Mon cher Scævius, je ne te tiendrai jamais rigueur de m’écrire sous cette forme astrale propre à la Nuit. Un lien s’est établi entre nos kosmos ; un de ces fameux Ponts peut-être ? Quoi de plus naturel que de l’emprunter, lorsque, la détresse au cœur, l’impérieux besoin de soulager notre peine dans le partage et la confiance nous étouffe ? Nous nous sommes soutenus sans failles depuis notre premier malheur commun. Je ne t’abandonnerai en aucune façon, quelles que soient les difficultés imposées par les dieux.
Par ailleurs, si mon désir était de me rendre sourde et aveugle à tes mots d’éther, je ne saurais de quelle façon m’y prendre. La reine Ramthas a tenu de semblables paroles, dans cette idée d’impuissance à entraver la Nuit.
Notre art toucherait-il un absolu de liberté ?
Défie-toi de cette reine. Malgré le don de savoir qu’elle t’a accordé, celui-ci a été réalisé à dessein. Une femme, qui porte le poids de tout un peuple, agit sous l’impulsion d’une raison froide et d’une logique toute patriotique. Ses pensées s’articulent comme les mécanismes huilés des machines de guerre ; d’une fluidité et d’une précision mortelles.
Mes mots ont peut-être la bêtise de sous-estimer ta force d’esprit. Toutefois, je suis convaincue que je n’écris pas en pure perte à te rappeler ces essentiels. Il m’apparaît probable que les troubles de ton âme puissent s’en prendre à ces évidences, jusqu’à te les faire oublier.
Mon cher Scævius, que ta vigilance demeure.
Jamais, lors de ma vie passée, je n’ai eu l’occasion de rencontrer un représentant du peuple Ignit. Bien peu de nos routes commerciales s’en allaient si loin au nord, pour que la chance nous en soit offerte.
Comme tout un chacun, je connais les légendes et les rumeurs qui courent sur leur pays. D’ailleurs, Titus-Livius en a ravivées plus d’une après sa guerre illégale aux frontières.
Leur culte du Feu a repris une grande importance dans l’imaginaire populaire, à Ys notamment. Des arbres à la sève noire, courant à bouillon sous une écorce rouge bombée, craquelée, prête à exploser ; des feuillages embrasés, aux flammes éternelles et enchantées ; un parfait terreau où germe la fascination, prisonnière de sa propre ignorance du mythe et de la réalité.
Qui pourrait juger la part de vérité chez les Ignit ? Personne. Car personne n’est jamais revenu vivant de leur domaine septentrional. Les seuls témoins, à l’image de ton père et de ses légions, se sont aventurés tout au plus à quelques milles de la frontière. Le pays profond Ignit demeure terra incognita.
Alors sans surprise, je l’imagine, je ne peux t’apporter connaissance et lumière sur ta nouvelle compagne de geôle. Comme Émilius, elle démontre que notre corps emprunte de curieux chemins pour s’accorder à notre âme. Sur ces nouvelles routes charnelles, la beauté se réinvente sans cesse dirait-on. Avant ton récit, jamais je n’avais entendu parler d’une porosité entre notre cuir et la plume. Toutefois, je devine par ton langage que tu y étais déjà initié, au moins d’une certaine manière ; car je n’ai lu aucune surprise dans tes mots.
Qui qu’elle puisse être, sa présence dessine une nouvelle énigme posée par la reine Astrusque. Une fois encore, je te mets en garde. Rien n’est laissé au hasard.
Pour ma part, mon récit sera bref, les révélations maigres et incertaines.
Avec Estus, nous avons cheminé jusque sous les remparts d’Arpa. Les portes demeurent closes. Toutefois, devant les larges battants de bronze, un embryon de village s’est improvisé. Des huttes de fortune ont été dressées, en branchages, en paille, en briques à demi sèches et même tout cela à la fois. Femmes et hommes déambulent entre elles, la patience au bout des lèvres, étirée par le vin.
Le vivant s’adapte et s’organise toujours dans l’attente et l’espérance.
Les rumeurs vont bon train entre les feux. Toutefois, est exempt le phare de connaissances. Les uns fustigent la paranoïa du tyran, les autres saluent sa prudence. Jamais ils ne le nomment. Ils palabrent d’un homme dont il ignore jusqu’au nom.
D’après un informateur, dont la courte chaîne d’intermédiaires invite à une certaine fiabilité, le tyran consoliderait sa position intérieure avant d’ouvrir à nouveau les portes de la cité. Curieuse manœuvre politique. Je n’y vois nulle trace d’intelligence. Ce tyran se met en état de siège sans raison valable. Pour moi, la bêtise se dispute à l’imprévu. Si la première l’emporte, la tyrannie ne durera guère. En revanche, si la seconde se révèle vérité, alors le kosmos orphelin joue peut-être un rôle de premier plan dans cette sombre affaire.
Plusieurs noms ont filtré de cet informateur. Celui de ton frère Faustus a été répété à plusieurs reprises.
Faustus, le tyran d’Arpa ? Cela fait-il sens pour toi ?
Je n’y crois guère.
Il lui aurait fallu perdre toute lucidité, l’esprit dévoré par une cruelle folie, pour agir de la sorte.
Je ne souhaitais pas te dissimuler l’information, malgré son incertitude. J’ajoute encore un poids à ton fardeau, j’en ai bien conscience. Toutefois, le mal n’en serait-il pas plus grand, si le secret dévoilait un malheureux jour sa vérité, toute maquillée de ma trahison ?
Nous avons toujours agi ainsi l’un envers l’autre. Malgré les circonstances, je m’emploie à maintenir cette éthique.
De plus, je ne détiens qu’un embryon d’information, un nom enveloppé d’une rumeur. Attendons que les portes s’ouvrent avant de tirer nos conclusions.
Assure-toi de mes amours les plus tendres et sincères.
X jours après le Solstice Rouge, sous les remparts d’Arpa.
L’idée de Faustus comme tyran d’Arpa me paraît bizarre même si j’y ai pensé brièvement (parce qu’il n’y a que lui qu’on connait vraiment bien là-bas, après tout !), mais il n’avait pas l’air du genre à jouer les tyrans dans ses lettres. Si c’est bien lui il cachait bien son jeu ! Soit il a effectivement pété un câble, soit il a une toute autre raison de fermer les portes qui n’est pas si « tyrannique » au sens égocentrique du terme... Vala devrait trouver la cause bien assez vite ! Le mépris qu’elle a pour les méthodes du tyran m’a bien fait rire aussi x)
Je n’avais pas envisagé que les « Ponts » puissent être des liens entre les kosmos, c’est vrai que c’est une explication qui marche bien !
Je me suis demandé s’ils n’avaient presque par le choix de se percevoir, à un moment, lorsque Pathie écrit ceci : « Par ailleurs, si mon désir était de me rendre sourde et aveugle à tes mots d’éther, je ne saurais de quelle façon m’y prendre. » On dirait presque qu’elle perçoit ses mots malgré elle, d’une certaine façon ?
J’ai bien aimé le fait qu’elle lui répète des « évidences », clairement ça ne peut pas faire de mal vu la situation dans laquelle il se trouve !
Et personne qui ne revient vivant de chez les Ignits, ça ne donne pas envie (à moins que ce soit tellement bien que personne ne veuille faire demi-tour mais j’y crois moyen hein) ! Par contre leur culte du feu a l’air très esthétique, j’aime beaucoup la description des arbres notamment :D (et je ne sais pas s’ils sont métaphoriques ou réels, je prends les deux options haha)
Petit chipotage purement subjectif sur cette phrase : « Le pays profond Ignit demeure terra incognita. »
ça m’a fait bizarre de lire des mots en latin dont le sens est finalement assez transparent et facile à traduire (même pour quelqu’un qui n’y aconnait rien), alors que tout le reste est en français et qu’on est dans monde plus ou moins romain. Mais pour des mots intraduisibles ou des noms propres comme Ignit, ça ne me perturbe pas par exemple ! (mais c’est peut-être juste moi, donc à prendre avec des pincettes bien sûr)
Voilà pour cette lettre, à bientôt sur la suivante ^^
Pour Faustus, l'idée paraît bizarre, sans aucun doute parce que j'écris à la vue, sans plan parfaitement établi, même pour des décisions comme celle-ci. Du coup, dans la réécriture, je pense que je peux rendre ce genre d'hypothèse évoquée par les personnages moins déconcertante en préparant davantage en amont, d'autant plus si ça révèle juste. Mais, on sait tout de même, que Faustus a quelque chose de plus impulsif, de plus passionné (peut-être trop d'ailleurs) que Scaevius. Il y a aussi l'ellipse de 3 ans entre les deux livres que je n'ai pas forcément maîtrisée vis-à-vis de l'évolution qu'on eut chacun des personnages durant ces trois années. ^^'
Effectivement, en tout cas, du côté de Vala, qui est moins "forte" (je ne sais pas si c'est vraiment le terme adéquate, parce qu'on pourrait dire à l'inverse qu'elle est simplement plus sensible), ignorer les "signaux" que lui envoie Scaevius est difficile.
Très content que la petite partie sur les Ignits t'ait plu. Cette image d'arbre qui brûle "naturellement" si je puis dire, c'est quelque chose que j'ai depuis assez longtemps en tête, tout comme la description de Talia d'ailleurs dans une des lettres précédentes. C'était assez satisfaisant d'enfin les mettre sur le papier/écran. C'est littérale et non métaphorique. Je le dis, parce que je ne suis pas certain que Scaevius passera en ce drôle de pays. Par contre, j'ai une autre histoire en tête où ça sera le terrain d'aventure !
Je valide le chipotage ! Tout à fait d'accord, le fait que ça soit le tout premier, ça fait extrêmement bizarre. Et ça n'apporte rien ^^.
Merci beaucoup pour tes retours, remarques et impressions ! :)
A bientôt ! :)
Le mystère autour de la prisonnière Ignit s'épaissit encore un peu avec les propos de Vala... Je n'ai aucune hypothèse à son sujet, donc j'attends avec curiosité d'en apprendre davantage !
Au sujet de la première partie de cette lettre, je me demande si elle n'est pas un peu répétitive (ce n'est que mon avis évidemment), puisque Vala insiste beaucoup sur le fait que Scaevius doit être prudent, ce que l'on comprend dès le départ. Peut-être qu'il y a quelque chose à voir de ce côté pour amoindrir cet effet d'insistance :)
Quant aux nouvelles d'Arpa, c'est très intriguant ^^ J'aurais tendance à dire que l'on se doute que le tyran n'est pas un imbécile et qu'il y a une raison au fait de fermer la cité ainsi. Et je trouve vraiment que ce serait un rebondissement vraiment très intéressant que Faustus soit ce fameux tyran !
À tout de suite !
C'est noté pour l'effet de répétition. Je l'ai un peu senti dans mes relectures, mais je me disais que ça pouvait être un effet d'appui de Vala. Mais si ça vient trop embêter la lecture de la vraie personnage qui lit l'histoire, c'est dommage ^^'.
Ah ah content que tu trouves qu'il s'agisse d'un rebondissement intéressant si ça s'avère vrai. Je suis du même avis hi hi ^^
Merci beaucoup pour ton retour !