Extrait du cours élémentaire : exploration d'Hevéla
Découverte avant l'avènement de l'hyperespace, Hevéla est peuplée de citoyens originaires de Minzhue, qui ont dû tout quitter et voyager pendant plus de trente ans, en suspension, afin d'atteindre leur destination. Cinq ans après leur arrivée, l'hyperespace a rendu leur épopée caduque. Ils ont été rejoints par des colons de diverses planètes se déplaçant bien plus rapidement.
Cette situation singulière, sans être inédite, porte en elle des germes de discorde entre les primo-arrivants, qui se considèrent comme les vrais Hevéliens, et les autres.
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Quelques jours plus tard, Delum proposa d'emmener sa fille dans une nouvelle zone que ses robots volants avaient commencé à explorer pour lui. Naelmo se délectait toujours d'arpenter la forêt et elle se réjouit par avance de mettre à distance les esprits humains qui pressaient sur sa barrière depuis des jours.
Certes, cela allait mieux. Beaucoup mieux. Le défaut de contrôle de Naelmo se résorbait. Elle parvenait de nouveau à s'isoler en elle-même pour de plus longues périodes, choisissant de s'ouvrir seulement aux signaux familiers des siens.
Mais le silence, le vrai silence, voilà un luxe qu'elle n'avait plus goûté depuis des semaines...
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Naelmo se redressa sur son lit et se frotta les yeux avec agacement. Une pensée venait de la sortir de son demi-sommeil satisfait : sans s'en rendre compte, elle en était arrivée à considérer Shielfen comme faisant partie des siens. Que ressentait-elle pour lui ? Des sentiments en tout cas assez forts pour l'avoir dégoûtée de ses expérimentations de contrôle mental. Elle avait tout laissé tomber en bloc après sa tentative dérangeante sur lui et la vision hallucinatoire de l'hydre dans le miroir. Tout n'était pas clair dans sa tête, loin de là, mais elle craignait de se laisser dominer par ses désirs de contrôler les autres. Si elle nourrissait l'hydre, qui sait à quel point celle-ci enflerait ? Peut-être jusqu'à prendre toute la place. Naelmo en frissonnait de dégoût.
Si elle espionnait parfois Shielfen, elle se refusait désormais à l'influencer. Elle s'en savait capable, c'était l'essentiel. Il avait perdu de son pouvoir sur elle, même si elle continuait à le laisser mener comme avant. Entre le vélo, les cours de maths, les discussions privées en classe, les répétitions du groupe, elle passait d'ailleurs le plus clair de son temps avec lui.
Être avec lui... Il l'agaçait, son statut de star l'exaspérait, mais elle ne ressentait aucun ennui. Plutôt une fascination jamais épuisée devant son charme en public, sa faculté à donner un avis sur tout, son intérêt pour les sujets les plus superficiels dès lors qu'ils passionnaient les autres. Et surtout devant la façon dont il se dépouillait de cette personnalité, comme d'un vieux vêtement défraîchi, dès qu'ils se retrouvaient tous les deux. Et le pire, c'était que ce qui émanait de lui paraissait aussi vrai à Naelmo dans un cas comme dans l'autre. Qui était-il ?
Il ne se lassait pas d'elle lui non plus, car il demanda ou plutôt exigea à sa manière brusque habituelle de l'accompagner durant la sortie prévue par son père.
- Tu m'agaces, Shiel. Tu crois pouvoir toujours imposer, réclamer, contraindre ? lui reprocha-t-elle. Pourquoi pas simplement demander, parfois ?
- Si je demande, tu diras non.
La contrariété plissa le front de Naelmo et lui serra la mâchoire en une moue. Elle tourna la tête vers Shielfen et le fusilla du regard, bien qu'ils fussent en classe.
- Qu'est-ce que t'en sais ? Je pourrais en profiter pour te perdre dans la forêt. Voilà une occasion merveilleuse de me débarrasser de toi.
Il la fixa avec une pointe d'inquiétude dans les yeux, avant de se rendre compte qu'elle plaisantait.
- T'es pas drôle !
- Et toi, tu te crois drôle avec tes menaces ?
Sans répondre, il détourna la tête et se replongea dans la contemplation de son écran. Naelmo constata qu'il ne le regardait pas vraiment. Sa dérobade l'énerva encore plus :
- Je suis quoi pour toi ? Juste un moyen d'obtenir ce que tu désires : des cours de maths, une distraction dans ton quotidien mortellement ennuyeux ? C'est comme ta petite cour, là ! Pourquoi tu les laisses t'approcher, ces filles, si c'est pour les critiquer par derrière ? Pour soigner ton image auprès de tes copains ? Tu es froid et calculateur, tu ne fais qu'utiliser les gens autour de toi ; en fait, personne ne compte vraiment pour toi.
Son dos se raidit, et elle sentit en approfondissant le contact entre eux qu'elle avait fait mouche. Il était furieux, comme lorsqu'elle avait menacé d'espionner ses amis, mais également mal à l'aise et d'une certaine façon... triste.
Il se mura dans le silence pendant un long moment, cherchant peut-être une réponse. Le programme le rappela à l'ordre, constatant qu'il restait inactif, et il se remit à travailler en soupirant. Ils ne se parlèrent pas de la journée, chacun enfermé dans sa colère.
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Le soir, à la maison, Naelmo reçut un message :
De : Shiel
Quand je suis arrivé sur Hevéla, tu crois que ça a été facile ? Ceux de mon âge étaient tous nés là, il se considéraient comme les seuls vrais Hevéliens ; pour couronner le tout, aucun n'avait la peau aussi sombre que moi. Pour me faire accepter, j'ai appris à les charmer, les impressionner, jouer un rôle. On a plus en commun que tu ne le penses, Naelmo.
Et toi, qui compte pour toi ?
P.S. Je ne te dénoncerai pas et tu le sais très bien. Alors, fais ce que tu veux.
De : Naelmo
Tu m'agaces, Shiel, avec ta posture de grande âme généreuse. Tu ne vaux pas cher, mais je vais quand même t'emmener en forêt.
De : Shiel
Objet : Je t'adore
Je t'adore, je t'adore, je t'adore.
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Cette fois-ci, ils s'aventurèrent plus loin, vers une région où le précédent xénobiologiste n'avait pas posé le pied. Théola n'était pas venue, elle préférait le plus souvent sa tranquillité et la rédaction de son journal à ces sorties botaniques.
Là où ils allaient, à trois heures de navette de PortNeuf, le terrain demeurait vierge de toute intrusion humaine, excepté celle des drones de repérage. Ceux-ci avaient rapporté photos et échantillons montrant un paysage luxuriant, foisonnant d'espèces non répertoriées.
Naelmo ne s'était jamais enfoncée aussi loin dans la sylve. Ils volaient droit vers le soleil couchant, globe écarlate prêt à se noyer dans un océan violacé. Au-dessous d'eux, la cime des grands arbres moutonnait à perte de vue. Rien ne venait gâter la majesté du paysage illuminé par le flamboiement des derniers rayons.
Les minutes passant, Naelmo sentit la présence de la ville s'amenuiser puis disparaître. Elle s'en émerveilla, goûtant à la sensation du silence, jusqu'à prendre conscience que même avant que sa barrière ne devienne poreuse, elle n'avait jamais connu une telle absence... Existait-il ailleurs dans la sphère humaine un endroit si désert qu'on ne percevait aucun esprit à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde ? Bien sûr, il y avait l'espace ; toutefois, la seule traversée de Naelmo vers Hevéla l'avait cruellement déçue. Elle et ses parents étaient entassés dans une pièce aveugle avec d'autres migrants : elle n'avait rien vu, rien senti dans le temps ridiculement réduit du voyage. On ne parcourait plus le vide intersidéral comme avant. On le court-circuitait dans un jeu de saute-mouton géant.
Aussitôt arrivés, ils déplièrent leur abri, mangèrent et se couchèrent, afin de se relever au milieu de la nuit. Enivrée de silence, Naelmo eut du mal à s'endormir. Elle finit pourtant par sombrer, bercée par la respiration de son père à côté d'elle.
À leur lever, une surprise l'attendait. La sensation familière de la ville n'était pas revenue, ça non... mais quelque chose d'autre l'avait remplacée. Un bruit de fond, beaucoup plus discret, à peine détectable, formait maintenant un motif sur lequel les pensées de Naelmo se posaient. Cela ne disait rien, ne réfléchissait pas, cependant ce n'était pas « rien » non plus. Bizarre.
Toute la journée, la jeune télépathe tenta de mettre le doigt sur cette présence évanescente, jusqu'à se laisser distraire du paysage somptueux autour d'eux, des odeurs indescriptibles, des végétaux inconnus, du manège des créatures ailées. Il y avait là un mystère qu'elle seule percevait ; elle aurait aimé au moins réussir à poser quelques mots sur cette étrangeté, pour la partager avec son père et Shielfen. Mais ses impressions restaient floues. Quand elle se concentrait, cela disparaissait, tant et si bien qu'elle doutait de tout ; puis cela revenait à la lisière de son esprit dès qu'elle pensait à autre chose. Le soir venu, elle grinçait de frustration, en proie à une sourde inquiétude, incapable d'expliquer tout autant que d'oublier. Elle passa une nuit agitée, peuplée de poursuites, la laissant au réveil l'esprit anxieux et les yeux cernés.
Il ne restait qu'une demi-journée dans la forêt. Pour l'employer au mieux, Delum continua son ramassage de spécimens de plantes inconnues. Il assigna à Naelmo et Shielfen une tâche facile, mais indispensable : ils suivirent l'appareil de repérage qui effectuait des relevés topographiques, des mesures de toute sorte et des clichés de haute précision. Rien à faire de plus, à part s'assurer que l'engin ne glissait pas dans un trou, ne se coinçait pas quelque part. Il était précieux, le dernier en état de marche, datant de l'arrivée des colons sur la planète. Si jamais il tombait en panne, on devrait le remorquer et le réparer, en puisant dans le stock de pièces constitué grâce aux anciens robots hors d'usage ; et s'il était fichu, qui sait combien de mois il faudrait pour en obtenir un nouveau ?
Ici, la forêt, sombre et touffue, ne ressemblait pas à celle près de Portneuf, familière à Naelmo. Il faisait encore nuit et la seule lumière émanait des plantes fluorescentes, moins nombreuses qu'à l'accoutumée. Devant eux, justement, un espace plus éclairé : Naelmo y dirigea le robot, se disant que cela serait préférable pour les photos. Là, elle perçut plus clairement l'étrange présence, avant que celle-ci se dérobe vers une zone éloignée. Elle la suivit, décidée à élucider le mystère.
Le paysage était encore plus extraordinaire ici ; accrochées à de grands arbres aux larges feuilles violacés, des cascades blanches de filaments lumineux enveloppaient des buissons écarlates touffus. Des insectes s'affairaient, leurs ailes orange éclatantes formant un ballet de feux follets. Un tapis de feuilles élastiques rendait la progression aisée et agréable. Chaque pas dégageait une odeur sucrée et poivrée à la fois. Tout palpitait, bruissait en harmonie avec le souffle d'air venant du dessus qui rafraîchissait les marcheurs. Ils aperçurent une vague lueur bleu-vert devant eux ; le jour n'allait pas tarder à se lever. Cela alerta Shielfen :
- Tu ne crois pas qu'on devrait revenir vers ton père ? suggéra-t-il.
- Mais non, ça ne craint rien ; je ne vais pas le perdre, papa rayonne comme un phare.
- On ne connaît pas cette partie de la forêt. Et on n'est pas censés rester près de ton père ?
Naelmo balaya ses inquiétudes :
- Il n'y a rien de dangereux, et puis on ne va pas s'éloigner. Tu as peur que je te sème au fond des bois ? lança-t-elle sur un ton railleur.
Vaincu, Shielfen se tut. Ils s'enfoncèrent dans la sylve, en un mini-cortège ordonné : le petit robot, Naelmo qui le guidait vers la présence et le garçon qui la suivait.
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Naelmo avançait d'un bon pas, flairant la piste comme un chien de chasse, quand Shielfen se manifesta :
- Naelmo, attends !
Elle se retourna brièvement sans ralentir, contrariée qu'il la déconcentre. Que voulait-il donc ? En deux enjambées rapides, il réduisit la distance qui la séparait de lui et l'attrapa fermement par le bras.
- Stop, Naelmo ! Nous nous sommes beaucoup trop éloignés de ton père. Ce n'est pas prudent.
Interdite, Naelmo essaya de se dégager. Pourquoi son compagnon l'arrêtait-il ? Il ne comprenait rien. Ils allaient perdre la trace !
Toutefois, Shielfen tenait bon, habitué à avoir le dessus. Il lui colla son communicateur sous le nez :
- Regarde, on marche depuis bientôt une heure.
Naelmo cligna des yeux plusieurs fois, puis fixa le garçon avec effarement.
- J'aurais juré que nous n'étions partis que depuis quelques minutes, souffla-t-elle.
- Où tu nous emmènes ? Qu'est-ce qu'il y a par-là ? On n'a fait que s'éloigner de la navette.
Elle n'essayait plus de libérer son bras ; au contraire, elle se rapprocha de Shielfen, effrayée par cette compression du temps aberrante.
- Une présence... murmura-t-elle.
- Il y a quelqu'un dans la forêt ?
Naelmo secoua la tête, confuse, toujours pas sûre de ce qu'elle percevait.
- Non, souffla-t-elle encore plus bas, ce n'est pas ça. C'est la forêt...
Elle vit à ses yeux que Shielfen ne comprenait pas vraiment. Pas étonnant, avec ses explications fumeuses.
- De quel côté se trouve ton père ? questionna-t-il avec une urgence dans la voix.
Naelmo se concentra. Autour d'elle pulsait la présence, de nouveau uniforme ; avant leur arrêt, elle aurait juré qu'elle se situait devant eux. Quant à Delum, elle ne le percevait plus du tout.
Elle s'agrippa à Shielfen, soudain effrayée.
- Je ne sais pas. Nulle part... Trop loin.
Shielfen sortit son communicateur et appela Delum. Naelmo l'entendit jurer à l'autre bout quand Shielfen mentionna l'heure.
- Il vient vers nous, expliqua Shielfen après avoir terminé la conversation. Il a oublié l'heure, lui aussi.
- Bah, ça lui arrive tout le temps.
Malgré sa pique, Naelmo se sentait mal, sans parvenir à cerner ce qui n'allait pas. Une angoisse sans nom lui tordit le ventre et ses jambes flageolèrent. La pensée que son père se dirigeait vers eux ne suffit pas à la rassurer.
- Pourquoi il ne fait pas plus clair ? questionna-t-elle soudain. Si on marche depuis une heure, le jour devrait être levé ?
- Aucune idée, répliqua Shielfen, et franchement on s'en fiche. La priorité c'est de retrouver notre chemin.
- Je t'avais dit que je te perdrais dans la forêt, mais je n'imaginais pas que ça arriverait pour de vrai.
Naelmo ne reconnut pas sa voix, plaintive et effrayée. Elle avait terriblement peur à présent. Quelque chose ne tournait vraiment pas rond et cela la terrifiait. Des sanglots la submergèrent ; les larmes lui piquèrent les yeux, puis se mirent à couler sans s'arrêter sur ses joues.
- Je suis désolée, hoqueta-t-elle. Je ne veux pas que tu meures.
- Que je meure ? On n'en est pas là quand même !
Une certitude soudaine envahit Naelmo, sans qu'elle sache d'où elle venait :
- La forêt ne nous veut pas ici, Shiel. Elle va tous nous tuer.
- Ah non ! C'est pas le moment de jouer les oiseaux de malheur. Viens, intima-t-il en la happant par le poignet, le robot va nous guider, il n'y a qu'à lui faire rebrousser chemin.
Naelmo le suivit en hoquetant, terrifiée dans cette semi-obscurité bizarre. Curieusement, elle n'arrivait pas à penser à autre chose. Il aurait dû faire jour, se disait-elle en trébuchant, tenue par la poigne ferme de Shielfen. Elle était dépassée, désorientée, et s'en remit au garçon.
Shielfen la tira en avant, avec force et conviction. Naelmo tenta de se raccrocher à cette conviction qui bataillait avec une autre, une petite voix soufflant plaintivement que c'était inutile et qu'ils allaient mourir. Elle les imagina dans un entre-deux, une faille dans le temps, ce qui expliquerait pourquoi le jour ne se levait pas et pourquoi ils avaient perdu toute notion de durée.
Non, non ! L'hyperespace existait, une formule dans sa tête lui faisait de l'œil ; mais le temps, lui, ne pouvait pas s'arrêter. Elle le savait, c'était impossible.
Elle prit tout de même un peu de ce temps hors de la réalité pour contempler l'équation parfaite en suivant Shiel, qui lui criait des phrases qu'elle n'entendait pas... Un peu de temps pour se dire qu'elle aurait bien aimé être physicienne ou mathématicienne si elle ne s'était pas fourvoyée aujourd'hui... Un peu de temps pour admirer la courbe des épaules de Shielfen sous sa chemise...
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Naelmo se retrouva dans les bras de son père, un masque à oxygène sur le nez. Elle apercevait les feuillages au-dessus d'elle. Elle ferma les yeux, un peu, et les rouvrit dans la navette. Tout était sombre, ici aussi. Pourquoi avaient-ils mis la lumière en veilleuse ?
- Ça va ? questionna Delum en s'approchant d'elle.
Elle hocha la tête, de haut en bas. Le respirateur sur son visage l'empêchait de parler et bloquait la senteur familière de la forêt. D'ailleurs, maintenant qu'elle y pensait, l'odeur, dans cette partie de la sylve, avait été différente... mais différente d'une manière si subtile qu'elle ne l'avait pas perçu sur le moment. Oui, il avait flotté une sorte de puanteur inconnue dans l'atmosphère, un parfum mortifère, quelque chose de mauvais qui n'avait jamais existé avant...
- Ça va, confirma-t-elle.
Elle le vit grimacer, comme s'il entendait mal ce qu'elle envoyait dans son esprit :
- Vous avez reçu un antidote tous les deux ; quelques heures en caisson et vous ressortirez comme neufs.
- Ne t'inquiète pas, transmit-elle, je vous attendrai, je ne veux pas partir sans vous trois. Je t'aime.
À son air bizarre, elle se demanda s'il comprenait. Elle chercha d'autres mots, pour expliquer qu'ils allaient tous mourir, mais elle abandonna, trop épuisée pour dire des choses aussi compliquées.
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Quand elle se réveilla, Naelmo était allongée dans un lit à l'hôpital de Portneuf, sa mère somnolant à son chevet. Elle aurait reconnu cette odeur médicale entre mille. Elle s'étira, se sentant bien, quoique fatiguée.
- Pourquoi on est là, m'man ?
Sa mère sursauta, puis se mit debout et lui saisit la main avec enthousiasme.
- Elle est enfin revenue parmi nous, Del.
Son père débarqua, une expression de soulagement indescriptible sur le visage. Il paraissait épuisé avec son teint blafard, ses yeux cernés et ses traits aussi fripés que ses vêtements. D'ailleurs, Théola n'affichait pas une mine plus guillerette.
- Vous n'avez vraiment pas l'air en forme tous les deux, commenta Naelmo.
Théola éclata de rire et fut bientôt rejointe par Delum, qui pleurait tout autant qu'il riait.
Son père se calma le premier et lui demanda ce dont elle se souvenait.
- Je ne sais plus... J'ai l'impression d'avoir rêvé, je ne distingue plus ce qui est réel de ce qui ne l'est pas... On marchait dans la forêt, Shielfen me tirait en avant... Shielfen ? Il va bien ?
- Oui, il se porte à merveille. Tu le verras tout à l'heure.
Naelmo fronça les sourcils. Elle avait compris des choses importantes, puis les avait oubliées. Elle devait se souvenir...
- La sylve... la sylve a failli me tuer, n'est-ce pas ?
Comme sa mère acquiesçait d'un bref hochement de tête, Naelmo poursuivit, sa voix s'affermissant :
- La sylve va tous nous tuer.
Satisfaite d'avoir délivré son message, elle replongea dans un sommeil lourd.