V. Balance ton porc, Dina

Notes de l’auteur : Genèse, chapitre 34
Ce chapitre en particulier est interdit aux moins de 16 ans car il traite de sujets délicats (viol sur une jeune fille de 12 ans). Si vous êtes trop jeune ou que vous êtes sensible à ce genre de sujet, pas de problème, un résumé sera fourni au tout début du chapitre suivant.
Ne reproduisez pas ça chez vous !!

Les pensées de Dina sont inspirées de témoignages de personnes qui ont vécu une situation similaire. Au cas où, je rappelle que ce n'est jamais la faute des victimes, mais toujours celle des violeurs.

Le personnage de Charlotte n'est pas présent dans la Bible, c'est moi qui l'ai rajouté pour proposer un avenir aux femmes de la ville.

« Je vais faire un tour en ville, maman !

- Fais attention à toi, Dina ! »

L’unique fille de Jacob hocha la tête. Elle avait bien fait attention à ce que sa robe soit parfaitement à sa taille : ses frères se fichaient bien que le décolleté soit trop lâche ou la jupe trop courte, mais elle savait que ce ne serait pas le cas des hommes de Sichem. Elle ajusta son voile sur ses cheveux, vérifia que son porte-monnaie se trouvait bien dans sa poche, et referma derrière elle la porte de la maison. Ouah ! Cela changeait des campements dans la campagne !

Dina ne gardait presque aucun souvenir d’Ur. Elle n’avait que quatre ans quand sa famille avait quitté la Haute-Mésopotamie pour rejoindre la Terre Promise d’Abraham. Elle avait toujours vécu dans des tentes au milieu des moutons.

Mais Jacob avait toujours eu un attrait pour la sédentarité. Alors, cette année-là, il avait décidé de s’installer dans la ville de Sichem. Petite fille, Dina rêvait de pâturages et de fleurs et de moutons ; mais à présent, elle avait douze ans et elle avait bien envie de rencontrer des filles de son âge. D’un pas joyeux, elle s’élança sur la route empierrée.

 

* * *

 

De Charlotte, fille d’Echeziah

14 rue de la fontaine, ville de Sichem

À la famille de Dina

5 rue du couchant, ville de Sichem

 

Seigneurs Jacob, Ruben, Siméon et Lévi,

Je vous écris de la part des filles de la ville. Nous nous sommes retrouvées ce matin sur la place principale dans le but de nous amuser ensemble. Dina était parmi nous. Nous avons ri, chanté et dansé, nous n’avons rien fait de répréhensible. Mais à midi, nous nous sommes rendu compte que Dina avait disparu. Nous l’avons cherchée, appelée, dans les rues et les ruelles, nous avons demandé aux gens de la ville, sans la retrouver. J’ai donc l’immense tristesse de vous annoncer la disparition de votre fille / sœur.

D’autre part, à ma grande honte, je dois confesser que mon père et mes frères n’ont pas voulu nous aider à chercher Dina. « Si la fille de Jacob s’est perdue, qu’elle se débrouille ! » ont-ils dit, eux et tous les hommes de la ville. L’humiliation et l’impuissance nous ronge, mes amies et moi. Soyez du moins assurés que nous prierons toutes les dieux de cette ville afin qu’ils protègent votre fille / sœur.

Veuillez accepter l’expression de mes salutations les plus respectueuses,

Charlotte, pour les filles de Sichem

 

* * *

 

Dina se tenait recroquevillée sur le sol, tiraillée par un terrible sentiment de culpabilité. « Fais attention à toi », avait dit sa mère. Elle croyait avoir tout bien fait : tenue correcte, heure décente, ne pas s’écarter de ses amies ou s’aventurer dans les ruelles sombres. Et pourtant, elle avait quand même perdu son honneur.

Elle s’était tout simplement attardée à regarder les poissons de la fontaine ; puis, tout s’était déroulé si vite : l’homme l’avait prise par le bras et l’avait attirée à lui. Elle n’avait même pas pensé à crier, sotte qu’elle était ! La surprise d’abord, puis la peur l’avaient envahie toute entière. Elle l’avait laissé faire, et elle croyait même qu’elle avait pris du plaisir à cela. Quelle traînée était-elle devenue ! À présent, elle était bien punie. La douleur déchirait son entrejambe, et son odeur à lui, qui lui donnait envie de vomir, ne voulait pas partir de sa peau. Elle avait frotté, pourtant, frotté à s’en faire mal. Mais rien n’y changeait. Elle restait sale, elle restait une fille perdue.

 

* * *

 

De Hamor, roi de Sichem

Pour son fils Sichem, prince de Sichem

À Jacob, fils d’Isaac

5 rue du couchant, ville de Sichem

 

Seigneur Jacob, père de Dina,

Mon fils Sichem est tombé amoureux de votre fille. Donne-la-lui pour femme, je t’en prie. Que ta famille s’allie par le mariage avec nous ! Vous nous donnerez vos filles et vous prendrez les nôtres pour vous. Vous habiterez avec nous et le pays sera à votre disposition. Restez pour y faire du commerce et y acquérir des propriétés.

Si seulement il trouve grâce à tes yeux, il donnera ce que tu lui diras. Réclame-lui une forte dot et beaucoup de cadeaux, mais accorde-lui la jeune fille pour femme, car il se consume d’amour pour elle.

Veuille agréer l’expression de mes sentiments distingués,

Hamor, roi de Sichem

 

* * *

 

Toute la famille fixait Jacob avec des airs révoltés.

« Quoi ? Cela me semble une proposition honnête.

- Une proposition honnête ? s’insurgea Léa. Il a kidnappé notre fille ! Il se croit tout permis, ma parole !

- Ce qui est fait est fait, tenta de l’apaiser Jacob. Il tente de réparer ses erreurs. De toute façon, il faudra bien la marier, alors autant que ce soit avec lui, non ? C’est un bon parti, et il a les moyens de payer sa dot très cher. »

Léa et Rachel échangèrent un regard scandalisé. Il devenait comme leur père Laban : prêt à vendre ses filles pour de l’argent !

« Cet homme a traité notre sœur comme une prostituée, protesta Zabulon, qui avait à peine un an de plus que Dina. Que lui arrivera-t-il si nous la lui donnons pour de bon ?

- Il est amoureux d’elle, répliqua Jacob. Ai-je jamais fait du mal à Rachel ? N’ai-je pas tout tenté pour la satisfaire ? Tu n’es qu’un enfant, tu ne sais pas comment fonctionne le monde.

- Il dit vrai, protesta Lévi, le troisième fils de Léa. Peut-être Dina sera-t-elle heureuse ; mais que fais-tu de l’honneur de notre famille ? Acceptes-tu que l’on traite ainsi ta fille, sans en demander réparation ? Que diront les gens de nous, si nous cédons ?

- Il est le roi de la ville, rétorqua sévèrement Jacob. Il est puissant. Nous ne pouvons pas lui déclarer la guerre, tout de même !

- Tu as raison, père », déclara, à la surprise générale, Siméon.

Le jeune homme, à présent âgé de dix-neuf ans, était le deuxième fils de Jacob après Ruben. Et comme Ruben était parti aux champs, Siméon tenait le rôle d’aîné de la fratrie.

« Cependant, reprit-il, pouvons-nous donner Dina en mariage à un incirconcis ? Ce serait une honte pour nous.

- Tu dis vrai, Siméon. Que les gens de Sichem deviennent tous pareils à nous et que tout homme parmi eux soit circoncis. Alors nous leur donnerons nos filles et nous prendrons les leurs pour nous, nous habiterons avec eux et nous formerons un seul peuple. En revanche, s’ils ne veulent pas nous écouter et se faire circoncire, nous prendrons notre fille et partirons. »

Siméon hocha la tête, satisfait. Lévi ouvrit la bouche pour protester, mais son frère le fit taire d’un regard. Lévi obtempéra de mauvaise grâce et se jura de régler ses comptes avec Siméon.

 

* * *

 

De Sichem, fils de Habor

À Dina, fille de Jacob

Palais de Sichem

 

Toi que mon cœur aime,

Pourquoi restes-tu enfermée dans ta chambre ? Pourquoi ne veux-tu pas m’ouvrir ta porte ?

Je suis amoureux, jeune fille, car tu es belle comme le jour, et tu es bien égoïste de me tenir loin de toi. Je ne rêve que de caresser ta peau douce comme le miel, mettre mes mains dans tes cheveux pareils à un troupeau de chèvres bondissant sur les montagnes de Galaad, embrasser ta joue ronde comme une grenade, tes lèvres qui distillent le miel, tes deux seins tendres comme deux faons, comme les jumeaux d'une gazelle qui broutent au milieu des lis. Ta taille est un palmier, et tes seins sont des grappes ; je me dis, « je veux monter au palmier pour cueillir les grappes ! » Mais ce palmier se cloître dans sa chambre sombre et refuse d'ouvrir la porte. Tu es toute belle, mon amie, il n'y a aucun défaut en toi, si ce n'est ton orgueil et ton mépris à mon égard. Tu as volé mon cœur, ma toute belle, et je suis malade d'amour ; pourquoi ne veux-tu pas apaiser ma douleur ?

Les servantes me disent que tu refuses de t’alimenter ou de les laisser te faire belle. Tes joues seraient charmantes avec des bijoux, ton cou serait charmant avec des colliers. Mais tu vas maigrir si tu ne manges pas, ma colombe, et ton odeur, qui pour l'instant égale celle des vignes en fleurs, se fânera. Des dizaines de jeunes filles rêveraient d’être belles comme toi, et toi, tu négliges ta beauté ? Dis-moi ce que tu veux, ma princesse, et je te le donnerai ; si c’est l’accord de ton père dont tu as besoin, je l’obtiendrai sans peine. Mais ne reste pas ainsi emmurée dans le silence et la solitude !

Bien à toi,

Ton seigneur Sichem

 

* * *

 

« Ça y est ! Ils ont été circoncis ! »

Issacar courait à toutes jambes vers Siméon, suivi de près par son jumeau Zabulon. Le jeune homme gardait les moutons de son père dans les collines ; il avait chargé les petits de guetter l’activité des hommes de Sichem.

« Tous les hommes de la ville sont circoncis, répéta Issacar, à bout de souffle. Ils sont alités le temps de la cicatrisation.

- Parfait. Où sont nos frères ?

- Gad se charge de Ruben et Asher de Lévi. Juda est retourné chez lui, on risque de ne pas le voir avant quelques mois.

- Bien. Je vous confie le troupeau, d’accord ? Restez près du ruisseau, ne vous éloignes pas. Je serai de retour ce soir pour rentrer les moutons.

- Mais je veux participer ! protesta Zabulon.

- Non, Zabulon, tu es trop jeune. Même s’ils sont affaiblis, ce serait dangereux pour toi. Tu participes en t’occupant des moutons. Nous n’allons tout de même pas laisser les bêtes s’en aller ? Et puis, Dina ne voudrait pas que ses frères soient blessés. Tu as fait ta part en me prévenant. »

Zabulon hocha la tête, déçu.

« Allez, lui lança Issacar, ne fais pas cette tête. Il nous confie les moutons ! »

 

Rachel guettait, inquiète, par la fenêtre. Lorsque Jacob reviendrait, ce serait à elle que reviendrait la responsabilité de le distraire le plus longtemps possible. Il ne devait pas se rendre compte de ce que ses fils étaient en train de tramer.

En fait de fils, il n’y avait que Siméon et Lévi. Ruben avait refusé de désobéir à Jacob, Juda était auprès de sa femme pour la naissance de leur troisième enfant, et Gad, Asher, Issacar et Zabulon remplaçaient leurs aînés auprès des troupeaux. Quant aux siens, Dan n’avait pas voulu risquer de perdre ses bêtes pour une fille qui n’était même pas sa sœur, et Nephtali avait refusé de participer à l’opération sans donner de raison.

À une époque, Rachel aurait bien voulu voir mourir les fils de Léa. Mais à présent, elle craignait pour les deux jeunes hommes qui allaient devoir affronter une ville entière. Certes, les hommes de Sichem étaient affaiblis suite à leur opération, mais tout de même !

 

* * *

 

Dieu de mes pères, dieu d’Abraham et de Jacob,

Tourne ton regard vers ta servante Dina !

Cet homme m’effraie, allongé sur moi, promenant ses mains et sa bouche sur chaque parcelle de ma peau.

Ce n’est pas comme cela que j’imaginais l’amour.

Je suis impuissante et j’ai peur, Dieu de mes pères ;

ta servante n’a que douze ans, elle est nue et vulnérable,

rien qu’un jouet entre ses mains.

Je ne puis me rebiffer, car il est plus fort que moi,

et si je crie, personne ne viendra à mon secours, car il est maître ici.

Ce qu'il veut, il l'obtient, et ce qu'il n'obtient pas, il le prend.

Seul toi, Dieu éternel et maître de l’univers, peux me sauver.

Aie pitié de ta servante !

 

* * *

 

Siméon ouvrit brutalement la porte, épée au clair. L’homme sur le lit, nu et le sexe entouré d’un bandage, releva la tête vers lui. Le fils de Jacob ne lui laissa pas le temps de s’exprimer et le décapita. La tête roula sur le plancher et le corps retomba sur les draps. Siméon saisit le bras du cadavre et envoya le corps rejoindre la tête.

Dina, tétanisée, restait immobile sur le lit couvert de sang. Puis elle reconnut son frère et poussa un cri.

« Ne me touche pas, ne me regarde pas ! car je suis dans l’humiliation. »

Siméon trouva un drap propre et en recouvrit le corps dénudé de sa sœur. Puis il s’assit à côté d’elle et entoura ses épaules de son bras.

« Tout va bien, ma sœur. Ne t’inquiète pas, c’est fini, on va te ramener à la maison. »

 

* * *

 

Léa préparait les gâteaux préféré de Dina. La jeune fille avait perdu beaucoup de poids, et peinait toujours à s’alimenter. La séquestration et le viol l’avaient profondément marquée, et même si elle était à présent de retour à la maison, il faudrait du temps avant que les plaies ne cicatrisent. Les gâteaux étaient presque terminés, il ne restait plus qu’à les faire frire.

La porte s’ouvrit sur Zabulon, suivi de près par Dina. Le jeune homme avait décidé d’emmener sa sœur cueillir des fruits avec lui. Il était convaincu qu’elle avait besoin de voir autre chose que les murs de la ville de Sichem, et que le grand air ne pouvait lui faire que du bien. Et effectivement, elle avait l’air d’avoir repris quelques couleurs.

« Bonsoir maman, lancèrent le frère et la sœur.

- Bonsoir mes agneaux. Tout s’est bien passé ? Dina, je t’ai fait des cookies ! »

La jeune fille sourit. C’était peut-être un sourire un peu forcé, mais cela restait un sourire.

« Merci beaucoup maman. »

Elle prit un cookie et croqua timidement dedans.

« Il est délicieux ! »

 

Ils terminaient le repas du soir quand on frappa à la porte. Jacob alla ouvrir ; sur le seuil se trouvait une jeune fille un peu plus âgée que Dina, vêtue à la mode de Sichem.

« Charlotte ? » reconnut Dina.

Charlotte évita le regard de son amie et se prosterna aux pieds de Jacob.

« Que mon seigneur me pardonne de le solliciter. Le père et les frères de ta servante ont péché envers mon seigneur, en cautionnant l’enlèvement et le viol de la fille de mon seigneur. Leur sang est retombé sur leurs têtes. Mais à présent, la mère de ta servante est dans la nécessité, car elle doit subvenir seule aux besoins de ses enfants. Prends-moi à ton service, et permet à ma mère de gagner quelques pièces pour sa subsistance. »

Dina baissa la tête et des larmes de honte lui montèrent aux yeux. Non seulement elle avait perdu son honneur, mais maintenant, par sa faute, son amie devait se vendre.

« Eh voilà ! Bravo les garçons, soupira Jacob. Vous auriez pu y réfléchir à deux fois avant de massacrer tous les hommes de la ville. Maintenant, nous allons être assaillis par toutes les gueuses de la ville. Va-t-en Charlotte, et dis à ta mère de se débrouiller. Je n’ai pas que cela à faire.

- Non, ne t’en va pas », intervint Nephtali.

Le jeune homme se leva. Il s’approcha de la jeune fille prosternée, s’accroupit devant elle et lui prit les mains.

« J’aurais aimé te le demander dans d’autres circonstances que celles-ci. Charlotte, je suis amoureux de toi ; veux-tu être ma femme ? »

Charlotte leva les yeux vers lui, stupéfaite.

« Nephtali ! C’est de la folie, s’écria Jacob.

- Et pourquoi pas ? Elle est belle, dévouée envers sa famille, et je vois à la lettre qu’elle nous a écrite qu’elle est cultivée et intelligente. D’autre part, Dina n’en dit que du bien.

- C’est vrai papa, intervint Dina. Charlotte est gentille, drôle et attentionnée ; elle coud et tisse à merveille, et elle sait s’y prendre avec les animaux. »

Elle se rassit, rougissant de son audace. Mais sa mère Léa la félicita d’un sourire. C’était bon de voir Dina s’affirmer !

« Je ne suis pas un homme mauvais comme Sichem, continua Nephtali à l’attention de Charlotte. Si tu deviens ma femme, je prendrai soin de toi et je ne viendrai vers toi que si tu le souhaites. Je n’ai pas encore de troupeau à moi, car je n’ai que quinze ans, mais tout ce que mon père me donnera, je le partagerai avec toi. J’ai cinquante sicles d’argent à donner à ta famille pour le prix de ta dot. D’ailleurs, je les donnerai de toute façon, même si tu ne deviens pas ma femme, car je ne veux pas que tu m’épouses par nécessité.

- Oh, Nephtali, je… Laisse-moi réfléchir et en parler à ma mère, je te prie.

- Bien sûr.

- Attends, tu ne vas pas rentrer chez toi les mains vides, tout de même ! » s’écria Rachel.

La fille de Laban portait profondément en elle les valeurs des bergers, l’entraide et la solidarité envers les veuves et les orphelins.

« Tiens, prends ce pain et cette cruche de lait. Il ne sera pas dit que la famille de Jacob laisse ses voisins mourir de faim. »

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