Ce soir-là, Naelmo eut encore plus besoin que d'habitude de s'accrocher à une normalité familiale : leur normalité à eux trois, pas celle des bons citoyens de PortNeuf.
- Maman, on va se baigner ? demanda-t-elle à Théola dès l'arrivée de celle-ci.
Comme sa mère la regardait d'un air un peu ahuri, perdue dans ses pensées, Naelmo insista :
- À notre piscine.
- Tu veux dire au trou d'eau ?
- Bouh, c'est sûr, trou d'eau, ça donne pas envie. Par contre, si tu parles d'un bassin naturel à l'onde limpide, entouré de rochers moussus et recouverts d'exquises fleurs scintillantes, là tout de suite, ça rend mieux, non ? On part, papa nous y rejoint ?
Elle avait tout débité sans reprendre son souffle, sur un ton clownesque parodiant les publicités. Pourvu que sa mère dise oui ! Contrairement aux apparences, Naelmo était tendue à bloc, les nerfs et les muscles noués sous l'effort d'enfermer ses angoisses au fond d'elle-même.
Ignorante du tumulte intérieur que sa fille cadenassait tant bien que mal, Théola sourit à ses balivernes et acquiesça d'un signe.
****
La « piscine privée » de la famille se trouvait à une quinzaine de minutes en scooter depuis la maison. Deux heures à pied, à condition de ne pas se perdre. Autant dire que personne ne connaissait l'endroit, à part eux. On pouvait véritablement parler de trou d'eau, dans la mesure où la surface liquide affleurait le sol en un cercle presque parfait, ne s'en distinguant que par les mouvements tranquilles de l'onde.
Installée derrière Théola sur le petit engin, les bras autour de sa taille, le nez dans son cou, Naelmo se ressourçait en humant la senteur familière de sa mère, mêlée à celle, lourde, de la forêt. Et ça marchait ! Voilà ! C'était ça, exactement ça ! L'odeur de ce qu'elle appelait son chez-soi : un mélange incongru d'humain et de sylve, qui n'appartenait qu'à elle.
À mesure qu'ils s'enfonçaient sous le couvert, la chaleur devenait intense, la vapeur en suspension plus dense. Naelmo finit par se cacher le visage derrière le dos de Théola, pour éviter de suffoquer en avalant l'air humide et brûlant qui se précipitait dans ses poumons. Il était encore tôt, la température redescendait à peine de son apogée journalier. Cela donnait quelque chose comme un hammam naturel, dans les quarante-cinq à cinquante degrés, si ce n'est qu'ils allaient y être exposés bien davantage que la demi-heure recommandée aux thermes. Mais heureusement, l'eau serait là pour les rafraîchir.
Sur certaines planètes tempérées, avait lu Naelmo, on transpirait dans une pièce surchauffée, avant de s'élancer à l'extérieur dans une atmosphère réfrigérante et de plonger dans une eau emplie de glaçons.
Ici, eh bien... c'était une adaptation d'un principe similaire « chaud-froid », sauf que l'extérieur était chaud, et la piscine... tiède. Il n'y avait rien de vraiment froid sur Hevéla, même aux pôles. Seules les nuits des zones défrichées descendaient au-dessous de zéro à la saison la plus fraîche.
Déjà dans l'eau, Delum les attendait. Il se détendait, les yeux fermés, en respirant les effluves douceâtres des fleurs de nepols, grandes hampes orange aromatiques à divers stades de maturité : les fiers étendards à la senteur suave se mêlaient aux nouilles flétries pourrissantes. Un mélange étonnant pour des nez humains, habitués aux parfums standardisés des produits de nettoyage chimiques de la ville. Encore un endroit que les citadins n'apprécieraient pas, se dit Naelmo, le nez grand ouvert, les narines frémissantes. Pour elle, une promenade dans la sylve était un festin de tous les sens ou presque, goût excepté, car rien ici n'était comestible.
Autour de son père, la forêt s'allumait. Dans un ciel d'un bleu-vert sombre, la lumière du soleil mourait rapidement, remplacée par celle des innombrables plantes fluorescentes. Les feuilles au-dessus d'eux formaient un toit violet, éclairé d'une lueur timide par de petites loupiottes jaunes et blanches. C'était l'heure que Naelmo préférait, l'heure de la métamorphose. La sylve prenait son visage de la nuit, qui méritait à lui seul qu'on vienne jusqu'ici pour l'admirer, le toucher, le respirer, l'aspirer par tous les pores.
- J'ai testé, vous pouvez y aller, annonça Delum
- À quoi ça sert de vérifier à chaque fois, papa ? Il n'y a jamais rien eu de dangereux ici, s'offusqua Naelmo en levant les yeux au ciel.
- Ah, je sais bien qu'on ne va pas y trouver une hydre, dit-il innocemment alors que Naelmo pâlissait. Mais quand même, tu crois qu'on connaît tout sur cette planète ? Je ne fais pas confiance à la sylve quand il s'agit de la sécurité de mes deux fleurs.
Secouée par la référence de Delum à l'hydre, Naelmo ne releva pas le « mes deux fleurs » comme elle aurait pu le faire.
Oublier l'hydre, voilà... et penser à son père et ses expressions ridicules. Sur ce sujet, Delum bénéficiait le plus souvent de son indulgence. Au moins, il montrait le bon goût de ne pas employer ce genre de petits noms gracieux en dehors de leur cercle familial.
Décidée à profiter malgré tout du moment, Naelmo se débarrassa en quatrième vitesse de ses vêtements déjà trempés de sueur pour se jeter dans l'eau merveilleusement fraîche. Enfin, fraîche... question de point de vue. Plus froide que la température du corps en tout cas. Donc techniquement, ça rafraîchissait, même si elle devait approcher les trente-deux ou trente-trois degrés.
Installée près de son père dans l'eau tiède, Naelmo se relaxa enfin. Sa mère leur fit passer à chacun une citronnade glacée extraite des sacoches isothermes du scooter. Ils la burent la nuque appuyée contre le bord moussu du bassin, la tête levée vers le ciel
Au-dessus d'eux, l'éclairage s'était fait moins timide, plus coloré aussi, avec des jaunes, des verts tendres et de surprenants scintillements mauves, clignotant sans logique apparente. Les lumières fixes matérialisaient des plantes, se rappela-t-elle, les autres provenaient de petits insectes, minuscules lucioles mâles cherchant à attirer l'attention de quelque femelle. Animal ou végétal, qu'importe, le spectacle était grandiose !
Du reste, les plantes luminescentes n'étaient pas rigoureusement immobiles, elles oscillaient joliment au gré de la légère brise, qui apportait un air froid depuis le dessus des arbres. Ces géants parvenaient malgré tout à protéger la marmaille végétale tapie sous leurs jupons en étendant leurs feuilles comme des tuiles, limitant l'entrée du courant glacé. Un équilibre fragile, un pari gagné sur le froid tous les soirs, sauf dans les zones trop proches des humains, condamnées à brève échéance.
Une fois rassasiée du spectacle, Naelmo demanda :
- Pourquoi la colonie ne met-elle pas plus de moyens pour l'exploration de la planète ? Tu ne réussiras jamais à tout inventorier tout seul ! J'ai fait des calculs, ta vie entière n'y suffirait pas. Bon, en revanche, ça t'assure un boulot à perpétuité.
Théola éclata d'un rire clair et répondit pour Delum.
- Toi et tes calculs ! La vie de ton père, la mienne et la tienne n'y suffiraient pas, voyons !
Elle redevint sérieuse et fit un signe de tête vers Delum :
- Nous avons souvent parlé de cela, ton père et moi.
- La vérité, ma petite fille, exposa Delum, c'est que nous pataugeons au centre d'une vaste hypocrisie. La loi fédérale impose des études sur l'écosystème de chaque planète découverte. Ici, ils ont prévu un xénobiologiste. Un seul. Le salaire d'un pauvre type comme ton père et pas un sou de plus, ou si peu.
- La planète ne deviendra jamais une vraie colonie, alors, objecta Naelmo.
- Ce qui compte pour les autorités de la planète-mère, poursuivit Théola, c'est l'évaluation des ressources minières d'Hevéla. Si elle recèle quoi que ce soit d'intéressant, comme des minerais précieux ou des métaux rares, alors à ce moment-là et pas avant, nous obtiendrons de Minzhue les moyens d'explorer la planète et de la faire classer en colonie.
Delum fit semblant de s'arracher les cheveux, la mine épouvantée :
- Une armée de biologistes et de techniciens débarquerait pour quadriller la planète. Ensuite des machines arriveraient pour exploiter ses richesses ou plutôt les piller, puis on verrait déferler des hordes de colons qui détruiraient la sylve.
Il secoua la tête de gauche à droite, écœuré par l'avidité de ses semblables.
- Mais pour l'instant, conclut-il avec un soulagement visible, ils n'ont absolument rien trouvé qui rende cette terre intéressante pour l'économie de Minzhue. Ce n'est pas une planète majeure, comme Belquar ou Arkies, elle n'est pas très prospère, alors elle néglige cet avant-poste minable et lui fournit le moins de moyens possible. Si je disparaissais comme mon prédécesseur, je doute qu'ils se précipitent pour me remplacer.
Naelmo grimaça. Elle ressentait toujours un petit pincement au cœur, quand on évoquait le premier biologiste. Personne ne savait ce qui lui était arrivé.
- Ironiquement, reprit sa mère, ton père est à la fois l'homme le moins important de cette colonie, car il n'a été mis là que pour respecter la loi fédérale, et le plus important.
La jeune fille fronça les sourcils, pas sûre de comprendre comment on pouvait être en même temps le plus et le moins important. Delum l'éclaira :
- Je ne réussirai jamais à prouver que Hevéla est habitable selon les critères fédéraux. Mais si je démontre qu'elle ne l'est pas, je deviens le type le plus important de cette planète, ou plutôt le plus importun, car j'oblige tout le monde à décamper.
Naelmo écarquilla les yeux :
- Mais... mais... papa, tu n'as rien trouvé, n'est-ce pas ?
- Non, rien du tout, mais je ne peux pas m'empêcher de me demander si le précédent biologiste, lui, n'avait pas déniché quelque chose.
- Tu crois qu'on l'aurait fait taire ? murmura Théola, choquée.
- Je n'en sais rien ; non, c'est sûrement aller trop loin, répondit Delum. Je n'ai rien découvert dans ses notes ou dans ses papiers qui indique une trouvaille quelconque, une inquiétude. Non, rien de rien.
- Alors, pourquoi ces doutes et pourquoi maintenant ?
- Aucune idée. Je me sens mal à l'aise par moments dans la sylve. Comme si... quelque chose clochait, mais que j'étais infichu de voir quoi... Et je fais de drôles de cauchemars.
- Bienvenue au club ! murmura Naelmo, qui rêvait de toutes sortes de choses bizarres, ces derniers temps.
Sa mère l'ignora et insista :
- Les songes peuvent nous éclairer, parfois.
- Je rêve que la forêt m'écrit des messages, explicita Delum, que tout ce qu'elle nous montre constitue un signe. Dans mon rêve, des plantes inscrivent un texte devant moi, en lettres fluorescentes, que je suis incapable de déchiffrer.
Il soupira.
- Mhm, verdict ?
- Mon malheureux papa travaille trop, tenta Naelmo, il voit des fantômes derrière chaque feuille.
- Ou alors, corrigea Théola, tu sais quelque chose, mais ton cerveau le cache et refuse de te fournir la clé pour l'exposer au grand jour.
- Pfff, je suis un pauvre humain ordinaire et un garçon simple, rétorqua-t-il avec autodérision, mon cerveau n'est pas capable d'une telle duplicité. Je laisse ça aux sorcières de votre genre.
Théola prit un air indigné, mais ne le conserva pas dix secondes avant d'éclater rire. Du plat de la main, elle lui projeta de l'eau en pleine figure.
- Eh bien ! Les sorcières de notre genre ne peuvent rien pour toi. Si tes intuitions sont enfouies au-delà de ta conscience, il n'y a que toi qui réussiras à les exhumer.
Naelmo se dit que sorcière, oui, vu ce qu'elle avait fait dernièrement, elle méritait sûrement un peu le qualificatif. À tout prendre, elle préférait ça à l'hydre, qui s'effaçait déjà comme un mauvais rêve. Quant à son père, il travaillait trop, ça, c'était un fait.
Avec un cri de guerre, elle se lança dans l'arrosage, elle aussi.
****
Une fois le calme revenu, Théola évoqua avec eux les petits soucis de son travail, puis Naelmo parla de l'école, du concours fédéral qui approchait. Ces séances au bain servaient à cela : détendus dans l'eau, sous la voûte éclairée, ils partageaient, racontaient, faisaient le point. C'était aussi l'occasion pour Naelmo de s'immerger dans leur présence familière, loin de la pression des citadins. Cela faisait du bien à tous de se retrouver, de déposer une partie du fardeau quotidien, même si dans le cas de la jeune fille, les confidences restèrent incomplètes.
Quand ils reprirent le chemin de la maison, baignant dans l'atmosphère féerique de la sylve nocturne, ils se sentaient apaisés, leurs soucis loin derrière eux, leurs mauvais pressentiments ridicules et exagérés. La forêt faisait cet effet, parfois, à ceux qui savaient s'y abandonner.
Alors pour Naelmo mon avis est nettement plus compliqué que pour Arthen.
On va commencer par les points positifs et puis on va border le bloubi-boulga dans ma tête ^^.
Tout d'abord, mon dieu j'aime cette forêt! Je ne m'engage pas à la dessiner parce que quand j'ai trop de dessin sur ma liste d'attente je finis par en abandonner et c'est frustrant mais je garde quand même cette forêt dans un coin de ma tête!
Et ces petites intros de chapitre qui font qu'on en sait plus sur l'hyperespace et sur les différentes planètes, c'est tellement kioul. Ca me fait dire que tu dois avoir tellementenvie de developper cet univers et les différentes cultures et voilààà, je suis super admirative de tout ça.
On va arriver au point compliqué dans ma tête qui se défini en un seul mot: Naelmo.
Je dirais bien que jusqu'au chapitre 8, Naelmo je ne pouvais pas trop la voire en peinture, vulgairement parlant:
Jolie, mince, intelligente (surdouée!!), spéciale, blonde venitienne, avec l'animal de compagnie qui la kiffe et le pote BG (Attention, je trouve que tu as peut-être un peu trop de personnages beau; c'est une critique que je fais beaucoup mais c'est bien de varier un peu ou même de définir quelqu'un comme beau en passant par des caractéristiques imparfaites).
Je n'aimais pas non plus la description superficielle des humains de la ville bien que je sois moi-même une adepte de la campagne, ce dénigrement du commun des mortels m'agaçait.
Et puis bam, chapitre 9.
Voilà, voilà...
Et après je me suis dit: Est-ce que Naelmo tu ne vas pas en faire un personnage qui va sombrer dans les forces obscurs?
Et ça, ce serait vraiment très cool.
D'un côté Arthen en "force positive" et sa soeur de l'autre côté en boss de fin (je fais des palns sur la comète). Naelmo quitterait le rang des personnages attachants auquel on s'identifie (comme Arthen) pour se ficer dans les persos intéressant où on frémit de voir ce qu'ils vont faire.
Bref, je suis tourmentée dans mon coeur. Du coup, si tu pensais garder Naelmo comme personnage qui va conserver un aspect positif, je te conseille vraiment de lui ajouter plus de défauts ou de handicap social (Elle pourrait être ronde par exemple, ça accentuerait le visage poupin et justifierait mieux son désir de s'éloigner des autres et de porter des vêtements qui la dissimule; dans la foulée, j'ai beaucoup de mal avec ce passage où elle dit qu'elle n'est pas contente d'être jolie, ce serait plus intéressant de tempérer en disant par exemple qu'elle était coquette enfant mais qu'à cause de son secret elle doit essayer de passer inaperçue)
Si en revanche tu pense la faire rejoindre les troupes de dark Vador, je conseille peut-être de glisser un petits peu plus d'indice sur untempérament propre à la manipulation avant, histoire de titiller le lecteur sur quelque chose de négatif plus tôt (le passage dans le chapitre 1 était super cool d'ailleurs).
Bref, tout ça ressemble beaucoup à des conseils (et ce ne sont bien sûr que des conseils hein ^^) pour corriger encore et je me sens très désolée :(.
Mais dans l'ensemble je trouve toujours tout cet univers vraiment chouette et j'attends la suite avec tellement d'impatience! et je me demande trop si à terme Arthen et Naelmo vont se retrouver face à face ^^. Et ça donne envie de relire le journal d'un chasseur aussi!
Voilààà, des gros bisous et à bientôt!
Naelmo... Je dirais que Naelmo est un challenge, pour moi, parce que comme tu le soulignes, elle est spéciale, intelligente, jolie, mince... Et je suis sur le fil entre le "cliché" de la fille parfaite et la réalité que je veux donner au personnage, lequel est en total décalage avec ceux qui l'entourent et verse vers l'arrogance (au moins au début). Côté handicap social, elle en a un de taille qui est sa nature profondément "alien" de télépathe au milieu de gens non seulement "normaux" mais viscéralement hostiles aux télépathes. C'est ça que je veux faire passer, mais peut-être que je n'y réussis pas vraiment.
Pour le passage où elle critique son physique, il est peut-être un peu rapide : ce que je veux dire, c'est que là encore, elle se sent en décalage entre ce qu'elle ressent et ce qu'elle voit dans le miroir (un visage typique de petite fille fragile et gentille, alors qu'elle se sent - à tort - bien plus forte que ça, et - à raison - bien plus spéciale).
Si la description des humains de la ville est superficielle, c'est avant tout parce que Naelmo les voit de cette manière, puisqu'on les voit à travers elle.
Dooonc au final, c'est normal qu'on ne la trouve pas sympatique au début, et même qu'elle "agace" un peu, mais il ne faudrait pas qu'on la trouve trop "cliché" ou trop parfaite.
Quant au chapitre neuf, il marque un tournant, c'est sûr, et rend le perso tout de suite beaucoup moins "lisse" avec cet aperçu du "côté obscur". (bon je raconte pas la suite, hein ?)
Je retiens ta réflexion sur mes persos un peu trop physiquement beaux. C'est vrai qu'en réfléchissant, ils ne sont pas tous beaux, mais aucun n'est vraiment décrit comme moche, sauf peut-être Delum par moment... hum, hum (promet d'y réfléchir....)
Merci et gros bisous !