II. La visite

Par BAEZA

Maman et moi, avons grimpé les trois étages de l’immeuble en empruntant l’escalier de pierre blanche ; l’ascenseur, s’il avait existé, nous aurait sans doute été utile.

 

Un peu essoufflé, j’ai sonné à l’appartement 31, situé immédiatement à droite du troisième palier.

 

Maman essayait de réajuster sa veste blazer grise, un peu déstructurée depuis l’ascension, tandis que nous entendions les pas du propriétaire approcher.

 

Un géant gonflé comme un dirigeable nous entrebâilla la porte :

 

  • Madame Granjean ? demanda-t-il à ma mère, avec une petite voix de souris toute douce.

 

Un peu étonnée par le contraste entre le son et l’image, maman ne répondit pas tout de suite.

 

  • Maman … ? Finis-je par lancer, pour la sortir de sa léthargie hypnotique.

 

  • Euh, pardon, répondit-elle en sursaut, oui je suis bien Madame Granjean, ….

 

Le bibendum sembla acquiescer de son menton en forme ballon de basket, et me fixa alors sans dire un mot.

 

  • Et euh, voici mon fils, Cédric, finit par comprendre ma mère, nous venons visiter cet appartement pour lui. Parce qu’il vient de trouver un travail dans cette ville.

 

  • Eh bien, bonjour Madame Granjean, et bonjour jeune Cédric, répondit-il d’une voix plus conforme à sa dimension, veuillez entrer. Je vais vous faire visiter ce très bel appartement.

 

Nous avons suivi le géant le long du couloir aux murs blancs et au parquet verni, tandis qu’il nous présentait tour à tour chacune des pièces.

 

  • La chambre … , un peu plus loin,  la salle de bain, le petit coin, à gauche la kitchenette, et au fond, un petit salon très cosy, avec une très belle vue.

 

Maman et moi, découvrions en même temps la très belle vue en question, qui donnait sur …

 

  • Le cimetière ? Oh, mais ne vous inquiétez pas, ses habitants ne vous dérangeront pas …

 

  • Un cimetière, mon Dieu ! Déclara ma mère, émue.

 

  • Ben oui, il faut bien les mettre quelque part, vous comprenez … , et puis c’est très tranquille et plutôt fleuri en saison.

 

  • Mais, c’est totalement déprimant !

 

  • Mais non, voyons.

 

  • Mais si !

 

  • Allons, maman, ce n’est si grave, dis-je pour trancher, je ne passerai pas mon temps à regarder par la fenêtre.

 

  • Tu es sûr, mon chéri ?

 

  • Mais oui.

 

La baudruche resta quelques instants en suspension, avant de nous questionner :

 

  • alors, comment trouvez-vous cet appartement ?  Il vous plait ? Vous le prenez ?

 

  • Pour 800 euros ? Déclara ma mère, inquiète.

 

  • Oui, charges comprises.

 

  • C’est cher, … 650 !

 

  • Ah, non madame. Je ne peux pas.

 

  • 700 ?

 

  • Non, ce n’est pas possible, vous ne savez pas combien de candidats attendent après  votre visite ?

 

  • 750 ! Il n’y a pas d’ascenseur, la vue sur le cimetière est terrifiante et le quartier est mal famé.

 

  • Mal famé ?

 

  • Exactement, j’ai vu des clochards aux mines patibulaires qui rodaient au bas de l’immeuble.

 

Le gros bailleur sembla hésiter, et finalement se décida à accepter notre offre.

 

  • C’est bien parce que vous m’êtes sympathiques ! Je vous envoie le contrat. Quand désirez-vous commencer la location ?

 

  • Mon fils débute son travail le 1er du mois prochain.

 

  • Eh bien, c’est entendu.

 

Le Géant nous raccompagna jusqu’à la porte, en se frottant les mains ; je me demande encore si ce n’était pas là un signe.

 

Nous nous sommes retrouvés, maman et moi, devant les escaliers que nous devions redescendre comme nous les avions montés.

 

J’avais enfin trouvé mon premier nid douillet, premier symbole de mon indépendance, pour le meilleur et pour le pire.

 

 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez