II. — XII. — À VALA

Ils l’ont amenée au cœur de la nuit.

Le ciel grondait au-dehors. Un orage lointain. Une pluie légère. Le rideau de la geôle remuait sous le vent, paresseux dans la lourdeur de sa laine brune.

Un geste, las et usé, a soulevé la tenture humide dans un soupir. L’ouverture, ainsi nue, a révélé deux ombres Astrusques. À leurs côtés irradiait le fruit incertain de l’humain et du feu. Je ne pourrais le décrire autrement. Je ne voyais qu’elle ; une lumière qui épaississait les ténèbres épousées à sa silhouette. Mon œil astral croyait contempler le cœur palpitant d’une étoile. Jamais, je n’avais rencontré une telle présence. Elle ne ressemblait en rien à l’imperium Valain, à la vieille sophia Rhocquaise ou à la Nuit d’Astrurie ou d’Ys. Elle m’apparaissait de tout autre nature. Impétueuse, gorgée d’une énergie sauvage. Incertaine, inconsciente de l’éphémère. Une poche de soleil. Un miroir d’étoile. Je la jugeais à la fois plus terrible et plus frêle à la Nuit.

Un fragment de conversation a pris sens dans ma mémoire ; un mot incompris a cheminé vers son équivalence Valaine. Ignit. Cette femme inconnue, prisonnière aux mains des Astrusques, sur leurs propres terres, était une Ignit. Je la rencontrais fort loin de son peuple.

Par ailleurs, la réciproque n’en est que plus vraie.

Une terrible résignation emplissait son regard aux teintes agitées. L’or, le carmin et l’azur se disputaient l’iris sous le feu de notre torche. Une coiffe plumée jouait le même jeu infernal. Elle ceignait son visage d’une oreille à l’autre et lui dévorait le crâne dans des motifs et des formes me rappelant certains oiseaux de proie. Sur ce sommet d’être, nulle trace de notre cheveu si commun.

Je devinais alors que parmi les siens, elle s’illustrait d’une terrible manière. Une prêtresse de l’Arbre Rouge. Une véritable enfant du Feu.

Muette, elle s’est allongée au plus près de la torche. Là, sans un regard pour moi, le sommeil l’a happée, avant même que les ombres Astrusques ne s’évanouissent. Animé par la curiosité, je n’ai pu détourner les yeux.

Sa peau olivâtre blanchit sous l’os ; ainsi se composent, aux angles les plus saillants, d’étranges dégradés cendreux. Ses veines, noir charbon, dessinent des formes géométriques, dont la complexité semble naître d’une volonté. Quelques plumes se retrouvent çà et là, éparses, sur le reste de son corps. Elles s’enroulent en épais bracelets autour de ses poignets et remontent jusqu’au dos de ses longues mains arquées. Au bout de ses doigts calleux, la serre rapace se dispute à l’ongle banal.

Elle ne parle pas le Valain et sa langue Ignit m’est étrangère. Toutefois, au petit matin, nous sommes parvenus à échanger nos noms.

Talia.

Talia, la Rouge.

Dans le silence de l’interminable attente, nous nous regardons. Parfois, il me semble la voir sourire lorsque les étoiles emplissent le blanc de mes yeux. Un sourire mélancolique, mêlé d’amertume ?

N’as-tu jamais rencontré de prêtresse de l’Arbre Rouge lors de tes précédents voyages ?

Que fait-elle si loin de son pays ?

Quelle histoire l’a conduite ici ?

Je n’ai rien de plus à t’offrir que ce nouveau mystère. Toutefois, à la différence de la mystique Astrusque, l’énigme que pose Talia réchauffe le cœur d’une véritable présence.

Je ne t’importune pas davantage.

Le danger demeure grand pour toi.

X jours après le Solstice Rouge, en Astrurie.