III.4 Tobo

Tobo courait de toutes ses pattes. Il avait hâte de retrouver Tobie ! Derrière lui, Azarias et Gabaël s’amusaient de son ardeur. Gabaël, celui à qui Tobith avait confié ses vingt pièces d’argent, avait accepté de se rendre au mariage du fils de son ami ; par ailleurs, il tenait à vérifier qu’Azarias était bien un envoyé de Tobith et non un quelconque malfrat qui aurait mis la main sur le reçu par des moyens peu scrupuleux. Il aurait bien aimé pouvoir le croire sur parole, mais ils étaient si nombreux parmi les Hébreux à s’être détournés du droit chemin !

Enfin, la maison de Ragouël apparut au tournant de la route. Tobo, pressé de recevoir sa ration de caresses, se jeta sur son maître pour lui faire la fête. Heureusement, Tobie n’avait ni gâteau ni objet fragile dans les mains, sans quoi il n’aurait guère pu éviter un accident fâcheux. Sara le caressa à son tour, puis Azraël s’approcha pour se frotter contre les pattes de son ami.

Les humains, eux aussi, s’embrassaient et s’étreignaient. Gabaël se réjouissait de rencontrer le fils de Tobith, Tobie remerciait Azarias d’avoir rondement mené sa mission, et Ragouël énumérait tous les bons plats qui restaient pour le repas du soir. En entendant cela, Tobo eut l’eau à la bouche. Les os de chez Gabaël n’étaient pas mauvais, mais une bonne assiette de mouton, c’était autre chose ! Edna, la mère de Sara, s’en rendit compte et lui apporta aussitôt une gamelle remplie de restes.

« Non Azraël ! C’est pour Tobo. Tu as déjà bien assez mangé aujourd’hui, sac à puces. »

 

Lorsqu’il eut terminé de rassasier son estomac, Tobo retourna auprès des humains. Tobie et Sara étaient en pleine conversation avec Ragouël.

« Je t’en prie, beau-père, laisse-moi partir et je rentrerai chez mon père. Je t’ai déjà décrit dans quel état je l’ai laissé.

- Reste, mon enfant, répondait Ragouël. J’enverrai à ton père Tobith des messagers qui lui apporteront de tes nouvelles. »

Mais Tobie insistait, et Sara joignait sa voix à celle son mari, expliquant la hâte qu’elle avait de rencontrer ses beaux-parents et les mauvais traitements que les gens de la ville continuaient à lui faire subir. Tobo remuait la queue avec vigueur : lui aussi avait envie de rentrer, de retrouver son maître Tobith et sa maîtresse Anna, de faire découvrir à Azraël le bois de Ninive, de courir après les oiseaux et de se rouler dans les fleurs.

« Soit ! »

Ragouël leva les mains en signe de forfait.

« Je vais donner des ordres aux serviteurs. Emballez les meubles de Sara, ses vêtements, ajoutez-y la moitié des linges de l’armoire, la moitié de l’argent du coffre, et la moitié des bœufs et des brebis du troupeau.

- Beau-père ! Ce n’est pas nécessaire. Garde tes troupeaux, je n’ai pas épousé Sara pour son argent !

- Je le sais, mais cela ne change rien au fait qu’elle est mon unique héritière, que tu es mon plus proche parent et que c’est à vous que reviennent toutes mes possessions.

- Mais…

- Pas de mais, mon enfant. Par ailleurs, ta famille est dans le besoin depuis que ton père Tobith a perdu la vue. De mon côté, j’ai largement ce qu’il nous faut à Edna et moi. Alors ne discute pas et accepte ton dû. Les cartons devraient être prêts ce soir, vous pourrez partir demain matin. »

Les deux hommes s’étreignirent, et restèrent enlacés jusqu’à ce qu’Edna les appelle pour dîner.

 

Ce fut un délicieux rôti de poulet accompagné de navets et de miel. Tobo et Azraël eurent leur content de peaux, d’os et de rognons. Azraël, en prenant un air suffisamment mignon, réussit à obtenir en bonus le droit de lécher le jus de poulet qui restait au fond du plat.

Mais alors que Tobie aidait Edna à débarrasser, un serviteur s’approcha de Ragouël.

« Seigneur, nous avons empaqueté et chargé tout ce que tu as commandé. Mais les moutons n’aiment pas rester dans leurs cartons, et il est difficile de faire monter les vaches dans les charrettes. »

Ragouël se frappa le front.

« N’y avait-il pas un seul d’entre vous qui soit doté d’un tant soit peu de bon sens ? Je suis désolé Tobie, j’avais prévu de te donner également la moitié de mes serviteurs, mais finalement, mieux vaut que je m’abstienne. Ce serait un bien méchant cadeau que je te ferais. Et puis, ils seraient capables de s’enfermer eux-mêmes dans des cartons, ces imbéciles ! »

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