IV. Décembre

Par BAEZA
  • Qu’y a-t-il dans le frigo ? Demanda la mère de l’enfant. Ma fille se réveille et quand elle n’a pas reçu son repas immédiatement, elle s’irrite.

 

Chacun entra dans une chambre et ouvrit le frigo.

 

  • Ici, il y a des bières. Répondit l’homme aux cheveux grisonnants.

 

  • Ici, des jus de fruits. Répondit la dame en carreaux.

 

  • Ici, des plats cuisinés pour tenir un siège. Cria l’ado

 

  • Ici aussi ! Répondit la maman. Au moins, nous ne mourrons pas de faim.

 

Seule une chambre n’avait pas été visitée ; Philippe y entra.

 

Lorsqu’il ouvrit le réfrigérateur, il y découvrit des petits pots et des repas pour enfants.

 

  • Je crois que j’ai trouvé ce qu’il vous faut. Lança-il à l’attention de la maman. Ici, il y a plein de bonnes choses pour votre bébé.

 

C’est alors que la petite fille, réveillée, se mit à geindre.

 

  • Ce n’est plus un bébé, elle a 18 mois. Répondit la maman de l’enfant.

 

Elle sortit sa fille de la poussette, la posa sur le sol de la cour, puis l’accompagna, en la tenant par la main, jusqu’à la chambre visitée par Philippe.

 

L’enfant pouvait donc marcher mais se mit à pleurnicher bruyamment.

 

  • C’est gai, si elle grogne tout le temps comme çà ! Grommela l’homme en cravate. J’espère qu’on ne va pas passer trop de temps enfermés ici, ensemble.

 

  • Oh vous ! Répondit la maman agacée. On voit que vous n‘avez pas d’enfant.

 

  • Et je n’en voudrais pas ! Mon travail ne me l’autorise pas.

 

  • Arriviste ! Répondit l’ado.

 

  • Comment ? Fit semblant de ne pas comprendre l’homme en costume.

 

  • Bon, je ne sais pas vous, … Affirma l’homme aux cheveux grisonnants. , … mais moi, j’ai soif ! Dans mon frigo, il y a plein de bières, qui en veut ?

 

  • Moi je veux bien. Répondit l’ado.

 

L’homme grisonnant le regarda, l’air soupçonneux :

 

  • Tu as quel âge, p’tit ?

 

  • 18 ans et demi.

 

  • Moi, j’en veux bien une aussi. Répondit Philippe.

 

Le chauffeur sortit de sa chambre, les mains remplies de biscuits apéritifs et rejoignit le groupe.

 

  • Moi je préférerais un jus de fruit. Annonça la maman.

 

  • Je vous en apporte un. Répondit la dame en tailleur.

 

Le chauffeur alla jusqu’à sa chambre et en rapporta la table.

 

  • Si quelqu’un peut emmener une autre table, je vous propose que nous pique-niquions au milieu de la cour. Cria-t-il à l’intention de tous.

 

  • C’est une bonne idée, çà ! Répondit la dame de quarante ans.

 

  • Et apportez votre chaise et aussi votre gobelet. Ajouta le conducteur.

 

  • J’apporte ma table. Annonça Philippe, serviable.

 

Chacun rejoignit la chambre qu’il avait choisie et en revint avec, dans une main, une chaise et dans l’autre, un gobelet.

 

Deux tables furent installées dans la cour et rapidement couvertes de bouteilles et de victuailles.

 

Chaque chaise, aussitôt posée, fut immédiatement occupée.

 

Même la petite fille, qui s’était calmée en débutant son repas, se tenait assise toute seule.

 

Chacun s’était rapidement trouvé une place, au milieu de cet endroit improbable.

 

La pression de la première bouteille de bière ouverte, détendit l’atmosphère.

 

  • Pour qui la première bière ? Demanda l’homme âgé.

 

  • Je veux bien. Répondit l’ado.

 

Tout le monde se mit à rire, en pensant à l’âge officiel annoncé par le garçon, puis le silence retomba.

 

Quelques secondes passèrent.

 

  • Finalement, on n’est pas mal ici. Lança le chauffeur.

 

Tout le monde était d’accord mais personne ne répondit.

 

Chacun restait perdu dans ses pensées.

 

Le décapsuleur fonctionna plusieurs fois, la boîte de jus de fruits fut vidée et le niveau des amuse-gueules posés sur la table, diminua significativement.

 

Les gens se sentaient mieux.

 

L’émotion du matin, avec cet itinéraire détourné, puis l’arrivée dans ce lieu sinistre, étaient presque oubliées, après ce bon en-cas.

 

Personne dans le groupe ne connaissait l’autre mais tous avaient conscience d’avoir déjà partagé, ensemble, quelque chose de singulier.

 

  • Si l’on doit rester ici encore quelques temps ensemble … Fit remarquer l’homme aux cheveux gris-blancs, on pourrait peut être se présenter, non ?

 

Tous acquiescèrent à cette proposition.

 

  • Bon alors, je me présente. Je m’appelle Marcellin Fiévreux.

 

L’ado eut un rire étouffé ; les autres se raclèrent la gorge.

 

Marcellin regarda l’ado du coin de l’œil, avec sévérité.

 

  • Je m’appelle Serge LeFébure. Poursuivit le conducteur. … et je suis chauffeur de bus.

 

Tout le monde sourit car sa profession n’était inconnue de personne.

 

  • Ah oui, j’ai oublié de vous dire que j’étais retraité. Ajouta Marcellin, à contretemps.

 

L’ado eut un autre rire étouffé. Les autres ne manifestèrent aucune émotion particulière.

 

  • Moi, je m’appelle Philippe Tourange et je suis développeur de logiciels. Poursuivit Philippe.

 

  • Mon nom est Théo Rubart, je suis étudiant. Dit l’ado. Enfin, quand je peux parvenir jusqu’au lycée, … Enfin, je veux dire la fac …

 

  • Je m’appelle Sophie Destain. Annonça la maman. Je suis maman et je reste à la maison, en ce moment, pour m’occuper de ma fille, Martha.

 

La maman émue se tourna vers sa fille et tout le monde en fit autant.

 

  • Mon nom est Catherine Vigneau. Déclara la dame en tailleur. Je suis aide comptable.

 

Seul l’homme en costume-cravate n’avait pas encore décliné son identité.

 

  • Je m’appelle Edmond De Rivard. Finit-il par dire. Je travaille dans une banque.

 

  • Pffuit ! Siffla l’ado visiblement impressionné.

 

Un silence se fit, comme si chacun avait besoin d’un peu de temps pour mémoriser l’identité et l’activité des autres.

 

  • Bon, on reprend quelque chose ? Lança Marcellin à tout hasard.

 

  • Non, çà va bien, on s’est assez restaurés comme çà. Répondit sèchement Catherine Vigneau. J’aimerais bien rentrer chez moi maintenant.

 

  • Moi aussi. Confirma Sophie.

 

  • Nous aimerions tous rentrer chez nous mais comment faire ? Résuma le chauffeur désemparé.

 

  • Alors si vous, vous n’avez pas d’idée, qui en aura ? Objecta brutalement Edmond. C’est tout de même vous, qui nous avez emmenés jusqu’ici.

 

  • Vous avez raison, veuillez me pardonner. S’excusa le conducteur. Je vais reprendre mon oreillette. Le central aura peut-être de nouvelles instructions à me communiquer.

 

Il partit chercher son oreillette dans le car.

 

  • Il pourrait garder son oreillette avec lui, tant qu’il est en service, non ? S’agaça Catherine. On a peut-être manqué un message important qui aurait pu nous permettre de sortir d’ici !

 

  • Allons, gardons notre calme ! Répondit Sophie, en donnant de la bouillie à sa fille dont l’appétit paraissait insatiable. Ce pauvre chauffeur n’en sait pas plus que nous.

 

  • Ce pauvre chauffeur, ce pauvre chauffeur … Grommela Catherine, sans finir sa phrase.

 

Le chauffeur rejoignit le groupe, resté assis près des tables, encore couvertes des restes du repas.

 

  • Toujours rien ! La communication parait vraiment interrompue.

 

  • Alors, que proposez-vous ? Demanda Edmond.

 

  • Ben rien, je suis comme vous … S’excusa le conducteur du bus. Mais si vous avez des idées, n’hésitez pas à m’en en faire part.

 

Un silence lourd s’abattit sur les invités de la cour octogonale.

 

  • Mais pourquoi sommes-nous arrivés dans cette prison ? S’interrogea Catherine. Il a dû se passer quelque chose d’extraordinaire dans Paris pour qu’on nous ait obligés à nous réfugier dans ce bunker.

 

  • Vous ne trouvez pas étonnant que nous ayons chacun une chambre ? Constata Edmond avec perplexité. Un peu comme si nous avions été attendus.

 

  • Il y avait même des petits pots pour enfant, ce qui n’est pas fréquent. Compléta Sophie.

 

  • Je suis fatiguée ! Reconnut Catherine. Cette situation pénible m’épuise. Je vais aller m’allonger quelques instants, si vous n’y voyez pas d’inconvénients.

 

Catherine se leva et partit en emportant sa chaise, son gobelet et quelques cadavres d’emballage.

 

  • Moi aussi, je vous laisse. Compléta Sophie. Je dois aller coucher la petite.

 

Tous se levèrent alors et desservirent les deux tables, qu’ils laissèrent néanmoins en place au milieu de la cour.

 

Il était difficile d’estimer l’heure qu’il pouvait être.

 

En cette saison, le soleil était très bas et le ciel était couvert, même s’il ne faisait pas froid.

 

Etions-nous encore le matin ou déjà l’après-midi ?

 

Chacun regagna « sa » chambre. La cour se retrouva vide.

 

Les uns s’allongèrent sur leur lit et commencèrent à somnoler.

 

Les autres firent un brin de toilette.

 

Les derniers recensèrent les victuailles de leur frigo.

 

Allongé sur son lit, les yeux fixés sur le plafond blanc, Philippe s’interrogeait :

 

« Mais que fait-on ici ? Avec tout le boulot qui m’attend au bureau ! Que s’est-il passé pour que nous nous retrouvions dans ce lieu ? C’est fou d’avoir été enfermés comme çà, sans avertissement. J’ai un quotidien si cadencé, d’ordinaire ! Cet événement vient bousculer tous les plans de travail que j’avais établis, depuis des semaines. Ma vie était déjà bien remplie, sans avoir besoin de çà en plus. Tous ces gens, bloqués ici comme moi, sont aussi très contrariés. Ils doivent, eux aussi, avoir de nombreuses obligations. Ils ont l’air, tous, bien sympathiques et il faudrait peut-être profiter de ce temps, exceptionnellement libéré, pour nous connaître. »

 

Pendant que Philippe se perdait dans les méandres de ses réflexions, Marcellin dormait, ainsi que Théo.

 

Catherine regardait son reflet dans le miroir.

 

Sophie admirait sa fille endormie.

 

Serge rêvassait, s’imaginant conduire comme un Dieu son bus, le long de la mythique route 66, tandis que des passagers, comblés, l’applaudissaient.

 

Pendant ce temps, Edmond pleurait.

 

Le temps passa. Le soir commençait à tomber.

 

L’équipage se sentait démuni, comme perdu en pleine mer, sur un rafiot qui prenait l’eau.

 

 

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