Je venais d’avoir tout juste 18 ans. Mais j’étais surtout brisé aussi bien moralement que physiquement, démusclé et en sous-poids depuis quelques années après avoir abandonné le sport et toute vie sociale après le lycée. Ma vie consistait à dormir, étudier et manger de temps en temps. Tant et si bien que ce garçon finit par s’en agacer. Lui qui travaillait dans le but d’aider et de soigner les autres, il ne pouvait pas supporter ce quotidien qui me cassait à petit feu. Bien qu’il fût à sept cents kilomètres, il me fit promettre pour la nouvelle année de me remettre au sport, en me préparant un programme qu’il me fallait suivre tous les matins avant de commencer à travailler.
Au matin du Nouvel An, dans mon jardin et devant mes escaliers avec une corde à sauter dans la main, l’air qui me brûlait déjà la gorge me fit très vite regretter mon engagement. Mais en serrant mes poings gelés et vérifiant que les pierres de la terrasse n’étaient pas verglacées, je maintins mon cap. Je sortis ma vieille enceinte à pile pour me donner davantage de courage et choisi de faire tourner une chanson au rythme régulier et aux paroles positives pour me soutenir dans ma course. Je pris le temps de profiter des minutes que je perdais dans le froid en cherchant une musique qui correspondait à mes critères, quand en voyant son titre je compris que je ne pouvais désormais plus reculer. Et en lançant I’m Still Here, de John Rzeznik, je me mis à courir.
J’avais toujours été fasciné par le film « La planète aux trésors », pour son univers impressionnant et unique, son animation révolutionnaire et captivante, mais surtout pour ses personnages et leur profondeur. Enfant, il est difficile d’appréhender toutes les problématiques que portent le personnage de Jim Hawkins, mais une fois de plain-pied dans l’adolescence, s’identifier à lui était non seulement évident, mais salutaire pour se redonner espoir. Mais malgré mon amour pour le film, il m’avait fallu longtemps avant d’apprécier « I’m Still Here », notamment à cause de la traduction française qui, bien que très bien interprétée par David Hallyday, a des paroles qui n’ont qu’assez peu de sens ni d’impact. Ce ne fut qu’à l’approche de mes dix-huit ans que je découvris la véritable signification de la chanson sur la recherche d’identité et la reconnaissance de ses proches.
« I am a question to the world, not an answer to be heard or a moment that’s held in your arms. And what do you think you’d ever say ? I won’t listen anyway, you don’t know me and I’ll never be what you want me to be. » Dans cet esprit revanchard, mais qui veut quand même faire ses preuves, je courrais dans mes escaliers. Le programme était simple : il fallait que je monte et descende les marches en courant pour m’échauffer tout d’abord. Ensuite, je devais persévérer sur des séries à la corde à sauter. Enfin, je terminais sur des exercices de gym et de musculation. Il avait essayé d’adapter le programme à mon niveau, mais même lui avait du mal à réaliser à quel point je n’étais plus capable à ce genre de chose. Très vite, je finis par terre, épuisé. Mais en soufflant sur mes genoux, je continuais de compter les secondes. Je ne voulais pas briser ma promesse, mon ambition, dès le premier jour. Je devais surveiller mes pauses.
« And I want a moment to be real, wanna touch things I don’t feel, wanna hold on and feel I belong ! » Malgré la souffrance, la gorge en feu, les jambes flageolantes au bout d’à peine quelques minutes, je ne pouvais m’empêcher de sourire. J’étais entraîné dans le rythme de la guitare, au tempo très mesuré, qui m’enfermait dans une régularité rassurante. Je n’avais plus besoin de penser, plus besoin de stresser ; il fallait simplement s’accrocher, serrer les dents jusqu’à que je me prouve que j’en étais capable. C’est ainsi, alors que le soleil brillait timidement sur l’herbe gelée, que je compris que malgré toutes mes mauvaises notes en éducation physique et sportive durant tout le long de ma scolarité, j’aimais profondément cette sensation de dépassement qui me faisait rêver loin au-dessus de la douleur. Même à mon niveau ridicule, et après des années d’inactivités, j’aimais sans aucun doute le défi que le sport impose à soi-même.
Il ne me fallut pas beaucoup d’effort pour recommencer le lendemain, puis le matin suivant. Pendant plusieurs mois, à la même heure, au même endroit, et avec la même musique, je retrouvais un peu de mes muscles, mais surtout un peu de ma volonté. Cette ambition qui me causa en à peine quelques mois une immense tendinite qui m’immobilisa, cette fois-ci dans le regret. Il me fallut bien longtemps pour reprendre ; mais bien après que ce garçon m’ait quitté, j’ai recommencé, pour de nouveau arrêter et revenir plus tard, faisant une progression en dent de scie, mais tangible. Et bien que je ne deviendrai jamais un athlète de haut niveau, il me fallut que quelques années pour regagner dix kilos de muscle, à mon rythme, me découvrant la capacité de marcher longuement ou de porter des sacs de courses. Malgré toute la souffrance, les difficultés que m’ont apportées le sport et tant d’autres choses ; je suis toujours là.