Il y a tant à dire ; si peu que je ne saurai te décrire fidèle à la réalité, à l’absolue vérité de mes sens.
Toutefois, je devine que dans l’effervescence de l’épreuve endurée, des fragments, des images d’instants brisés, ont franchi notre Pont. Dans la tourmente, j’ai échoué à leur faire barrage, à les conserver de mon côté de la rive. Je prie pour que cette pluie d’éclats ne t’ait point heurtée en de trop fâcheuses manières.
Je me rends compte, seulement aujourd’hui, de certaines conséquences, délicates pourrait-on dire, de notre lien. Chacun de nous, d’un bout à l’autre de cette arche kosmique, a une importante responsabilité. Les émotions de l’un peuvent influencer l’autre, si celles-ci se révèlent suffisamment fortes et profondes. Je l’ai compris, lorsqu’au cœur de ma propre tourmente, j’ai reconnu les embruns de ta propre détresse.
J’écris cette lettre… Enfin cette pensée égarée à ton intention, que ne sais-je, tant la frontière des registres s’effrite dans la Nuit...
Oh, qu’il m’est pénible de réfléchir. Leurs étoiles ne cessent de murmurer.
Pardonne ce désordre, je recommence depuis le début, et par le plus important. Tu avais raison. La reine Ramthas ne semble rien laisser au hasard, bien que je ne sois pas certain des rôles qu’elle escompte nous attribuer à Talia et moi-même.
Des Astrusques m’ont arraché à ma geôle au soleil couchant. Ils m’ont amené devant une bâtisse malingre, d’où s’échappaient des râles et la puanteur des charniers. Les soldats avaient l’œil fiévreux, les lèvres pincées. Quelque chose se préparait.
À l’annonce de notre arrivée, la reine Ramthas nous a rejoints. Les traits tirés par une lassitude que je ne lui avais jamais connue lors de nos précédents échanges, elle s’est avancée vers moi et m’a forcé à mettre le genou à terre. Derrière, un corps inerte nous était amené, traîné dans la boue sans plus de soin que pour un animal tout juste égorgé.
La suite des évènements m’apparaît très floue. Le choc émotionnel était tel... Je me souviens d’une femme, haute et pâle, une tortue brodée sur le vêtement, un disque d’or coincé dans une chevelure d’argent. Des pupilles fidèles à la Nuit. De ses lèvres s’échappaient des syllabes cryptiques. Le cadavre, car le corps était bel et bien mort, s’est arqué, les paupières se sont ouvertes… Ou bien était-ce l’inverse ? Sous l’incantation, le blanc des yeux a viré au noir de Nuit, des étoiles se sont animées. Puis… Puis…
Plus rien.
Le néant et le silence.
À mon réveil, je me trouvais à nouveau dans ma geôle ; cette fois-ci enchaîné, pieds et poings liés. Il en était de même pour Talia.
Mon kosmos résonnait d’une étrange manière. Quelque chose avait changé. Sans plus attendre, j’ai laissé la Nuit m’envahir pour le rejoindre.
Cruelle destinée.
Mon royaume n’était plus à mon image. Il n’était plus seulement mes sens, mes émotions et mes pensées.
Dénaturé par « l’autre », je ne le reconnaissais plus.
Je rencontrais des étoiles étrangères, des constellations entières, faites de bribes d’ailleurs, enfantées par un autre esprit.
Après une longue errance, la vérité m’est apparue, non pas terrible et accablante, mais étrange, comme une curiosité primitive devant la découverte du feu.
Mon kosmos en avait incorporé un autre. De moindre dimension, tant par le nombre de constellations que par la mesure de leurs astres.
Un malaise m’étreint le cœur, car subitement, à ces mots, je comprends.
J’abrite les feux sacrés d’une âme morte.
Mes lèvres goûtent le sel.
À quand remonte l’âge de mes dernières larmes ?
Il s’en passe des choses dans cette petite lettre :O Ou plutôt il se passe une chose qui a beaucoup d’implications !
On dirait donc que notre Scaevius est désormais « deux personnes » d’un point de vue stellaire, c’est un peu creepy, le pauvre... Et ça a l’air de lui peser sur l’esprit, entendre des murmures d’étoiles inconnues n’a pas l’air très reposant. (si on rajoute à ça l’image du cadavre inanimé traité comme un bout de viande, bonjour le traumatisme supplémentaire)
Puis surtout, ça interroge sur les motivations de la reine : est-ce que la personne morte avait des constellations utiles à ne pas perdre ? Mais dans ce cas, pourquoi les donner à un prisonnier et non pas un de siens ? Est-ce que ça pourrait être une technique de « conversion », lui donner un kosmos de son camp pour l’aider à le rejoindre ?
Et en prime ça fait aussi écho à ce qu’il se passe côté Vala avec le kosmos orphelin : si Scaevius a pu recevoir un kosmos, celui-là aussi pourrait être accaparé par quelqu’un qui en a déjà un, a priori (peut-être Faustus ? Vala aussi ? un nouveau protagnosite sinon ?).
Le lien mental entre Scaevius et Vala est vraiment fort, encore une fois je me demande tout ce qu’on perd en tant que lecteur à n’avoir que la lettre, finalement, comme lorsqu’on retrouve des lettres antiques dans notre monde et malgré toutes les recherches depuis des générations il nous manquera toujours la vibe du contexte (du coup cet effet est très réussi !)
Et pour finir, j’aime beaucoup cette petite phrase, elle résume bien toute la lettre : « J’abrite les feux sacrés d’une âme morte. »
A bientôt :D
Grosse ambiance effectivement, qui ne va pas l'arranger :(.
C'est exactement ça pour la question du kosmos orphelin, on sait maintenant qu'il y a cette possibilité "d'implantation", ce qui permet de comprendre que la chasse au kosmos orphelin a un certain enjeu.
Merci beaucoup pour ton retour :).
A bientôt !
C'est très frustrant, chaque nouvelle lettre apporte encore plus de questionnements, et pas l'ombre d'une réponse pour l'instant x) Je me demande bien pourquoi la reine Astrusque fait en sorte que le kosmos de Scaevius incorpore le kosmos d'une autre âme... Je n'ai pas l'once d'une explication, donc j'attendrai sagement la suite ^^
Le désarroi de Scaevius est très bien retransmis !
Mes petites notes :
"Je l’ai compris, lorsqu’au cœur de ma propre tourmente, j’ai reconnu les embruns de ta propre détresse."
C'est subjectif, mais je ne suis pas fan de la répétition de "propre", je trouve que ça alourdit nettement la phrase :)
"Le choc émotionnel était tel..."
Alors, j'ai un peu tiqué sur cette phrase parce qu'il me semblait étrange de parler de choc émotionnel. Je ne saurais pas vraiment t'expliquer pourquoi, mais je te partage cette information ^^'
À bientôt !
Nous arrivons au bout des mystères posés pour cette deuxième partie de la Correspondance ! Enfin quasiment. C'est surtout que l'on va attaquer les réponses dans les lettres suivantes enfin ! Ca va permettre de changer un peu l'atmosphère ;).
Merci encore une fois pour tes retours hebdomadaires ! :D