– Alors, tu en penses quoi ? demanda Emrys anxieux.
Denis ne sut que répondre à chaud, une fois de plus. Nerveux, il décroisa et recroisa ses jambes. À en croire ce qu’Éric avait écrit, le personnage symbolisé par le lapin l’avait poursuivi inlassablement durant de nombreuses années. Pire, il y avait eu des menaces de mort ; peut-être pire, des meurtres. Il songea à un documentaire diffusé plusieurs semaines auparavant et qui évoquait l’histoire terrible d’enfants en bas-âge enlevés par la pègre chinoise afin de les élever et d’en faire d’implacables tueurs dès leur adolescence. Les éleveurs étaient des monstres sanguinaires qui n’hésitaient pas à faire tuer les gamins les plus faibles ou les plus récalcitrants par leurs camarades. Il se demanda s’il existait d’autres trafics de ce genre dans le monde.
– Vous avez beaucoup voyagé, commenta Denis tout en se reprenant.
Qu’il lui était difficile de tenir une séance construite avec Éric. Dans le même temps, plus il avançait, plus il se passionnait pour ce type.
– Ah ça, oui, rit Emrys. On peut dire que j’ai bourlingué.
– Pourquoi êtes-vous revenu en Alsace malgré cette vie de globe-trotter ?
– Oh, je ne sais pas trop. Je crois que cette région a toujours eu une place particulière dans mon cœur.
– Vous avez aussi été poursuivi, si je comprends bien ce que je viens de lire. Comment avez-vous appris tout cela ?
– C’est le bourrin qu’a lâché l’morceau, intervint Maeleg en renâclant.
– Thanatos ? La Mort.
– Ouais, rrrr… pttteu !
– Ce… ce lapin que vous évoquez…
Chose interrompit Denis en sautant sur son genou. Le psychologue hésita à s’en débarrasser d’une claque. L’animal tremblant le regarda d’un œil inquisiteur ou dénué de toute intelligence, il ne sut le déterminer.
– Ce lapin, disais-je, serait Belzébuth.
– Baal Zebub, c’est son véritable nom, répondit Emrys.
Denis sentit une chaleur soudaine au moment où le hamster lui pissa dessus. Sans savoir quelle ressource lui permit de conserver son calme, le praticien saisit le rongeur par la peau du cou et le posa délicatement sur la table basse qui le séparait de son patient. Il soupira.
– Baal Zebub, d’accord. Pouvez-vous m’en dire plus ? Que pensez-vous du fait que le Diable, le Maître de l’Enfer, vous ait pris en chasse ? Accompagné de la Mort qui plus est.
– Je ne comprends pas la question, avoua Emrys.
– Disons que je m’interroge quant à son identité. Nous y reviendrons plus tard. Je précise ma question. Pensez-vous que vos nombreux voyages aient été motivés par une volonté de fuir quelque chose ou… quelqu’un ?
– Ah ben, oui ! Pour tout te dire, je n’ai peur de rien, mais je sais qu’il ne faut pas que je me retrouve nez-à-nez avec moi-même. Les conséquences seraient terribles !
– C’est-à-dire ? demanda Denis qui eut du mal à cacher son intérêt.
Il tenait enfin un élément concret. Éric avouait craindre de se confronter à sa propre personnalité !
– Eh bien, la destruction du monde. Enfin, des mondes. Il en résulterait le Chaos, le Néant. Le vrai, tu sais.
– Comment ça ?
Denis pensa à nouveau à ce fameux reportage et imagina qu’il existait peut-être pire encore.
– Manu, je me suis trouvé empêtré dans une histoire qui nous dépasse tous. Crois-moi, tout le monde voulait m’attraper et utiliser mes… capacités.
Oh, bordel ! C’était un tueur chinois !