III.1 Tobo

Deux jours plus tard, Tobo prenait la route en compagnie d’Azarias. Tobie n’était pas des leurs. Ragouël avait insisté pour garder le jeune homme à la maison ; sa blessure à la cheville était parfaitement guérie, mais la famille de Sara comptait bien organiser des noces comme on n’en avait jamais vu dans la région. La jeune fille le méritait bien ! Et accessoirement, ce serait l’occasion pour Ragouël et Edna de faire connaissance avec leur beau-fils.

Mais il ne fallait pas oublier la raison pour laquelle Tobie avait quitté Ninive. Il devait toujours récupérer les douze pièces d'argent de son père auprès de Gabaël de Médie ! Et pour ne pas prendre de retard sur le programme, Azarias se proposa pour aller chercher lui-même l’argent. Ainsi, au matin du deuxième jour des noces, l’homme et le chien quittaient la maison de Ragouël.

Tobo trottait sur les talons d’Azarias, suivant docilement cette étrange créature. Son maître Tobie lui avait dit de le protéger, mais l’animal doutait fortement qu’il y ait quoi que ce soit à protéger. Comment aurait-il pu, après l’avoir vu vaincre le démon le plus puissant du monde ? Mais Tobie n’en savait rien et avait ordonné à son chien de veiller sur le prétendu homme. Alors Tobo lui obéissait.

 

Tant qu’il y avait des gens pour le voir, Azarias continuait de se faire passer pour un humain tout-à-fait normal. Mais lorsqu’ils eurent quitté la ville, il se tourna vers Tobo :

« En temps normal, il nous faudrait une journée pour aller chez Gabaël. Je ne veux pas attirer les soupçons en arrivant trop tôt. Mais nous n'allons pas passer la journée à marcher bêtement alors qu'il y a tant de choses à faire dans ce bas monde ! »

Et sur ces mots, il attrapa Tobo, déploya ses grandes ailes et laissa le vent l’emporter dans les cieux. Tobo jappa de panique. C’était la première fois qu’il quittait le plancher des vaches ! Mais enserré par les bras d’Azarias, enveloppé par les plis de sa robe et serré contre son torse, il se sentait en sécurité. À moins que ce ne soit Azarias qui, par sa simple présence, anéantissait toute sensation négative ?

Et puis c’était si beau de voir le monde d’en haut ! Tobo embrassait d’un seul regard les plaines verdoyantes et les champs qui s’étendaient aux abords du Tigre ; les moutons n’étaient que des petites taches blanches et brunes, et même les vaches ne semblaient pas plus grosses que des souris.

 

Après quelques minutes à planer, Azarias amorça sa descente. Il mit le cap sur une ville et se posa dans une ruelle sombre. Sous le regard attentif de Tobo, il poussa la porte d’une maisonnette.

Allongé sur un lit, un petit enfant se débattait contre un ennemi invisible. Il ruisselait de sueur et gémissait comme une porte mal huilée. Tobo plissa les yeux et distingua le démon qui s’en prenait à lui. Cette fois-ci, ce n’était pas un être anthropomorphe comme l’était Asmodée ; simplement une petite boule bleu-vert garnie d’antennes. À moins que ce ne fussent des tentacules, difficile à dire.

Azarias donna une pichenette au démon pour le faire tomber par terre, puis l’écrasa de son pied. Pas de chichis pour un monstre bas de gamme ! En deux temps trois mouvements, il s'en était débarrassé. Dans son lit, l’enfant se roula en boule, visiblement à bout de forces. Azarias le laissa et rejoignit Tobo. Le sommeil achèverait de guérir le petit.

 

Ils s’envolèrent de nouveau et gagnèrent un petit coin reculé de la campagne. Au fond d’un ravin, un chevreau bêlait à fendre l’âme sous le regard désolé de deux chèvres impuissantes. Azarias descendit et attrapa délicatement le petit animal. Puis, d’un coup de ses puissantes ailes, il le ramena à bon port.

« Tobo, puis-je te laisser reconduire ces chèvres jusqu’au troupeau ? Moi, je vais me charger de faire repousser les plantes qu’elles ont arrachées en broutant. »

 

Dans les heures qui suivirent, Azarias fit jaillir une source près d’un village dont le puits avait tari, consolida une charpente qui menaçait de s’effondrer, fit trébucher un mouton pour permettre à une louve de nourrir ses petits, et fit la courte échelle à une femme qui fuyait son mari violent. Enfin, il offrit à un sans-abri le repas que lui avait prévu Tobie, ce dernier ignorant qu’Azarias n’avait pas besoin de manger. Tobo, en revanche, eut droit à sa portion de viande qu’il engloutit sans en laisser une miette.

 

Et quand le soleil commença à descendre dans le ciel, Azarias vola à tire-d’ailes jusqu’à la ville de Gabaël.

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