Marcellin fut le premier à rejoindre les tables posées, au centre de la cour.
Il s’assit sur l’une des chaises et sombra dans ses pensées.
Philippe le rejoignit assez vite.
- Alors mon gars, as-tu dormi un peu? Demanda-t-il, en voyant arriver Philippe qui paraissait plus détendu.
- Oui et vous ?
- Oh, tu peux me tutoyer. Çà me rajeunira.
- Oui, … et toi ? Rectifia Philippe. As-tu réussi à dormir ?
- Je ne crois pas non, j’ai pensé … Je pense souvent.
- Et à quoi as-tu pensé ?
- A mon épouse.
- Ah, tu es marié ?
- Je l’ai été.
- Désolé, je ne savais pas.
- Oh mais ne t’inquiète pas, elle n’est pas morte. Je crois qu’elle va bien.
- Ah, pardon. S’excusa Philippe.
- Non, on s’est juste séparés. On se disputait tout le temps, c’était épuisant. Alors un jour, on a pensé qu’on vivrait mieux chacun de notre coté. Mais depuis ce jour, je ne vis plus. C’est comme si j’avais perdu ma boussole, tu comprends ?
- Je comprends. Répondit Philippe.
- Je ne sais pas si tu peux vraiment comprendre … Es-tu marié ?
- Oui, depuis quatre ans.
- Quatre ans, … c’est trop peu ! On ne peut comprendre ces choses là, qu’après trente années de vie commune. Toutes nos petites habitudes, nos discussions, nos attentions, mêmes nos disputes ont rempli totalement mon existence et n’y ont rien laissé d’autre. Quand ma femme est partie, j’ai compris que ma vie s’était vidée de son sens. Et aussi que, maintenant, j’étais totalement seul.
Philippe ne répondit pas et le silence s’installa entre les deux hommes.
- Eh toi, que fais-tu dans la vie ? Finit par demander Marcellin.
- Oh moi, ma vie ne présente pas beaucoup d’intérêt. Je fais chaque jour la même chose. Je me lève tôt, je pars travailler. Je travaille toute la journée. Je rentre le soir tard, épuisé et je recommence le lendemain. Et tout çà, pour quoi ? Je me demande souvent, moi aussi, si ma vie a un sens.
Philippe interrompit la description monotone de sa vie.
Au bout d’un certain temps, Marcellin répondit, pensif :
- Hé bé ! Çà n’a pas l’air gai.
A cet instant, Théo sortit de sa chambre.
Il huma l’air, bailla et s’étira, avant de rejoindre les deux hommes dans la cour.
- Il fait bon pour la saison, ce soir. Commenta-t-il. On pourrait manger dehors, je pense.
- Alors garçon, as-tu dormi ?
- J’ai dormi comme une enclume
- Une enclume ?! Carrément ! Tu sais encore ce que ça veut dire au moins ?
- Hé Papy, on n’est pas à l’école ici. Répondit l’ado, agacé. Est ce que je te demande si tu as piavé du tease toute la matinée ?
- Quoi ?
- Rien. Dit Théo qui préféra ne pas commenter sa réponse.
- Vous avez l’air de bien vous entendre, tous les deux. Ironisa Philippe.
- J’en peux plus de ces adultes. Lança Théo. Ils sont toujours là à nous rabaisser. T’es nul en ci, t’es nul en çà ! Tu ne travailles pas assez ! De leur temps, c’était forcément mieux. Merde à la fin ! Comment voulez-vous qu’on ait confiance en nous ? Quand j’étais petit, je voulais soigner les gens. Mais, comme nous, les jeunes, nous sommes nuls et que, eux, les adultes, ils sont vraiment trop cons, Eh bien, ils se soigneront eux-mêmes, sans mon aide.
Philippe et Marcellin étaient frappés par la violence de la réplique du jeune Théo.
Philippe pensa qu’il n’avait sans doute pas tort. Si l’on voulait que l’aventure humaine continue dans le bon sens, il fallait encourager nos jeunes, plutôt que les démoraliser.
Un silence retomba sur le groupe.