C’était le troisième jour de voyage, et la petite troupe s’approchait enfin de leur destination.
« Regarde ! disait Tobie à son épouse ; les toits que nous voyons au loin, ce sont ceux de ma ville. »
Tobo remua la queue avec ardeur. Enfin ! Enfin, il allait retrouver son maître, son cher maître Tobith ! Qu’était-il devenu sans son chien ? Aveugle, il ne pouvait pas se déplacer librement. Anna le guidait peut-être de temps en temps, ou bien un enfant de la ville ; mais plus probablement, il passait ses journées enfermé, sans pouvoir rien faire, à ruminer de sombres pensées.
Faisant écho aux inquiétudes de Tobo, Azarias s’approcha de Tobie :
« Tu sais dans quel état nous avons laissé ton père. Prenons de l’avance sur ta femme et allons à la maison, avant que les autres n’arrivent. Ainsi, nous pourrons couper court à ses inquiétudes, mais aussi le préparer à l’arrivée de tant de gens.
- Oui, tu as raison, Azarias, mon frère.
- Prends avec toi le fiel du poisson que tu as tué à l’aller. »
Ils partirent donc tous les deux ensemble, et Tobo les suivit. Ah, cela faisait du bien de ne plus avancer à ce pas de tortue ! D’autant plus qu’il était impatient de retrouver la maison.
Quelques minutes plus tard, ils entraient dans la rue où vivaient Tobith et Anna. Celle-ci était assise à l’entrée de la cour, comme chaque jour depuis le départ de Tobie, avec son ouvrage sur les genoux – cette fois-ci, de la laine de mouton à filer et embobiner. Lorsqu’elle reconnut les deux hommes et le chien, elle se leva et laissa tomber ses pelotes dans la poussière.
« Tobith, mon amour ! Voici notre fils qui revient ! »
Et elle s’élança jusqu’à son fils. Tobie reçut sa mère dans ses bras avec une force telle qu’il eut du mal à ne pas tomber. Mais il tint bon et l’enlaça avec tendresse.
Tobo, lui, se dirigeait vers Tobith. L’aveugle traversait la cour avec difficulté, testant le sol à chaque pas au cas où il s’y trouverait un objet qui pourrait le faire tomber. Tobo vint immédiatement se placer à ses côtés. Il n’avait pas son harnais, mais il laissa son maître poser sa main sur son dos et le guida doucement jusqu’à l’entrée.
Tobie, voyant arriver son père, se détacha de sa mère et sortit de sa besace le fiel du poisson. Encouragé par Azarias, il s’approcha de Tobith et lui appliqua le remède sur les yeux. Et soudain, Tobith poussa un cri de joie :
« Je vois ! Je te revois, mon enfant, toi, la lumière de mes yeux ! »
Et ce ne furent que liesses et embrassades au sein de la famille. Tobo rejoignit Azarias, qui se tenait à l’écart des démonstrations de joie. Le compagnon de voyage de Tobie ne prenait pas sa part de remerciements. Pourtant, c’était grâce à lui que tout cela s’était déroulé. C’était lui qui avait guidé Tobie, qui lui avait conseillé de garder les entrailles du poisson, qui avait vaincu le démon Asmodée, qui était allé chercher l’argent chez Gabaël, et qui avait donné les instructions nécessaires pour soigner Tobith. N’était-il pas déçu ?
« Chaque chose en son temps, ami chien. Les œuvres du Maître de l’Univers seront célébrées à leur juste valeur, ne t’en fais pas. »
Tobo regarda plus attentivement l’étrange être qui se tenait à ses côtés. Il discerna encore une fois la lumière et les ailes sous son déguisement d’humain. Et il sut que tout se déroulerait comme Azarias l’avait dit.