Objet : Accident ?

Par Rachael

Bien installée dans sa chambre à la maison, le buste calé contre de gros oreillers, Naelmo reprenait des forces. À côté d'elle, le nenem modulait ses accords apaisants en réponse à ses caresses. Deux jours après son réveil, elle se sentait encore vidée, le cerveau cotonneux. Elle maudissait la faiblesse qui obscurcissait son esprit et l'empêchait de trouver les mots justes pour faire partager aux siens sa conscience du danger. Entre deux sommes, elle passait ses moments d'éveil dans un état d'angoisse et de tristesse : la forêt, sa forêt adorée, voulait leur mort. Naelmo en était profondément convaincue.

Surtout, elle ruminait sa fureur. Personne ne l'avait prise au sérieux. Personne, pas même sa mère !

Delum lui avait expliqué que dans une partie de la zone qu'ils avaient explorée, quelque chose exhalait un gaz toxique pour l'homme. Un neurotoxique, avait-il précisé, qui ciblait le système nerveux et aurait pu provoquer toutes sortes de dommages s'ils l'avaient respiré un peu plus longtemps, les uns et les autres.

Ils avaient été sauvés par l'alerte qu'avaient lancée les analyseurs d'air de la navette, au bon moment, juste avant que Delum parte rejoindre les deux égarés. Il s'était muni des bonbonnes d'oxygène ajoutées par précaution dans leur équipement après la disparition du précédent xénobiologiste. Au moins maintenant, ils tenaient une théorie très plausible sur ce qui avait pu lui arriver.

Revenus à Portneuf, ils avaient tous passé une nuit entière en caisson médical pour débarrasser leurs organismes du composé chimique nocif. Plus jeune et plus légère que les autres, Naelmo avait été la plus touchée et était restée une demi-journée supplémentaire en médicaisson ; cependant, selon les médecins, elle n'en garderait aucune séquelle au-delà d'une fatigue de quelques jours.

- Toutes ces impressions bizarres que tu as ressenties, avait expliqué un docteur, comme l'obscurité, la contraction du temps, ce ne sont que des effets du neurotoxique sur ton corps.

- Pourquoi faisait-il si sombre ?

- C'est simple : à cause du gaz, tes pupilles étaient rétractées et laissaient passer très peu de lumière jusqu'au fond de tes yeux. C'est de là que venait cette vision crépusculaire.

Évidemment, à lui, elle ne pouvait pas dire qu'elle avait senti une présence. Elle l'avait en revanche affirmé à son père, puis à sa mère, plusieurs fois, dès qu'elle les avait vus en privé. Plus tard, à la maison, elle avait essayé de les convaincre :

- Je suis sûre d'avoir repéré la présence avant de respirer le gaz, le soir. Nous nous reposions, bien à l'abri dans la navette avec son système de filtration d'air.

- C'est ce que tu penses maintenant, avait avancé son père, mais un des effets de ce genre de perturbateurs est de chambouler les repères dans le temps et l'espace. Tu as perdu la notion du temps et mélangé les événements.

- À quoi ressemblait-elle, cette présence ? avait demandé Théola.

Là, Naelmo s'en énervait encore, elle n'avait pas réussi à s'expliquer autrement que par des concepts fumeux :

- C'était là, mais ça n'avait pas de forme, de direction ou de structure... C'était parfois à droite, parfois à gauche, parfois devant... Maman, je suis sûre que la sylve nous voulait du mal !

Théola l'avait regardé avec scepticisme,

- Il faut que tu te reposes, Naelmo. Tout ça s'éclaircira dans ton esprit quand tu iras mieux.

- Papa, plaida-t-elle, tu as dit toi-même que tu te sentais mal à l'aise dans la sylve, l'autre jour.

- J'admets qu'il peut y avoir du danger. La forêt est encore largement inexplorée. Je compte enquêter avec le plus grand sérieux sur l'origine de ce gaz et sa répartition. Mais d'ici à imaginer qu'une forêt cherche à nous tuer, il y a un pas, quand même !

- On en reparlera plus tard, d'accord ? avait conclu sa mère.

Elle en aurait pleuré de rage si elle ne s'était pas sentie tellement fatiguée...

Pour en rajouter, les parents de Shielfen avaient décidé de le cloîtrer chez lui pendant sa convalescence, alarmés par ce qu'ils appelaient les fréquentations critiquables de leur fils. Naelmo en était réduite à échanger avec lui par communicateur interposé, car sa faiblesse l'empêchait de combler en esprit la distance qui les séparait.

Dernière catastrophe en date, elle avait passé sa colère sur lui, quand il avait - lui aussi - mis en doute ses impressions, en lui disant qu'elle avait probablement fantasmé la présence dans le délire provoqué par le gaz.

Résultat, Naelmo se sentait seule et misérable, abandonnée de tous. Elle envoyait depuis deux bonnes heures des mots d'excuse de plus en plus désespérés à Shielfen, qui boudait dans son coin et ne répondait pas.

Alors qu'elle commençait à décrocher, basculant vers un sommeil désirable, un message sur son communicateur lui tira l'œil : expéditeur inconnu et une provenance marquée « longue distance ». Intriguée, elle ouvrit la missive :

 

De : #k26¤|348=0~

Objet : Accident ?

Qu'as-tu « vu » là-bas ?

 

Naelmo était parfaitement éveillée à présent ; son cœur avait accéléré et cognait dans sa poitrine, en même temps qu'une sueur froide la glaçait. On reprochait souvent aux spions de « voir » dans l'esprit des gens. Ce verbe et ces guillemets ne pouvaient pas avoir été utilisés de manière innocente. Et le sujet ? Pourquoi avoir mis un point d'interrogation après « accident » ? Aucune signature ne venait ponctuer le texte.

Un frisson d'excitation et de peur la parcourut.

C'était aussi la première fois de sa vie qu'elle recevait un message depuis l'outre planète. Elle vérifia les certificats : impossible de déterminer la provenance, toutefois la missive avait transité par l'hyperespace. Personne ici ne se serait amusé à payer un transfert pour le plaisir de la blague. Pourtant, elle ne connaissait personne en dehors d'Hevéla. La ligne de retour était cryptée, acquittée d'avance et sans limitation de taille ou de nombre d'envois. L'inconnu avait vraiment envie qu'elle réponde.

Elle aussi en avait envie... par d'autres questions : comment savait-il qui elle était ou plutôt ce qu'elle était ? Comment avait-il appris qu'elle avait « vu » quelque chose dans la sylve ? Elle ne l'avait dit à personne, à part ses parents et Shielfen. Qui était-il ? Que voulait-il ?

Il lui apparut soudain, en filigrane du message, que son correspondant avait découvert son secret, celui qu'elle pensait caché, ignoré de tous à part Théola et Delum. Ses poils se hérissèrent, et une angoisse lui comprima l'estomac, à la limite de la nausée.

Impossible !

Naelmo percevait les ondes de toute sorte, ce qu'elle avait d'emblée cru normal pour des télépathes jusqu'à ce que sa mère la détrompe. À l'époque, elle vivait encore sur Druthk, baignée dans la civilisation, avec son abondance de réseaux palpitants qui dessinaient les contours de la métropole pour elle.

- Les humains ne sentent rien, avait expliqué Théola. Ni les pensées, ni les émotions, ni les ondes qui nous entourent. Moi, je capte les émotions et des bribes de pensées, mais c'est tout. Toi, tu vois tout, avait-elle ajouté, mais personne ne doit jamais le savoir, à part nous trois.

Naelmo avait accordé peu d'importance à tout cela par la suite ; « entendre » ou « voir » les ondes, cela lui semblait sans utilité concrète. Jusqu'au récit de sa mère, l'autre jour, sur ce mystérieux garçon qui lui ressemblait et qui « contrôlait les champs d'énergie »...

Or, ce que la jeune fille avait perçu dans la forêt était d'une tout autre nature qu'une aura humaine ; un champ d'énergie particulier, oui, c'était ça... un champ qu'elle seule pouvait « voir ». Son correspondant l'avait-il compris ?

Naelmo éteignit son communicateur avec des gestes fébriles, comme s'il allait la mordre, avant de trouver sa réaction ridicule. S'il savait, il était de toute façon trop tard pour y changer quoi que ce soit.

Harassée, incertaine, elle ferma les yeux et, malgré l'angoisse qui lui serrait le cœur, elle sombra en un instant dans un sommeil comateux.

 

****

 

Quand Naelmo souleva les paupières, après plus de trois heures d'un sommeil pesant, elle avait faim pour la première fois depuis l'accident. Elle se leva et descendit retrouver sa mère, restée à la maison pour elle. Elles déjeunèrent en bavardant de petites choses, comme si rien ne s'était passé. Elle repensa au mystérieux message, avec un sentiment d'irréalité : cela semblait si absurde, elle avait tout simplement rêvé.

En remontant dans sa chambre, déjà fatiguée, Naelmo s'allongea et attrapa son communicateur. Elle aperçut qu'un message était arrivé : Shielfen.

 

De : Shiel

OK, tu es pardonnée pour cette fois... Appelle-moi.

 

Elle sourit, contente, mais son sourire et son esprit se figèrent en redécouvrant l'autre message, celui qui restait sans réponse et qu'elle ne pouvait plus ignorer désormais. Il était toujours là ; il n'avait pas disparu, et elle ne l'avait pas rêvé comme elle l'avait cru. Elle fit une pause, entortilla pensivement sa natte - la noire - autour d'un doigt, tira aussi un peu sur la rouge pour ne pas faire de jaloux, puis rouvrit le billet.

 

De : #k26¤|348=0~

Objet : Accident ?

Qu'as-tu « vu » là-bas ?

 

La phrase tourna en boucle dans sa tête un long moment, déclenchant à nouveau une angoisse irrépressible, cette fois-ci devant les mots choisis : qu'avait-elle « vu » là-bas ? Elle s'avouait bien incapable de le dire.

L'idée que cet inconnu lui posait la question qu'elle ressassait elle-même depuis l'accident finit par la décider à répondre. Puisque cet homme - ou cette femme - avait déjà mis au jour son secret, que lui restait-il à perdre ?

Elle réfléchit, tenta des formulations dont aucune ne la satisfit. Elle contempla ses essais avec une moue : une présence (trop vague), la forêt est vivante (bien sûr qu'elle l'est, avait-elle rageusement ajouté), la forêt pense (non, non !), une conscience dans la forêt (biffé d'une croix).

Soudain, Naelmo sourit et écrivit d'un trait sur l'écran : « Une aura sans centre ni périphérie, sans corps ni cœur. »

Elle se relit, satisfaite. Cela sonnait juste, un rien dramatique peut-être, toutefois il fallait bien se contenter des mots inventés par les humains ordinaires, peu adaptés à décrire les expériences des télépathes.

Elle envoya le message comme on lance une bouteille à la mer, puis ferma les yeux, la tête embrumée d'avoir trop réfléchi. Mais tout continuait à tourner dans sa tête, et elle se redressa soudain en réalisant qu'elle avait complètement oublié de réclamer l'identité de son mystérieux correspondant.

Aurait-il satisfait sa curiosité ? Tant pis pour cette fois-ci, il ne restait plus qu'à attendre sa réponse.

Naelmo appela Shielfen et bavarda avec lui quelques minutes après lui avoir présenté des excuses en règle pour ses débordements verbaux. Elle ne parla pas de la forêt ni de ce qui s'était passé et lui non plus. Peur mutuelle de se chamailler de nouveau ? Shielfen ne pouvait pas réellement comprendre, avait-elle décidé ; seul un spion en serait capable, et encore fallait-il qu'il soit comme elle. C'était bien pour ça que même Théola ne la croyait pas. Cela jetait un éclairage pour le moins inquiétant sur la nature de celui qui lui avait envoyé ce message si troublant.

Naelmo peina à suivre les potins que Shielfen lui débitait pour la distraire : la révélation que ses admiratrices faisaient la queue devant chez lui la laissa de marbre. Même le portrait moqueur de sa mère en dragon protecteur, veillant à ce que les filles se contentent d'une bise sur la joue, ne la dérida pas. Naelmo abandonna finalement Shielfen à ses copains musiciens, qui venaient d'arriver pour le voir.

Ses pensées la ramenèrent tout droit vers l'inconnu. C'était peut-être la nuit chez lui, ou alors il allait mettre des heures à rédiger ? Résignée à patienter pour obtenir une réponse, elle descendit voir son père dans son atelier.

Concentré sur son travail, Delum ne l'entendit pas entrer :

- Alors, cette forêt, elle livre ses secrets ? demanda-t-elle sur un ton faussement léger.

Il sursauta, la regarda sans la voir, avant que son visage ne se fende d'un large sourire.

- Tu es là !

Il la prit dans ses bras et pressa fort, presque trop.

- J'ai eu peur, tu sais, murmura-t-il d'une voix grave. Je ne me le serais jamais pardonné s'il t'était arrivé quelque chose de sérieux.

- La sylve nous a tous piégés, déclara Naelmo avec dépit.

Il soupira.

- Piégé, ça, je ne me hasarderais pas à l'affirmer, mais elle nous a tous mis en danger, et je doute que ça soit terminé.

Naelmo le regarda avec espoir. Avait-il pris conscience du péril à présent ?

- J'ai trouvé la provenance du gaz, expliqua-t-il. Grâce aux échantillons que j'avais prélevés avant de partir de là-bas. Il est issu de la fermentation d'une fleur. Une très jolie ombelle...

Il lui montra un cliché, sur lequel elle crut reconnaître une plante qu'ils appelaient familièrement la lili et qui poussait partout.

Elle releva la tête vers lui, une question dans ses yeux écarquillés :

- C'est très fâcheux, râla-t-il en réponse. Regarde, on dirait la lili, mais la corolle est bleutée, pas blanche. La Salpitèrenadième vulgaris compte parmi les espèces les plus répandues dans cette partie de la sylve. Elles se ressemblent comme deux gouttes d'eau.

Pff, Salpitèrenadième vulgaris ! Lili, ça sonnait quand même mieux. Naelmo trouvait toujours les noms scientifiques, composés pourtant suivant une classification très stricte et précise, absolument ridicules. De quoi décourager quiconque de devenir botaniste.

- Et alors ? demanda-t-elle.

- Alors, pour la repérer et découvrir jusqu'où elle s'étend, ça risque d'être particulièrement délicat.

Il balaya l'espace autour d'eux d'un geste ample :

- La première pousse partout... et la seconde peut s'y mélanger n'importe où. Ah, mais, ne t'inquiète pas, il n'y en a pas par ici pour le moment.

Naelmo resta bouche bée. Une plante assassine, négligemment semée au beau milieu d'une espèce des plus courantes. Un vrai cauchemar !

Elle se sentit libérée, la tension la quitta brusquement. Qu'il croie ou non les « divagations » de sa fille, Delum avait acquis une conscience du danger. Il ferait ce qu'il fallait pour les mettre à l'abri.

- Je veux t'aider, déclara-t-elle avec fermeté.

- Commence donc par reprendre des forces. Ensuite on avisera.

Naelmo entendit de la fierté dans la voix bourrue de Delum et en trouva un écho dans ses émotions, malgré la fatigue qui avait émoussé jusqu'ici toutes ses perceptions télépathiques. Ils se regardèrent avec affection, père et fille.

La convalescente mangea avec avidité, sans presque s'intéresser à ce qui emplissait son assiette ce soir-là, tant le soulagement lui donnait de l'appétit. Elle monta ensuite se coucher et dormit d'un trait jusqu'au matin, d'un sommeil serein et réparateur.

 

****

 

Le lendemain matin, elle nota une nette amélioration de son état. La fatigue cédait du terrain pour la première fois depuis l'accident. Elle revivait, la force affluait en elle, et son esprit était dévoré de curiosité. Elle avait déjà démontré par le passé qu'elle savait se rendre utile à son père. Aujourd'hui, le temps jouant contre eux, il ne refuserait pas l'aide qu'elle comptait lui proposer de nouveau.

Avant de descendre le rejoindre, elle ne put s'empêcher de consulter son communicateur. Là, un message l'attendait depuis le milieu de la nuit. Elle avait eu raison, son énigmatique auteur devait dormir hier soir. Elle hésita, effrayée en même temps que curieuse. Que lui apporterait cette réponse ? À part des ennuis ? Ah, tu n'es qu'une gamine épouvantée par son ombre, se sermonna-t-elle.

Cédant enfin à l'envie qui la démangeait, elle se jeta sur le billet comme une affamée et vit apparaître les mots :

 

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Objet : Accident ?

La forêt pense-t-elle ?

 

Elle fut presque déçue. Elle avait écarté ce mot « penser », parce que ce n'était pas ça, la forêt ne pensait pas, pas comme un humain. Pourtant, la faculté de cet inconnu à suivre son raisonnement, à se poser les mêmes questions qu'elle la stupéfiait.

Elle répondit cette fois sans hésiter : « Je croyais que seuls les humains pensaient ? »

La réponse arriva rapidement, en moins de cinq minutes, comme Naelmo s'habillait. N'avait-il même pas éprouvé le besoin de réfléchir ?

 

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On a longtemps cru la pensée uniquement humaine. Quelle arrogance ! Les animaux évolués pensent eux aussi ; ils sont capables de raisonner, d'apprendre, de manifester une volonté. Toutefois, leurs processus psychiques nous restent inconnaissables. Seule l'expression de la psyché humaine, utilisant un langage commun, peut être décryptée par ceux qui possèdent la faculté de la capter.

 

Tout en lisant, Naelmo apprécia la justesse du rappel. Elle aurait dû savoir tout cela. Elle comprenait les pensées des adolescents de Portneuf parce que malgré leurs différences, ils parlaient tous la même langue, le standard universel. Aucun doute ne subsistait dans son esprit : celui qui lui écrivait était un télépathe, lui aussi.

Elle réfléchit un moment à une réponse. Une migraine commença à taper derrière ses yeux, à lui serrer les tempes. Maudits soient cette plante et ses effets malfaisants ! Elle avait mal à la tête en permanence depuis son exposition au gaz.

Elle finit par se décider : « Comment savoir alors si la forêt pense ? »

Elle ferma les yeux, espérant une réponse, remettant à plus tard la question de décider si elle devait parler à sa mère de cette étrange conversation et de son mystérieux correspondant.

Là encore, le retour ne se fit pas attendre :

 

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Pensée : flux organisé d'informations véhiculé par un réseau d'énergie.

On sait mesurer la complexité de l'information circulant sur un réseau. La pensée humaine atteint un niveau de complexité un million de fois plus élevé que le plus élaboré des systèmes technologiques.

 

Naelmo haïssait son état migraineux : elle fonctionnait à moins de cinq pour cent de ses capacités habituelles. Enfoncée dans les coussins du lit, elle relut plusieurs fois pour comprendre cette formulation pour le moins étonnante. Une définition de la pensée basée sur les mathématiques ! Cela dépassait largement son niveau et, à vrai dire, elle ignorait même que les mathématiciens s'étaient attaqués à cette question très philosophique.

Le message continuait sur la page suivante :

 

La forêt a-t-elle développé un réseau reliant les végétaux entre eux ? L'utilise-t-elle pour y envoyer de l'information ? Penser ?

La sylve d'Hevéla a-t-elle des intentions, des projets ?

 

Une fois l'interrogation formulée de cette façon, la réponse parut évidente à la jeune fille. Cela semblait pourtant tellement invraisemblable... Est-ce qu'elle fantasmait ?

Elle se leva avec lassitude. Depuis la fenêtre, elle laissa son regard se perdre dans la végétation qui les entourait. Croyait-elle vraiment, sincèrement, que la forêt était mue par une volonté et capable d'actions planifiées ? Elle devait parler, exprimer ses intuitions. « Oui, je le pense », écrivit-elle.

Bien sûr, la question qui en découlait logiquement vint s'inscrire sous ses yeux, à peine une minute après :

 

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Que veut la forêt ?

 

Elle n'eut pas besoin de réfléchir pour exprimer ses angoisses et laisser sortir cette boule qui lui pesait au fond de l'estomac depuis l'accident : « Elle veut que nous partions. Même s'il faut nous tuer pour cela. »

La réponse tarda à venir. Elle mit près de six minutes, d'après le comm de Naelmo, qui trouvait que chaque seconde s'étirait sans fin.

 

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Un organisme collectif comme la sylve ne peut concevoir la notion de valeur d'une vie unique. Tout individu qui constitue un élément de la sylve est remplaçable. Selon cette logique, éliminer des humains ne revêt aucune importance pour elle.

Tiens-toi à l'écart de la forêt jusqu'à nouvel ordre !

 

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