IV. La folie d'un père

Notes de l’auteur : 1 Samuel chapitres 19 et 20
Saül fomente l'assassinat de David. Mikal aide David à s'enfuir. Jonathan sonde une dernière fois Saül, puis fait ses adieux à David.

Cela fait à peine trois jours que je suis mariée à David, et papa a déjà changé ses sentiments. De la volonté de s’allier à ce héros, il est passé à la peur et à la haine. Je viens de l’entendre annoncer qu’il tuerait David cet après-midi. Jonathan essaie de le raisonner. J’espère que papa sera sensible à ses arguments.

 

Le plaidoyer de Jonathan n’a pas suffi. Papa a essayé d’empaler David avec sa lance, tout à l’heure, pendant qu’il jouait de la harpe. Heureusement, l’Éternel – béni soit Son nom – a fait dévier la lance et mon mari est toujours en vie. Mais je n’en peux plus. Ce soir, je l’aide à quitter la maison.

 

* * *

 

C’est le milieu de la nuit. Je suis seule dans la chambre à coucher. Tout à l’heure, j’ai aidé David à descendre par la fenêtre, le long d’une longue corde faite de nos draps assemblés. Il a atteint le sol sain et sauf. Je lui ai ensuite descendu, par le même moyen, ses armes ainsi qu’un panier de nourriture. Il a pu s’enfuir du palais sans que personne ne le remarque.

J’ai mal aux épaules. Une armure, c’est plus lourd que je ne le pensais. Je m’assieds sur le lit. Je n’arrive pas à dormir. Je suis bien trop anxieuse. Et demain ? Que se passera-t-il quand papa s’apercevra que David s’est enfui ?

 

* * *

 

Les gardes viennent de repartir. Toute la tension retombe d’un coup. Je sens que je vais pleurer. Récapitulons ce qui s’est passé.

Ils sont venus une heure à peine après le départ de David. Je les ai entendus marcher dans le couloir. Heureusement. Ça m’a donné quelques secondes pour faire diversion. S’ils s’aperçoivent tout de suite de la fuite de mon mari, ils risqueraient de le rattraper. J’ai flanqué un théraphim sous la couverture et j’ai mis une peau de chèvre sur l’oreiller, pour faire comme s’il dormait. De loin, dans le noir, on ne se rend compte de rien.

On a frappé à la porte. J’ai ouvert avec un doigt sur la bouche, comme pour leur intimer le silence. Il y avait six gardes, chacun avec un glaive à la ceinture. Papa n’a pas voulu prendre de risques… Je me suis glissée dehors, comme si je pensais que c’était moi qu’ils venaient chercher.

- Mon époux vient de s’endormir, ai-je chuchoté en refermant la porte. Il est malade, il a de la fièvre. Que voulez-vous ?

J’avais peur que mes piètres talents d’actrice ne me trahissent, mais ils n’ont pas soupçonné que je puisse mentir. L’obscurité a dû aider. Ils ont demandé à voir David. Je leur ai dit que cela n’était pas possible, et j’ai entrouvert la porte pour qu’ils puissent constater qu’il y avait quelque chose sous la couverture. Ils n’ont pas vérifié plus loin que cela. Ils viennent de repartir.

Je ne sais pas combien de temps il faudra avant qu’ils ne reviennent. Je prie le Seigneur de les retenir le plus longtemps possible.

 

* * *

 

Quelle journée ! Je suis épuisée. Papa m’a réprimandée pendant des heures.

- Pourquoi m’as-tu ainsi trompé et as-tu laissé partir mon ennemi ? Voilà qu'il s'est échappé !

J’ai eu peur. Je n’ai pas osé engager de confrontation, lui rappeler que David n’est pas son ennemi, que c’est un de ses plus loyaux sujets. Alors j’ai menti. Une fois de plus.

- Il m’a dit : « Laisse-moi partir ou je te tue ! »

J’étais déjà à bout de nerfs et au bord des larmes, mais papa ne s’est pas adouci. Il m’a reproché de ne pas l’avoir fait prévenir aussitôt que David était parti, d’avoir menti aux gardes, au lieu de donner l’alerte tout de suite. Il a prétendu que si j’avais fait cela, il aurait attrapé son « ennemi » et que celui-ci ne m’aurait pas fait le moindre mal. J’ai protesté :

- Il a vaincu Goliath, il a tué des milliers de Philistins ! Ce ne sont pas quelques gardes qui vont l’arrêter.

Forcément, cette allusion aux multiples victoires de mon mari l’a mis encore plus de mauvaise humeur.

- Il n’est pas plus fort que mon armée ! Si tu ne m’avais pas trahi, j’en aurais enfin fini avec lui. Imagines-tu ce qu’il va faire à présent, par ta faute ? Il a déjà le soutien de tout le pays. Et s’il essayait de prendre la royauté ? Et s’il décimait notre famille ? Ah, tu aimerais cela, toi, fille indigne, sacrifier ton père et tes frères pour permettre à ce chien de prendre la tête d’Israël !

Il m’a giflée. C’était la première fois qu’il me frappait aussi fort. Je suis tombée par terre. Alors que je m’apprêtais à me relever, je l’ai vu lever la main pour me frapper de nouveau. Je suis restée au sol, j’ai levé mes avant-bras devant mon visage pour me protéger. Papa a laissé retomber sa main et a fait signe à ses hommes.

- Emmenez-la dans sa chambre, a-t-il ordonné, et maintenez-la sous bonne garde.

Puis il a donné des ordres pour que l’on retrouve David.

Je suis donc consignée jusqu’à nouvel ordre dans ma chambre, cette chambre que je n’ai partagé que trois nuits avec mon mari. Je n’ai pas touché à mon repas. Je n’ai pas faim. Je suis bien trop inquiète. Et s’ils le retrouvaient ?

 

* * *

 

Voici ce qu’on raconte : David est allé se réfugier chez Samuel. Papa l’a retrouvé et a envoyé des hommes à sa poursuite. Mais sur le chemin, tous sont devenus fous. Alors papa est parti lui-même chercher David, et lui aussi a été frappé de folie.

Je n’aurais jamais cru être aussi soulagée de savoir mon mari sous la protection de l’Éternel. Nounou avait raison quand elle disait qu’un homme ne devait pas seulement être un grand guerrier.

 

* * *

 

Je crois que papa a renoncé à tuer David. En tout cas, il l’a invité à manger. Espérons que ce ne soit pas un piège.

 

* * *

 

David n’était pas là, ni aujourd’hui, ni hier. D’après Jonathan, il est allé voir sa famille pour un sacrifice. Papa s’est emporté et a insulté mon frère, comme s’il était responsable de quoi que ce soit :

- Fils d’une femme perverse et rebelle, je sais bien que tu as pris parti pour le fils d’Isaï, à ta honte et à celle de ta mère. Aussi longtemps que le fils d’Isaï sera en vie sur la terre, il n’y aura pas de sécurité, ni pour toi ni pour ta royauté. Maintenant, envoie-le chercher et qu’on me l’amène, car il mérite la mort.

Puis il a pris sa lance et en a menacé Jonathan. Mérab a pâli. Je crois qu’elle commence à réaliser à quel point papa est injuste envers David.

Après cela, Jonathan est allé dans les champs s’entraîner au tir à l’arc. Je vais le regarder par la fenêtre. Peut-être cela me distraira-t-il de mes soucis.

 

Le tir à l’arc n’était qu’un prétexte. Jonathan s’est débrouillé pour renvoyer son serviteur, puis David est sorti des épis de blé. David ! Je suis soulagée de le savoir en bonne santé. Mais pourquoi n’est-il pas à Bethléem comme le prétendait mon frère ?

Jonathan et lui se sont parlé. Ils avaient l’air émus. Puis David a enlacé mon frère avec bien plus de force et de tendresse qu’il n’a jamais manifesté à mon égard. Je m’efforce de ne pas être jalouse. Je devrais être soulagée qu'il se porte bien. Mais une boule ne peut s'empêcher de grandir dans mon ventre.

Je crois que les deux cent prépuces de Philistins qu'il a donnés à mon père n'étaient pas que pour moi.

Je crois que David ne m’a jamais aimée.

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