Domadan erra longtemps dans le brouillard après avoir claqué la porte de la cabane. Il ne comprenait pas pourquoi la présence de cet étranger l’enrageait autant. Ou plutôt si, il comprenait mais refusait de l’admettre. Les mots de Galar Im’Radiel résonnaient en boucle dans sa mémoire, comme si la magie sinistre du Grisécaille les y avait gravés au fer rouge.
Ô cruelle jalousie, quand tu nous envahis
En chassant la raison et suscitant l'envie
Tu t'empares sans pitié du cœur de tous les hommes
Même les plus forts d'entre eux devant toi se transforment
Le froid mordant lui brûlait les lèvres tandis qu’il descendait la colline aux chèvres en courant. Il ignorait où aller, mais ça n’avait pas d’importance. Il ne voulait plus jamais remettre les pieds ici. Le regard du poète et la formidable puissance qui l’avait écrasé près du feu le terrorisaient. Cet homme du nord, avec son accent rêche et ses belles paroles, avait fait tout ce chemin pour lui voler sa jumelle. Ses jeux d’ombres et de lumière, ses artifices et ses tours de passe-passe n’avaient servi qu’à lui empoisonner l’esprit. Comment Lilybeth pouvait-elle croire à ces histoires ridicules ? Et surtout pourquoi lui, Domadan Eren, n’avait-il pas reçu le don de magie que possédait sa soeur ?
C’était affreusement injuste. Lui aussi était le fils de Belfara, mais aucune lueur ne brillait dans ses yeux. Il était l’aîné, venu au monde quelques minutes avant sa sœur. Ce pouvoir aurait dû lui appartenir. Combien de fois avait-il rêvé dans leurs jeux d’enfants de parcourir Sundor, de chevaucher les vents et de devenir un enchanteur ? Quel triste avenir l’attendait là-haut sur la colline pendant que sa petite sœur deviendrait une magicienne célèbre dans le monde entier ?
Machinalement ses pas le conduisirent à l’opposé de la Sinistrale, vers les montagnes et l’étang de Criq où il aimait se promener. Un endroit où il adorait jouer dans la neige et construire des cabanes, courir sur la glace et effrayer les oiseaux sauvages. Il se mordit la lèvre en pleurant. Ces souvenirs étaient ceux de son enfance partagée avec Lilybeth. Une enfance sur laquelle, irrémédiablement, il venait de tirer un trait.
Il s’arrêta.
Le silence l’enveloppa, le berça de ses murmures. Il se trouvait au bord d’un sentier qui sinuait entre les versants d’une passe arborée. En face de lui se trouvait le terrain où Brenan coupait son bois, à droite l’orée de la forêt où il tendait ses collets. Le vent caressa ses cheveux emmêlés et sécha ses larmes. Les pâles rayons du soleil matinal ne parvenaient pas à réchauffer l’air mais illuminaient la combe de reflets d’or et d’argent qui donnaient à l’endroit une beauté sauvage.
Il aurait pu demeurer dans ces montagnes. Vivre au rythme des saisons, sans se préoccuper de magie ni de tous les Galar Im’Radiel du monde. Une vie simple et paisible, en harmonie avec la nature, avec la compagnie de Brenan et de son troupeau de chèvres.
Il choisit de s’enfuir sous les frondaisons.
Domadan ne voulait plus de cette vie ordinaire, de ces vastes paysages baignés de lumière. Alors que l’éclat de la vallée l’émerveillait la veille, ce matin-là il le révulsa. Au contraire, l’ombre qui baignait sous les grands conifères l’apaisa. Elle lui paraissait soudain plus réconfortante, plus familière. Dans un coin de son esprit, une mélopée résonna. Puissante, envoûtante, elle l’appelait irrésistiblement à s’enfoncer plus loin dans les ténèbres. Le garçon la suivit sans un regard en arrière.
Une étrange euphorie le gagna tandis qu’il piétinait des fougères et traversait des taillis de ronces. Il était libre. Il se mit à courir, se précipitant vers l’inconnu. Loin de l’étang du Criq, loin de la cabane de Brenan et de tous ses souvenirs. L’obscurité ne l’effrayait plus désormais. Il ôta sa chemise et l’accueillit à bras ouverts, laissant le vent glacial fouetter sa peau durant des heures. Au fond de lui était né un brasier immense et flamboyant qui ne s’éteindrait plus. Les yeux fermés, sans cesser de courir, il se laissa bercer par les flots tumultueux du long fleuve de la colère. Bientôt, il poussa un cri de rage qui fit frémir la vallée toute entière.
Il ne s’arrêta que bien plus tard alors que le soleil approchait de son zénith pour reposer ses poumons en feu. Trempé de sueur, il déboucha dans une clairière à l’ombre d’une paroi rocheuse presque verticale d’où s’écoulait paresseusement un filet d’eau claire. Domadan en but goulûment et s’aspergea le torse pour laver son corps frigorifié. Ses muscles étaient tétanisés par l’effort, son cœur battait douloureusement dans sa poitrine mais il se sentait incroyablement vivant. À vrai dire, il ne s’était jamais senti aussi bien. Quelque-chose en lui s’était éveillé, répondant à l’appel de sa colère intérieure. Une force nouvelle et enivrante qui déferlait comme un ras-de-marée impossible à contrôler. Dans sa tête, la mélopée retentissait toujours. Un sourire aux lèvres, Domadan s’abandonna à son rythme effréné, se laissa envahir par ses pulsations féroces et se mit à chanter.
Au fond de ses yeux noirs luisaient des reflets argentés.
Du coup, Domadan est le frère de Lily si j'ai bien compris ? Je commence à faire des liens avec les persos du prologue, même si tout n'est pas encore 100% clair dans ma tête. D'ailleurs cette forme interlude est plutôt cool pour développer les personnages de l'autre ligne temporelle. Je me dis que ça pourrait être intéressant d'en mettre plus pour faire passer des infos sur l'univers aussi comme ça, ça pourrait même prendre la place du prologue. Je dis ça parce que j'ai trouvé que le chapitre 1 donnait bien plus envie de lire la suite que le prologue (même si bien écrit et intéressant), puisqu'il pose des enjeux assez clairs avec le perso d'Elzara. Mais je divague.
Pour revenir à cet interlude, il est vraiment top. Le cheminement de pensée de Domadan est très bien décrit, on plonge dans ses ressentis, ça aide pour avoir de l'empathie pour le personnage, qu'on devine comme un futur antagoniste. Les descriptions du paysage fonctionnent aussi très bien et en plus, s'insèrent particulièrement bien dans le cheminement de pensée de Domadan. Bref, très bon !
Le titre du chapitre est aussi très bien choisi, colle très bien à ce qui suite (=
Une petite remarque :
"Le silence l’enveloppa, le berça de ses murmures." pourquoi des murmures si c'est le silence ? (sinon la tournure est jolie)
Un plaisir,
A bientôt !
Effectivement, Domadan et Lilyh sont les deux jumeaux du prologue, qui accueillaient chez eux l'étranger Galar Im'Radiel. On découvrait dans le prologue que Lilyh était douée de magie, et Domadan était déjà furieux de ne pas posséder un don similaire à celui de sa sœur.
Cet interlude a pour but de développer leur trame narrative, et d'autres sont prévus par la suite pour continuer d'en apprendre plus sur leur histoire car il s'agit de deux personnages majeurs de mon univers. C'est un essai car il n'y en avait pas dans le premier jet du Sildaros, mais je me suis dit que ça pouvait être intéressant de proposer ce format pour découvrir l'histoire des jumeaux et, au vu des retours très positifs, ça a l'air de bien fonctionner :)
Au plaisir,
Ori'
On comprend tout à fait les sentiments de Domadan. Sa jalousie, sa colère, son envie d'oubli et de liberté. Le moment où il se demande s'il ne devrait pas plutôt choisir une vie paisible est très beau.
J'espère qu'on lire plus tard le départ de Lilybeth.
Ca fait plaisir de te revoir ici et que tu continues de me lire, merci !
Cet interlude était un essai à la base, dans le premier jet de mon roman il n'existait pas. J'avais envie de proposer un moyen de suivre l'histoire des enfants Eren en parallèle, au fur et à mesure que le scénario principal avance et que les autres personnages la découvrent.
Donc oui, il y aura d'autres interludes de ce genre par la suite et certains seront consacrés à Lilybeth :)
Les descriptions vraiment bien et les pensées de persos sont bien amenées et cohérentes. On s'y croirait. Il est vraiment ce Domadan ! 🙂
D'ailleurs, au tout début, tu pourrais presque le montrer plus désagréable avec sa soeur (on se demanderait pourquoi et on ne comprendrait sa jalousie que là). Je me rappelle une phrase où sa soeur se jette dans ses bras un moment, il pourrait la repousser en mode crevard 🙂 (ce n'est qu'une suggestion)
Bref, vraiment bien.
Mes notes (2-3 détails) :
"une magicienne célèbre dans le monde entier ?"
> "célébrée" ? Ou enlever "dans le monde entier" ?
"vers les montagnes et l’étang de Criq où il aimait se promener. Un endroit où il adorait jouer dans la neige et construire des cabanes, courir sur la glace et effrayer les oiseaux sauvages."
> Du fait de la seconde phrase, tu peux presque ôter "où il aimait se promener" qui peut faire redite avec la suite. Mais c'est un détail, ça marche aussi comme ça.
"mais illuminaient la combe de reflets d’or"
> Une autre combe ici. J'imagine qu'une combe, ce n'est pas une formation géologique si fréquente donc est-ce la même qu'au chapitre précédent ?
"Il choisit de s’enfuir sous les frondaisons."
> Cette phrase vient trop tôt, avant les explications de ses pensées
> Je la mettrais là, après ça : "Le garçon la suivit sans un regard en arrière." ?
> D'ailleurs, ce paragraphe était très bien écrit.
Content que cet interlude te plaise, merci pour tes compliments ! C'est un passage qui est totalement nouveau dans mon texte, il n'existait pas avant la publication du Sildaros sur Plume d'Argent. Je me suis dit que c'était l'endroit parfait pour tester ce genre d'aparté, et ça a l'air de bien fonctionner donc j'en ajouterai sans doute d'autres par la suite pour dévoiler peu à peu l'histoire des enfants Eren :)
Belle entrée dans le côté obscur de la force. Ceci dit, la colère n'est pas spécialement une émotion négative mais une émotion, parmi d'autres. L'important est surtout de savoir les reconnaître, les classer, les gérer, les appréhender, les accepter. Mais on comprend le principe :)
Exactement, c'est ce qu'on appelle un basculement vers les ténèbres :)
Après tu as parfaitement raison sur la colère, tout comme la tristesse ou la peur d'ailleurs. C'est l'une des grandes faiblesses de plusieurs personnages dans ce récit, ils associent la naissance des Ombres à une émotion "négative" alors que ça ne vient pas tant de la nature de l'émotion que d'une perte de contrôle.
Tu auras l'occasion de t'en rendre compte dans le chapitre 10 où un personnage important fait cet amalgame.
Et à plusieurs reprises par la suite cela aura des conséquences dans l'histoire, mais je n'en dis pas plus pour le moment ;)
C'est sympa ce petit interlude, je m'attendais pas à ce que tu continues le prologue comme ça. Entre les scènes du passé et les conversations des personnages, les pièces du puzzle se mettent peu à peu en place.
Domadan pourrait passer pour un sale gosse, mais je pense que beaucoup de gens auraient réagi comme lui à sa place, moi la première (à 15 ans en tout cas), alors je vais pas lui jeter la pierre. C'est plutôt normal qu'il ait pas envie de voir sa soeur lui être enlevée, et tout aussi normal d'être jaloux de pas être celui qui est "spécial". Galar avait peut-être raison, mais je pense que ses mots ont fait que jeter de l'huile sur le feu... :p Il sait pas trop s'y prendre, avec les ado, non ?
Est-ce qu'on aura droit à d'autres flash-back ?
Tu vas poster... un chapitre par semaine, t'as dit ? 0:D
Effectivement, j'envisage d'insérer ce genre d'interludes de temps à autres pour apporter des informations supplémentaires sur l'histoire des enfants Eren. C'est quelque-chose que je n'avais pas fait à l'origine dans le premier jet du roman, mais je trouvais l'idée sympa et j'ai voulu la mettre en pratique pour voir ce que ça donne.
Évidemment ils seront toujours brefs, arriveront à un moment où ils apportent une plus-value à la trame principale, et se concentreront sur des moments clés de la vie de Domadan et Lilybeth. Pour le reste, on continuera également de découvrir leur histoire par petites touches aux travers de récits, de la mémoire d'Elraza, et de plein d'autres choses.
Et non, Galar ne sait pas DU TOUT s'y prendre avec les enfants en effet xD
Pour le rythme de publication, j'aimerais réussir à poster un chapitre par semaine sur PA en effet, mais pas forcément sur le Sildaros. J'ai trois histoires qui avancent en parallèle, puisqu'il y a aussi Jaken et Irotia. Donc je pense faire une semaine un chapitre de Jaken, la suivante un chapitre du Sildaros puis un chapitre d'Irotia et ainsi de suite... on verra si j'arrive à m'y tenir, ça représente quand même pas mal de travail :p