Cher journal, la guerre ne s’arrête pas. Les Philistins ont dans leurs rangs un géant qu’aucun guerrier n’arrive à vaincre. Papa a promis richesses et honneurs à celui qui réussirait à l’abattre. Il a même parlé de lui donner la main d’une de ses filles. Mérab, je suppose. Après tout, c’est l’aînée.
En plus, papa a commencé à avoir des migraines. Les médecins n’arrivent pas à les soulager. Je suis sûre qu’il s’agit d’une punition divine. J’ai voulu parler à Samuel, mais il est parti pour quelques jours. Ô Éternel, veille sur mon père !
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Cher journal, les médecins ont trouvé un remède contre les migraines de papa. Il a fait venir un harpiste, un berger de Bethléem, et la musique apaise ses maux.
Je l’écoute tout en tissant. J’aime sa musique.
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Cher journal, tu ne vas pas le croire : le bruit court que Goliath a été tué ! J’ai surpris Athaliah, la servante de maman, en train d’en parler avec ma nounou. Je n’ai pas réussi à en savoir plus, parce que maman m’a surprise et m’a réprimandée. Apparemment, cela ne se fait pas d’écouter les ragots.
Cinq minutes plus tard, Mérab est accourue dans ma chambre.
- Mikal, Mikal ! Tu sais quoi ? Israël est délivré, le géant a été tué !
- Tu sais le nom du vainqueur ?
- Quelle importance ? Il faut qu’on se prépare pour la fête. Nounou a sorti nos plus belles robes. Tu penses que je devrais mettre mon collier ?
Mérab est tellement futile ! Un jeune homme héroïque va arriver au palais, et elle ne pense qu’à son apparence ? Moi, je suis postée à la fenêtre à le guetter. Je veux être la première à l’apercevoir !
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Ça y est ! Cette intense journée est enfin terminée. Je vais essayer de résumer tous les événements.
Le vainqueur de Goliath s’appelle David, fils d’Isaï. C’est un très jeune homme, qui ne paie pas de mine au premier abord. Il n’est même pas guerrier : il s’occupe du troupeau de son père, aux alentours de Bethléem. C’est aussi lui qui joue de la harpe pour soulager papa. Il se trouvait sur le champ de bataille uniquement parce qu’il était venu apporter leur repas à ses frères aînés. Là, il a entendu parler de Goliath, et il s’est porté volontaire pour l’affronter. Il n’avait même pas d’épée, même pas d’armure, simplement sa fronde. Et il l’a vaincu ! J’admire son courage.
Physiquement, il est petit, roux, et il n’a presque pas de barbe. Je lui donnerais dix-sept ans. Il n’était vêtu ni des riches atours que portent nos frères, ni des solides cuirasses des soldats. Une tunique, un pantalon, un gilet et des guêtres de laine étaient ses seuls vêtements. Il n’était pas bien lavé non plus, encore couvert du sang de Goliath, de la poussière des chemins, et il sent le bouc. Mérab a plissé le nez de dégoût – geste que, je dois dire, je trouve particulièrement vulgaire et déplacé. Doit-on vraiment juger le fils d'Isaï à son allure ? Il a tué le géant des Philistins d'une simple fronde et il joue de la harpe comme s'il était un ange du Seigneur ! Que sont ses vêtements poussiéreux à côté de cela ?
Au cours d'une belle cérémonie, devant tous les prêtres et les conseillers et les gens du palais, David a remis la tête de Goliath à papa. Je ne sais pas trop ce que papa va en faire. L’empailler et l’afficher au-dessus de la cheminée, comme il fait avec ses trophées de chasse ? La faire bouillir et nous la servir à dîner ?
Je m’égare. David a remis la tête de Goliath à papa, qui lui a en échange donné une bourse remplie de pièces d’or, ainsi que le commandement d’une unité de soldats pour aller attaquer les Philistins restants. Puis nous nous sommes enivrés de nourritures, de danses, de musiciens et de chants à la gloire de Dieu.
Il n’a pas encore été question de mariage. Mérab n’a pas l’air d’apprécier plus que cela le nouveau héros du peuple. Elle ne veut pas d’un petit berger sale et malodorant. Comme s’il allait rester berger, sale et malodorant maintenant qu’il a reçu les honneurs du roi d’Israël ! Mais je ne vais pas me plaindre de la réaction de ma sœur. Si elle ne veut vraiment pas de David… cela veut peut-être dire que j’ai une chance ?
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Je n’y crois pas. Je viens de les apercevoir, dans le jardin. David, et… Jonathan. Ils ont l’air très proches, pour des gens qui viennent de se rencontrer, vraiment très proches. Jonathan lui a même donné son manteau et son épée. Mon propre frère !
Il faut que je me calme. Et alors, si Jonathan a eu le coup de foudre pour David ? Qu’est-ce que ça peut me faire ? Jonathan n’est pas une menace. Papa a promis au vainqueur de Goliath la main de sa fille. Pas de son fils. Il reste un bon paquet de millénaires avant qu’on n’autorise le mariage entre deux hommes. Donc ce sera, ou bien Mérab, ou bien moi. Et je compte bien faire en sorte que ce soit moi. De toute façon, je ne serai pas la seule femme de sa vie. Il aura des épouses, des concubines, des amantes. Alors pourquoi ferais-je une crise de jalousie s’il a des sentiments pour mon frère ?