n’es pas mécontent de mes services.
Le mois prochain, cela fera quatorze ans que je suis à ton service. J’aurai ainsi achevé de payer la dot de ta fille Rachel, celle qui m’était promise en premier lieu, avant que tu ne décides de me donner Léa et de doubler ainsi les années que je te devais.
À présent que les voilà écoulées, quel sera mon salaire ? Tu n’as plus de filles à me donner, et du reste, je n’en veux pas d'une troisième.
Veuille agréer l’expression de mes salutations respectueuses,
Ton gendre, Jacob
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De Laban, fils de Béthuel
À Jacob, fils d’Isaac
Paddan-Aram, banlieue d’Ur
Mon cher Jacob,
Tu as tout-à-fait raison dans ton décompte : les dots de Léa et de Rachel sont payées. D’autre part, je vois que tu fais prospérer mon troupeau. Que dirais-tu de recevoir une partie du fruit de tes efforts ? Sur toutes les bêtes qui te sont confiées, je te laisserai prendre celles dont le pelage est rayé, tacheté ou marqueté d’une quelconque façon. Je garderai celles qui sont d’un blanc pur. Cet accord te convient-il ?
Quant à mes filles, j’espère qu’elles te donnent entière satisfaction. Cependant, j’ai entendu dire que tu passais tout ton temps avec Rachel. Léa, pourtant, a enfanté quatre fils, et il ne tient qu’à toi qu’elle t’en donne davantage. Pourquoi gaspiller ta semence dans une femme stérile ? Ceci n’est qu’un conseil d’homme à homme, sens-toi libre d’agir comme bon te semble avec tes épouses.
Veuille agréer l’expression de mes sentiments distingués,
Laban
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De Laban, fils de Béthuel
À ses fils Raphaël, Joseph et Amnon
Paddan-Aram, banlieue d’Ur
Mes chers fils,
Demain est le jour où il vous faut tondre les moutons. Vous prendrez tous les troupeaux, y compris celui de Jacob, à qui je compte donner un jour de congé.
Lorsque la tonte sera terminée, vous aurez soin de prendre avec vous toutes les bêtes rayées, tachetées ou marquetées d’une quelconque façon. Vous ne laisserez à Jacob que les chèvres et les brebis d’un blanc pur, sans aucune marque. Bien malin qui réussira à obtenir des chevreaux tachetés en faisant s’accoupler deux animaux immaculés ! Ainsi, mon héritage vous reviendra entièrement, et le fils de ma sœur ne prendra pas votre part.
Je compte sur vous,
Laban