Interlude

Les hommes sont encore revenus. Cette fois, il ne se jette pas tête baissée dans la mêlée mais leur fait face en vol stationnaire. Quelque chose a changé.

Il sent en lui les pouvoirs de Fordä qui ne demandent qu’à être libérés depuis que sa gueule est débarrassée du lien de cuir. Mais il est las.

Autrefois, il était craint par les ennemis des étendards écarlates aussi bien que par leurs alliés. Partout où il passait, il était considéré avec peur et respect. Autrefois, ses écailles brillaient et son souffle ardent atteignait des distances inconcevables.

Il a décimé un groupe d’hommes quelques jours – quelques heures ? – auparavant. Avec rage. Avec indifférence aussi. La rage et l’indifférence de celui qui a tout perdu et qui n’a plus d’espoir. C’est en contemplant les ruines ensanglantées et les corps brûlés qu’il a compris qu’il ne veut plus vivre. Il recherche la mort car la folie le guette. Il a perdu sa superbe – il le sait – mais il ne veut pas que sa dignité lui échappe.

En observant ceux qui lui font face, en croisant le regard de l’élémancien, il comprend qu’ils ne comptent pas l’emmener sur le champ de bataille. Il comprend qu’ils ne lui feront pas connaître les coups, le gourdin et le fouet. Ils sont là pour l’emporter, lui et sa dignité – elle n’aura pas le temps de lui échapper. Ils sont venus le sauver même s’ils doivent pour ça le perdre.

Ils sont deux. Ou peut-être qu’il n’y en a qu’un. Un cavalier sur une seule wyverne – il n’est pas sûr. Mais ça n’a pas d’importance. Le cavalier charge et brandit une lance. Il sent l’air se refroidir autour de lui, l’atmosphère se charge d’humidité et la lance se hérisse de pics de glace.

Il charge toujours. Le pouvoir de Fordä enfle dans ses entrailles alors qu’il entrouvre sa gueule et que son cou rougeoie. Les flammes sont prêtes à jaillir – il ne s’en ira pas sans se battre. Le cavalier – les cavaliers ? – ne s’arrête pas.

La lance l’atteint en plein cœur et le froid se répand dans tous ses membres. Ses poumons se remplissent d’eau. Ses ailes ne répondent plus, il tombe. Ses flammes ont probablement atteint le cavalier. Dans sa chute, il sent que l’une de ses griffes frôle la wyverne. Cela suffit à la blesser – même émoussées, ses griffes sont puissantes. Il ne l’a pas voulu, il aurait aimé qu’elle survive. La wyverne tombe. Une de plus qui ne se relèvera pas.

Des taches d’obscurité dansent devant ses yeux. Il revoie son nid et entend de nouveau la flûte. Il a si froid. Sa vie défile devant ses paupières closes – la douleur et le nid, l’acier et le sang. Brusquement, il se rappelle.

Il se souvient de ce qu’il a laissé derrière lui en venant.

Et alors que toutes ses forces l’abandonnent, emportées par le froid, il regrette d’avoir choisi la mort.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Edouard PArle
Posté le 21/02/2022
Coucou !
Encore très bien mené cette interlude. Court mais super bien écrit presque poétique. Chapeau notamment pour les dernières phrases et la chute, très jolies. On sent la puissance, le pouvoir, le passé immenses du dragon dont on ne fait qu'effleurer la surface.
Bravo !
A très vite (=
Thérèse
Posté le 28/02/2022
Merci, je suis ravie que ce dernier interlude t'ait plu ^^
Vous lisez