De Jacob, fils d’Isaac
4 rue de l’étoile polaire, Ur
À Léa et Rachel, filles de Laban
Paddan-Aran, banlieue d’Ur
Mes chères épouses,
La tonte des moutons est loin d’être terminée, et je voudrais que vous soyez informées au plus vite de mes intentions.
Je vois au visage de votre père qu’il n’a plus la même attitude qu’avant envers moi. Cependant, le dieu de mon père a été avec moi. Vous savez vous-mêmes que j’ai servi votre père de toute ma force. Quant à votre père, il m’a trompé et a changé dix fois mon salaire, mais Dieu ne lui a pas permis de me faire du mal. Quand il disait : « Les tachetés seront ton salaire », toutes les brebis faisaient des petits tachetés, et quand il disait : « Les rayés seront ton salaire », toutes les brebis faisaient des petits rayés. Dieu a pris à votre père son troupeau et me l’a donné.
L’ange de Dieu m’a dit en rêve : « Lève-toi, quitte ce pays et retourne au pays de ta naissance. » Je ne vous cache pas que je n’ai pas envie de rester à Ur ; mais vous, qui avez grandi ici, serez-vous prêtes à quitter votre famille et tout ce que vous connaissez pour me suivre ? Prenez le temps de réfléchir, toutes les deux, et dites-moi si vous voulez partir ou rester.
À bientôt,
Jacob
* * *
De Léa et Rachel, filles de Laban
Paddan-Aran, banlieue d’Ur
À Jacob, fils d’Isaac
4 rue de l’étoile polaire, Ur
Seigneur,
Avons-nous encore une part et un héritage chez notre père ? Ne sommes-nous pas considérées par lui comme des étrangères, puisqu’il nous a vendues et a même mangé notre argent ? Toute la richesse que Dieu a enlevée à notre père nous appartient, à nous et à nos enfants.
Fais maintenant tout ce que ton dieu t’a dit. Termine vite la tonte de tes moutons, tandis que nous préparons les bagages. Il faudra ensuite profiter de ce que Laban, notre père, tonde ses brebis à lui pour fuir sans qu’il ne s’en aperçoive.
Bien à toi,
Léa et Rachel
* * *
Rachel souleva un lourd sac de vêtements et le fixa sur le dos d’un de leurs ânes. C’était le dernier. Elle se laissa tomber sur l’herbe fraîche avec soulagement. Dès que Jacob reviendrait de la tonte, ce qui ne saurait tarder, la famille pourrait mettre les voiles.
Les enfants se disputaient les places sur les chameaux. Le petit Joseph était aux bons soins de Bilha. Léa restait à l’ombre, protégeant ses yeux du soleil. Rachel décida d’aller se promener une dernière fois dans les collines de son enfance.
Ses pas la menèrent au campement de Laban. Il n’était gardé que par un serviteur, qui regardait dans la mauvaise direction. Alors, dans un élan de rébellion, sans trop réfléchir, Rachel entra dans la tente de Laban et piqua le premier truc qui lui tombait sous la main.
Deux théraphims en or.
Jacob arriva une vingtaine de minutes plus tard. Ils étaient bien synchronisés. Il vérifia que les derniers moutons étaient bien à ses côtés, puis monta sur son chameau et donna le signal de départ. Rachel sentait sous ses fesses les théraphims de son père. Il était trop tard pour regretter.
* * *
De Laban, fils de Béthuel
En route pour la région de Galad
À ses fils Raphaël, Joseph et Amnon
Paddan-Aran, banlieue d’Ur
J’ai retrouvé Jacob. Il a traversé l’Euphrate et a atteint les montagnes de Galad. Je le rejoindrai demain. Si jamais vous trouvez cette lettre après avoir cherché sans succès votre beau-frère, soyez tranquilles, je m’en occupe.
Laban
* * *
« Qu’as-tu fait ? Pourquoi m’as-tu trompé et emmènes-tu mes filles comme des prisonnières de guerre ? Pourquoi as-tu pris la fuite en cachette et m’as-tu trompé, au lieu de m’avertir ? Je t’aurais laissé partir au milieu de la joie et des chants, au son du tambourin et de la harpe. Tu ne m’as pas permis d’embrasser mes petits-enfants et mes filles ! »
Laban laissait libre cours à sa colère. Jacob n’avait pas l’air serein, mais Léa se retenait franchement de rire. Qui y croyait ? Qui croyait que Laban l’aurait laissé partir, et se serait contenté d’embrasser ses filles ?
« Tu t’es comporté de façon stupide. Ma main est assez forte pour vous faire du mal… »
Léa échangea un regard avec Rachel qui leva les yeux au ciel. Ouais ouais, c’est ça. Jacob avait deux fois plus de serviteurs que Laban.
« …mais le Dieu de votre père m’a dit hier : ‘Garde-toi de parler à Jacob, que ce soit en bien ou en mal !’ Et maintenant que tu es parti parce que tu languissais après le foyer de ton père, pourquoi as-tu volé mes dieux ? »
Soudain, Léa vit Rachel changer d’attitude. Elle lui jeta un regard interrogatif, mais impossible de discuter librement à côté de ces messieurs.
« C’est que j’avais peur, répondit Jacob. Je me suis dit que tu m’enlèverais peut-être tes filles. Quant à celui auprès duquel tu trouverais tes dieux, qu’il cesse de vivre ! Devant les membres de notre parenté, reconnais ce qui t’appartient chez moi et prends-le. »
Rachel perdit ses couleurs. Léa fut soudain prise d’une inquiétude : Rachel n’avait tout de même pas fait la bêtise de voler quelque chose à Laban, si ?
Elle détourna son regard vers son père. Laban fouillait la tente de Jacob. Il en ressortit sans rien trouver. Il s’attaqua ensuite à celle de Léa, qui ne contenait que ses affaires et celles de ses enfants. Il s’attaqua ensuite aux quartiers des servantes, Zilpa et Bilha, sans plus de succès. Enfin, il entra dans la tente de Rachel.
Léa pria silencieusement. Elle ne voulait pas perdre sa sœur, pas maintenant ! Rachel, pâle comme la neige, s’assit sur la selle de son chameau.
Laban sortit de la tente de Rachel, les mains vides. Puis il remarqua sa fille :
« Tout va bien, Rachel ?
- Mon seigneur, ne te fâche pas si je ne peux pas me lever devant toi, car je suis indisposée », répondit-elle en mettant la main sur son ventre.
Léa restait bouche bée devant l’audace de sa sœur. C’était sacrément bien trouvé ! Si elle avait ses règles, non seulement elle avait une justification pour rester assise, mais en plus, la selle devenait impure et Laban n’allait pas pouvoir la fouiller. Pour une fois qu’on pouvait utiliser ces règles stupides à l’avantage des femmes !
* * *
Au nom du dieu d’Abraham et du dieu de Nachor
Ce tas de pierres
est un témoignage entre
Jacob, fils d’Isaac
et Laban, fils de Béthuel
- Jacob ne dépassera pas ce monument dans la direction de Laban avec de mauvaises intentions ;
- Laban ne dépassera pas ce monument dans la direction de Jacob avec de mauvaises intentions ;
- Si Jacob maltraite les filles de Laban, ou prend encore d’autres femmes, Dieu sera témoin entre eux deux.
* * *
De Rebecca, fille de Béthuel
Beer-Shéba, pays de Guérar
À Jacob, fils d’Isaac
Mitspa, région de Galad
Mon cher Jacob,
Quelle joie de savoir que tu reviens auprès de ta vieille mère ! Et quel soulagement d’apprendre que tu as quitté sans heurts ton beau-père ! Crois-moi, j’ai hâte de te revoir.
Cependant, quand tu rentreras, il y a deux choses auxquelles tu devras prendre garde. Premièrement, lorsque tu traverseras une ville étrangère, tu craindras peut-être que l’on te tue pour te voler tes épouses. S’il te plaît, mon fils, ne prétends pas que Léa et Rachel sont tes sœurs afin qu’on te les prenne sans faire de mal. Ton père l’a fait avec moi, ton grand-père Abraham l’a fait avec Sarah, et à chaque fois, cela s’est mal terminé pour tout le monde. Tu as suffisamment de serviteurs pour te défendre, tu n’as pas besoin de te débarrasser des mères de tes enfants comme on le ferait d’une vieille paire de chaussettes.
Deuxièmement, ton frère Esaü est toujours fâché contre toi et il marche à ta rencontre avec 400 hommes. Encore une fois, je pense que tu as toutes les chances de gagner ; mais j’aimerais autant éviter de faire couler le sang de notre famille. Si tu pouvais lui faire quelques cadeaux pour te réconcilier avec lui, cela me semble plus avisé. Il t’a abandonné son droit d’aînesse en échange d’un brouet de lentilles, je pense que quelques moutons suffiront à lui faire abandonner ses envies de vengeance.
Prends bien soin de toi et de tous les tiens,
À bientôt mon fils chéri,
Ta mère qui t’aime très fort
* * *
De Jacob, fils d’Isaac
Camp de Mahanaïm
À Esaü, fils d’Isaac
Séir, territoire d’Edom
Mon frère et seigneur,
On m’a dit que tu étais en colère contre moi, et j’en suis navré. Je suis resté chez Laban pendant 20 années, mais le dieu de nos pères m’a ordonné de revenir sur la terre qu’il a promise à notre grand-père Abraham. Il a accordé des femmes et des enfants à ton serviteur, que je présenterai à mon seigneur quand nous nous verrons.
Que mon seigneur accepte ce modeste présent de la part de ton serviteur : 200 chèvres et 20 boucs, 200 brebis et 20 béliers, 30 chamelles avec leurs petits qu’elles allaitent, 40 vaches et 10 taureaux, 20 ânesses et 10 ânes.
Accepte les salutations de
Ton serviteur, Jacob
* * *
D’Esaü, fils d’Isaac
Séir, territoire d’Edom
À Jacob, fils d’Isaac
Camp de Mahanaïm
Mon cher frère Jacob,
C’est gentil de me donner des troupeaux, mais ne t’en fais pas pour moi. Je suis dans l’abondance, mon frère, garde ce qui t’appartient. Laisse-moi t’accompagner jusqu’à Séir, je passerai devant toi, je te montrerai le chemin, et je laisserai mes hommes t’escorter.
Je pars tout de suite te retrouver,
Ton frère Esaü
* * *
De Mahalath, fille d’Ismaël
Séir, territoire d’Edom
À Léa et Rachel, filles de Laban
Succoth, territoire d’Edom
Chères belles-sœurs,
Permettez-moi de me présenter à vous : je suis Mahalath, fille d’Ismaël fils d’Abraham, et l’épouse d’Esaü, fils d’Isaac. Mon seigneur Esaü m’a prise comme épouse après avoir constaté que ses femmes Hittites déplaisaient à sa mère Rebecca. C’est une joie pour moi d’apprendre que des femmes de la parenté d’Abraham se sont installées près de Séir ! En effet, nous sommes bien seules en ce pays de Cananéennes et de Hittites.
D’autre part, mon fils Réuel a sept ans, comme vos plus jeunes enfants Joseph et Dina ; ils pourraient faire connaissance.
Accepteriez-vous que nous nous rencontrions pour partager du lait et du miel ?
Bien à vous,
Mahalath
* * *
Juda et Lilia
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
Er
* * *
« Je suis grand-mère ! »
Léa n’en revenait pas. Le temps avait passé si vite ! Elle se souvenait encore de la naissance de son quatrième fils, le dernier de ses « grands » après Ruben, Siméon et Lévi. Le petit Juda avait bien grandi. Il avait rencontré une Cananéenne du nom de Lilia, ils étaient tombés amoureux, et à présent elle avait accouché d’un fils !
La nouvelle grand-mère trouvait tout de même son fils un peu jeune pour être papa. Il n’avait que quinze ans, et Lilia en avait dix-sept. Enfin, il fallait dire qu’elle-même s’était mariée sur le tard. En tout cas, elle était heureuse pour son fils.
* * *
Juda et Lilia
ont la grande joie de vous annoncer
la naissance de leur fils
Onan
* * *
De Hamor, roi de Sichem
Ville de Sichem
À Jacob, fils d’Isaac
Succoth, territoire d’Edom
Jacob,
J’ai bien reçu ta demande d’acquérir un terrain dans ma ville, ainsi que ton paiement de deux cent sicles d’argent. Tu trouveras ci-joint ton titre de propriété pour t’installer au 5, rue du couchant. Au nom de toute la ville, je te souhaite la bienvenue, à toi et à ta famille.
Veuille agréer l’expression de mes salutations distinguées,
Hamor, roi de Sichem