IV. Rue

Une rue. Une barricade de police. Des manifestants regroupés. Un brouhaha. Fumée.

Imane : Tu aurais dû t'en débarrasser.

Policier 1 : Ne bouge pas !

Imane : On ne réussira jamais à passer le contrôle de police. Pas avec nos dégaines.

Hamza : Pas le choix, il va falloir forcer.

Policier 2 : Au sol ! J’ai dit au sol !

Imane : Calme-toi. Laisse-moi réfléchir.

Hamza : Où est le colis ?

Imane : En sécurité. Calme-toi.

Aboiements. Bruit de matraque. Les manifestants se dispersent. Anouar apparaît. 

Anouar : Laissez-moi passer s’il vous plaît, il faut que je retrouve Yacine. 

Policier 2 : Ne bouge pas ! Ne bouge pas ! Reste à ta place !

Anouar : Et elle est où ma place exactement ! Depuis que je suis né, on me dit de rester à ma place. La famille, l’école, le boulot, la police, l’État, tout le monde me dit de rester à ma place, mais elle est où ma place ? Dites-moi où est-ce qu’elle est, j’y resterai, mais pour l’instant, je cherche Yacine. Quelqu’un sait où est Yacine ?

Policier 1 : Recule ! Contre le mur et ne bouge pas !

Les manifestants se cachent. Anouar se braque contre le mur.

Hamza : Où est Salim, tu étais censé le prévenir ? 

Anouar : C’est toi. Il était déjà parti rejoindre Yacine quand je suis rentré. 

Hamza : Alors pourquoi tu es venu ? Tu ne le connaissais même pas Yacine. 

Anouar : Je suis à la recherche de ma femme.

Imane : Quel rapport avec Yacine ?

Anouar : Justement, j’essaie de comprendre, c’est pour ça que je suis à la recherche du corps de Yacine.

Hamza : Vivant, personne ne s’en soucierait, mort c’est devenu un héros et tout le monde cherche Yacine. Mon cousin s’appelle aussi Yacine, si vous voulez un Yacine. Y’en a des milliers de Yacine, et des vivants en plus, pourquoi c’est le mort qui vous intéresse ?

Policier 3 : Recul. Recul ! Montre-moi tes mains. Tes mains !

Ils montrent leurs mains.

Anouar : Où est Yacine ?

Policier 1 : Recule ! Contre le mur ! Les mains en évidence.

Imane :Derrière le barrage.

Hamza : Pas le choix, il va falloir forcer.

Policier : Recul ! Recul ou je tire ! Recul !

Imane : Garde le colis contre toi. Ne cours surtout pas, ils pourraient tirer.

Hamza : Aboie, aboie, aboie, c’est tout ce que tu sais faire, aboyer !

Policier 2 : Ferme ta gueule ! À terre ! À terre !

Imane : Fais ce qu’il te dit.

Hamza : Qu’il tire ! Vas-y, tire ! Ça te démange, hein ! Alors tire, qu’on en finisse ! Tu voudrais bien voir ma sale face de bougnoule manger le sol, pas vrai ? Alors tire !

Imane : Arrête ! Calme-toi, on a pas besoin d’un deuxième mort.

Hamza : Si seulement on était que deux. Ces chiens tuent tous les mois, des noirs et des arabes à croire qu’il y a qu’avec nous qu’ils font des erreurs.

Policier 2 : Contre le mur !

Imane : Cache-toi, ils vont tirer !

Hamza : Qu’ils tirent, on est déjà morts de toute façon.

Policier 2 : À terre !

Imane : Fais ce qu’il te dit.

Hamza : Qu’ils tirent ! Vas-y, tire ! Ça te démange, hein ! Alors tire, qu’on en finisse ! Tu voudrais bien voir ma sale face de bougnoule manger le sol, pas vrai ? Alors tire !

Imane : Arrête ! Calme-toi, on n'a pas besoin d'un deuxième mort.

Hamza : Si seulement on était que deux. Ces chiens tuent tous les mois, des noirs et des arabes à croire qu'il n'y a qu'avec nous qu'ils font des erreurs.

Policier 3 : Contre le mur !

Imane : Cache-toi, ils vont tirer !

Hamza : Qu'ils tirent, on est déjà morts de toute façon.

Imane : Quelqu'un sait où repose Yacine ?

Mère de Hamza : Hamza, Hamza, rentre s'il te plaît, rentre !

Hamza : Mama ? Rentre tout de suite !

Mère de Hamza : Qu’est-ce que tu fais ici ? Pourquoi est-ce qu'il braque son arme sur toi ? Hamza, rentre avec moi s'il te plaît, rentre à la maison, maintenant.

Hamza : Je dois venger Yacine, mama, si je rentre maintenant, demain il y aura un autre Yacine, et après-demain un autre, et ça ne s'arrêtera jamais.

Mère de Hamza : Je ne veux pas que tu sois le prochain Yacine, Hamza. J’ai besoin de mon fils en vie, j’ai besoin que tu sois avec moi, parce que si tu meures, même si tout le pays brûle pour te venger, ça ne suffira pas à éteindre ma douleur.

Hamza : Vivre ? Parce que tu as l’impression qu’on est en train de vivre, toi et moi ? Tu appelles ça vivre, mama ? Dans la misère, dans le mépris, dans l'injustice, dans la honte. Un flingue braqué sur la trombe en permanence. Sans avenir, parce qu’on a décidé qu’on était incapables avant même de nous tester, puis ils s’étonnent qu’on finisse mal, parce qu’on a nulle part d’autre où aller. Même à l’école, à peine rentrés, on avait l’impression que toutes les portes étaient déjà fermées. Discrimination au logement, discrimination à l’embauche, discrimination devant la justice, dans les hôpitaux, sur les terrasses, sur les terrains de foot, sur les bancs de l’université, plus j’y pense, plus j’ai l’impression que ma tête va exploser ! J’ai tourné en rond dans cette cité à en devenir fou, parce que c’est ce qu’on fait avec les sauvages, on les enferme, on les dévisage, quand ça nous arrange, on les expose pour se divertir un peu, puis on les remet dans leur cage. Mais y a plus de cage, elle était dans nos têtes, et elle vient de sauter quand Yacine est mort.

Mère de Hamza : Je préfère un fils fou qu’un fils mort. Pense à ta mère, tu les détestes tant que tu as oublié de m’aimer. Moi, je ferai quoi si tu meurs ? Justice pour Yacine ? Il n’y en aura pas, comme il n’y en a pas eu en 2005, et comme il n’y en a pas eu en 1989, il n’y en aura jamais pour nous, on peut brûler, piller, tous se prendre une balle dans le cœur ou dans la tête, on connaîtra la justice de Dieu avant de connaître la leur. Rentre, s’il te plaît.

Hamza : Ce soir, c’est la vengeance ou la mort.

Mère de Hamza : Leur haine ne mérite pas ta vie.

Hamza : Mais sa vie mérite la sienne.

Mère de Hamza : Je ne t'aurais pas mis au monde, si j’avais su.

Hamza : Tu as honte de moi ? Tu crois que la mère du meurtrier a honte de lui ?

Mère de Hamza : Je n’ai pas honte de toi ! J’ai honte de ce monde, j’ai honte de cette cité, de cette communauté. J’ai honte de mon échec.

Hamza : Nos cités, notre misère, nos morts, ce sont leurs échecs, pas les nôtres. Ce sont les échecs de la République. Notre vie n’a jamais été un échec pour moi, tant que nous vivons, nous ne sommes pas des échecs, nous sommes des luttes perpétuelles. Je n’ai jamais eu honte de toi, je n’ai jamais eu honte de moi, et je n’aurais jamais honte de Yacine. Considère-le comme ton fils, considère-le comme mon frère. Tu laisserais ton fils gisant face contre terre ?

Mère de Hamza : Ne tuez pas mon fils. Laissez-le vivre.

Policiers : Chargés !

Le fils et la mère s'enlacent. Mêlée générale. Les deux camps s’affrontent. Les manifestants sont dispersés.

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