Interlude : Tout vient à point à qui sait attendre

Par mehdib

     Richard se gara dans un parking excentré du centre-ville, où seules quelques épaves trainaient. Il avait pris la voiture de sa femme pour faire son tour ; son nom n'était pas imprimé en lettres rouges sur le flanc du véhicule, c'était plus discret. Il sortit, faisant craquer son dos en grimaçant malgré lui : cette fichue berline était bien plus basse que son pick-up. Il respira l'air de Duli avec dégout : il avait l'impression d'être arrivé dans une déchetterie. Ça sentait le pourri, le renfermé. Cette ville était une triste coquille vide, mais c'était bien pour ça qu'il y était venu : il y avait beaucoup de gens de passage, et même les locaux avaient été oubliés de la société.

Des proies faciles.

     Il se dirigea vers la borne de stationnement, et malgré le fait qu'il était persuadé qu'aucun agent ne s'était pointé pour contrôler dans les cinq dernières années, il acheta un ticket en glissant quelques pièces dans la fente : des gens comme lui s'étaient déjà fait arrêter à cause de petits détails comme ceux-ci par le passé, mais rien n'était un détail pour lui. Richard était minutieux. Il plaça le ticket sous le pare-brise - une heure, largement suffisant pour un coup de foudre - et s'engagea dans les rues désertes.

     Il longea quelques boutiques aux lumières éteintes, un parc pour enfant presque vide, si ce n'était un sans-abri qui dormait sur le toboggan, une bouteille de vin vide aux pieds, mais il n'y prêta guerre attention.

Son esprit vagabondait.

Non, ce n'était pas ça, soyons honnêtes.

Ses fantaisies le déchiraient.

Il avait perdu le contrôle. Son esprit malade réclamait du sang. Il n'était mû que par un rythme sinistre qui battait dans son crâne comme les tambours des drakkars : « TUER... TUER... TUER... TUER... »

Il devait y regoûter, comme un junkie en sevrage. Pour calmer ses idées, son imagination, il était vraiment temps de recommencer. Il savait que la prochaine ne le satisferait que pour un temps. Certes, ce serait une extase : il savait exactement ce qu'il voulait, comment il le voulait. Il prendrait un plaisir incroyable à exécuter ses fantasmes. Puis, pendant un temps, il pourrait revivre les échos de cette expérience magique grâce au petit talisman qu'il allait récupérer. Le souvenir. Il ne savait jamais ce qui marchait, mais quand il le voyait, il savait que c'était ça. Une carte d'identité, un collier, un briquet. Le souvenir était une relique, qui l'appelait dès qu'il la voyait. Mais au final, tout ça retomberait. Le vide allait revenir. Ce vide qui le rongeait comme de l'acide, puis le vide allait laisser de la place pour ses fantaisies. Elles allaient encore remplir son esprit jusqu'à le saturer, comme c'était le cas ce jour-là. Et là, il faudrait encore qu'il se mette à tuer. Pour reprendre un peu de contrôle. Richard passa devant la vitre d'un café, et il s'arrêta net : ça y est.

     Il regarda la fille discuter avec quelqu'un, assis à une table. Elle avait de magnifique cheveux châtains et lisses, des yeux verts étincelants, et une posture si droite, comme une poupée. Elle était sublime. Son aura semblait comme briller dans ce café si terne, elle l'aveuglait presque. C'était elle, pas de doute. La providence l'avait enfin envoyée. Il remarqua que l'homme avec elle commença à se lever, alors, d'instinct, il poussa la lourde porte vitrée. Il passa à travers le garçon sans même le voir. La fille se leva, et il se mit exprès dans son passage.

     — Désolé, dit-elle après qu’ils se soient rentrés dedans.

Ses yeux furent attirés par un objet se cachant presque sous le col de son chemisier : la petite chose brillait dans la pénombre de son décolleté. Même plus, il semblait dégager une lueur qui éclairait bien au-delà de la pièce, comme une relique dotée de pouvoirs magiques. Une croix en argent.

Il la lui fallait absolument.

— Pas de soucis mademoiselle, rétorqua-t-il, c'est ma faute : je suis trop occupé à repérer les encadrements de porte et les lustres pour regarder où je mets les pieds…

Cette remarque sembla la rendre nerveuse, et elle répondit d’un ton bas :

— Bonne soirée.

     Elle repartit, et son doux parfum flotta dans son nez encore un instant : pas de doute, cette fille allait bien devenir sa chérie numéro vingt-trois.

 

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