La pièce n’était pas très grande, mais elle abritait une quantité impressionnante de rayonnages garnis de leurs locataires qui inspiraient le respect eu égard à leur grand âge. Petits, grands, minces, épais, sobres, ou colorés, une vraie ménagerie livresque ! Des arabesques dorées aux coins émoussés, des pages parfois jaunies au cuir travaillé, le petit garçon était captivé par la beauté de cet assemblage hétéroclite. Il s’attardait sur les volumes imposants aux couvertures usées, vieux manteaux élimés aux manches. Il se demandait combien d’années il faudrait pour en venir à bout.
Il aperçut également de grandes vitrines qui accueillaient tout un tas de fioles de diverses tailles contenant des liquides colorés ou d’étranges ingrédients dont la plupart lui étaient inconnus. Il crut cependant reconnaître des racines, des feuilles séchées, un petit scorpion et quelques poils d’animaux. Une étagère entière était consacrée à des bols en terre cuite et des pilons. Il se demanda ce qu’Awana fabriquait avec un tel attirail. Son imagination lui chuchotait, c’est une sorcière. Sa raison lui murmurait, c’est un genre d’apothicaire. L’ancêtre connaissait tout simplement les remèdes de grand-mère ou alors participait à des cours d’homéopathie. Après tout, sa mère aussi possédait toute une collection de flacons d’huiles essentielles. Une odeur rassurante d’herbes séchées l’enveloppait. Elle provenait des bouquets suspendus à des crochets au plafond de la salle. Un petit air de Provence dans un manoir breton. Il apprécia le parfum de la lavande, et identifia celui du thym. Les notes jaune soleil des fleurs d’immortelles égayaient cette déco insolite. Où se trouvait-il exactement ? Au coeur d' une bibliothèque, un musée, une cuisine, un atelier ou plus certainement du jardin secret d’Awena ?
Une grande lunette astronomique était plantée près de la fenêtre. De grandes cartes où des cercles parfaits avaient été tracés, s’étalaient sur une table rustique en bois massif. Elles tenaient compagnie à un genre de compas de navigation et à d’autres instruments dont il ignorait le nom. Peut-être avait-il tout faux et Awena se prenait-elle pour Nostradamus en réalisant des thèmes astraux ? Sapristi avait élu domicile sur une des extrémités de la carte, observant les signes et les dessins avec une attention presque humaine. Awena se trouvait dans le coin le plus obscur de la pièce et tournait le dos à l’enfant. Lorsqu’elle lui fit face, elle dit simplement :
« Bienvenu dans mon sanctuaire ! »
Le "bienvenu" aurait dû rassurer Merlin, pourtant sa peur ne cessait de croître, comme s’il était monté à bord d’un train fantôme ou avait pénétré dans un manoir hanté, du moins il l’imaginait, car il n’avait jamais été assez brave pour tenter l’une des deux expériences. Un sanctuaire, carrément ! L’ancêtre se la jouait divinité celtique ou un truc dans le genre. « Approche », ordonna-t-elle. Il obéit résigné et avança crispé. Est-ce que la leçon avait déjà débuté ?
« Regarde ! » Elle pointa alors son index vers le contenu d'une jolie vitrine. Il en apprécia les pieds de lion et le bois noirci délicatement décoré de volutes et de motifs floraux en nacre. Avant de s’exécuter, Merlin constata que pour l’instant la conversation se résumait à deux verbes à l’impératif. C’était sans doute ça, les méthodes pédagogiques à l’ancienne, et Awena était très ancienne. Il fixa l'unique objet exposé à l’intérieur : un livre vieux et poussiéreux. Il avait entendu que les animaux ressemblaient souvent à leurs maîtres, peut-être en allait-il de même pour les objets. L'exemplaire avait beau ne pas payer de mine, Merlin avait du mal à la quitter du regard. Il était troublé par un sentiment de déjà vu. Et puis, pourquoi cet ouvrage faisait-il l’objet d’un soin tout particulier ? La tranche n’indiquait ni l’auteur ni le titre. L’épaisse couverture en cuir d’un pourpre délavé ne trahissait pas davantage les secrets supposés qu’il recelait. Des feuilles d’aubépine et la silhouette d’un cerf paraissaient l’orner. Mais Merlin les soupçonnait, plus qu’il ne les voyait. Il finit par se demander si son imagination ne lui jouait pas des tours, inspirée par leur promenade de la veille.
Awena se saisit de sa canne et en dévissa avec grand naturel le pommeau qui ressemblait à une luciole brillant dans la pénombre. Une petite clé en acier ou en bronze s’y cachait. Elle la glissa dans la serrure. Merlin pressentit que la vitrine qui paraissait ordinaire ne l’était point, tout comme la clé. Son anneau travaillé avec une grande finesse représentait une couronne. L’ancêtre la tourna trois fois, puis du bras écarta un peu Merlin, qui d’abord ne comprit pas pourquoi. Au lieu de se saisir du livre, elle déposa sa canne dans le meuble. Déçu, le petit garçon pensa : « Tout ça, pour ça ! ». Et puis, il entendit un curieux sifflement. Il regarda du côté de Sapristi et même s’il le distinguait à peine, il sut que pour une fois le chat n’avait rien à voir dans l’affaire. Le sifflement était tout près. Il retint son souffle en apercevant une longue tige qui descendait du plafond de la vitrine. Une liane écailleuse qui ondulait. Il ferma les yeux espérant bêtement la faire disparaître. Elle ne disparut pas, elle s’entortilla peu à peu autour de la canne d’Awena. Oh ! Elle avait fière allure, on aurait pu croire qu'elle appartenait au dieu grec de la médecine Asclépios, le long de laquelle s’enroulait un serpent.
Un médecin, il lui en faudrait bientôt un. Serpent ! Ce mot cognait dans sa tête. Ce n’était pas une vitrine, mais un vivarium ! Et qui sait ce qu’il dissimulait encore comme insectes ou reptiles ? Merlin redoutait que d’immondes araignées poilues surgissent à leur tour. La panique l'envahissait, incontrôlable. Un vertige insurmontable. Comme les chevaliers autour du puits, ses pieds restaient désespérément ancrés dans le sol. Son cœur allait exploser, mais son corps refusait de bouger. Il reprochait pèle mêle à son père de l’avoir mené jusqu’à ce traquenard, à sa mère d’avoir une grand-mère aussi perchée, et à la terre entière de s'acharner ainsi sur son petit être sans défenses. Une profonde envie de hurler s'empara de lui, mais pas un mot, une syllabe ne sortaient.
« Respire ! » lança Awena, visiblement agacée par tant de couardise. A croire qu’elle découvrait que son arrière petit fils était un froussard ! Pourtant, elle devrait bien s’y faire. Dès qu’il aurait retrouvé ses jambes, il dévalerait les marches quatre à quatre s’il le fallait pour quitter à jamais le sanctuaire de la vieille bretonne.
Il ferma à nouveau les yeux et plongea en lui pour retrouver la sérénité de sa rencontre avec le patriarche de la forêt. Il le vit généreux, il le devina bienveillant. Les battements de son cœur de bois l’emplirent et le transportèrent dans un monde doux et paisible. A nouveau à l’unisson, ils vibraient hors du temps, hors des peurs. En les ouvrant, il se sentit fort et apaisé. Awena avait refermé la porte du meuble. Le serpent était lové sur le bâton de la canne, comme sur un arbre tropical. De sa main droite, elle pressait le gros volume contre sa poitrine, telle une précieuse relique.
Elle brisa l’épais silence. « Il n’y a pas de meilleur gardien pour le grimoire. »
Grimoire. En quelques secondes, la définition déboula dans sa tête. Les mots l'assaillirent en vrac : livre de magie, sorts, enchantements, amulettes…Devait-il être inquiet ? Awena pratiquait peut-être la magie noire. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher d’être excité. Elle désirait peut-être faire de lui son initié. Ou alors plus probable, la pauvre femme noyée depuis trop longtemps dans la solitude de son manoir débloquait complètement. Quand il la vit s’approcher vers lui d’un pas décidé, il comprit un peu tard qu’il aurait dû se montrer plus méfiant. Entre ses doigts, un petit objet pointu brillait. Une aiguille ! Elle avait la panoplie complète de la méchante dans les contes de fées.
« Il est temps ! » lâcha-t-elle théâtralement.
« Temps de quoi ? » questionna Merlin à nouveau paralysé par la peur. Qu'attendait-elle de lui ? Certainement pas un cours de couture ! Un pacte de sang ? Pire ! Une victime sacrificielle ? Il se raisonna. C’était une vieille dame avec une aiguille à coudre, lui n’était pas la belle au bois dormant qui craignait les fuseaux. Alors, il répéta plus calmement sa question. Et à sa grande surprise, elle daigna lui répondre.
Toujours de très belles descriptions.
Le pauvre Merlin passe d'une émotion à l'autre au fil de ses interrogations et de ses peurs.
Quand à Awena, elle n'est guère prolixe ni encline à renseigner son... élève ? Elle est terrifiante dans son genre.
Tes chutes amènent toujours de nouvelles questions
J'ai hâte de savoir ce qu'elle va faire de cette aiguille. Du sang de Merlin pour ouvrir le grimoire ?
Il me faut poursuivre ma lecture pour le savoir :)
A bientôt
Désolée de ma réponse tardive, merci beaucoup en tout cas pour tes commentaires positifs et réguliers. Cela donne de l'énergie pour continuer. A bientôt.
Encore un chapitre plein de rebondissements. J'aime bien qu'on ne sache jamais vraiment si Awena est une bonne ou une méchante sorcière, et encore une fois tout le défilé de pensées nourries de savoir livresque de Merlin. Hâte de voir en quoi va consister son initiation.
Deux remarques
- à la première mention de Awena, tu as écrit Awana,
- bienvenu => bienvenue
A très vite
Claire
Ravie de voir que tu poursuis ta lecture avec plaisir. En lisant tes impressions, je m'aperçois à quel point les contes et leur merveilleux sont présents dans mon histoire de légende arthurienne. Merci pour ton œil perspicace sur les coquilles. A bientôt.
Les descriptions du sanctuaire sont très réussies. Tu suscites notre intérêt avec le mystérieux grimoire. Il en est de même à la fin du chapitre. On a envie de tourner la page pour connaître la réponse d'Awena. Le coup du vivarium m'a surprise, c'est bien trouvé. Quelques remarques, si je peux me permettre :
- "La pièce n’était pas très grande, mais elle abritait une quantité impressionnante de rayonnages garnis de leurs locataires qui inspiraient le respect eu égard à leur grand âge. " Je trouve cette phrase un peu alambiquée.
- "pour retrouver la sérénité de sa rencontre avec le patriarche de la forêt" J'aurais peut-être développer le passage suivant.
A bientôt !
Non, vraiment rien à redire, tu as du talent !
A bientôt