« Temps de savoir si tu es bien l’héritier ! »
Il ne retint que le dernier mot « héritier ». La voix dans la nuit, celle montée du puits, c’était donc elle ? Impossible ! L’explication la plus probable, c’est qu’il était son seul descendant et qu’elle s’interrogeait sans doute sur sa légitimité. Un test pour prouver que le même sang coulait dans leurs veines, voilà ce qui était en train de se jouer. Peut-être même voudrait-elle lui arracher un cheveu pour prouver qu’ils appartenaient à la même lignée. Il faut avouer que la ressemblance n’était pas flagrante.
Alors, comme un condamné résigné, il lui offrit son doigt en la regardant droit dans les yeux. Il était prêt pour la cérémonie. Elle parut satisfaite et approcha la petite aiguille. Merlin éprouva un léger pincement et la vieille dame fit pression pour faire couler plusieurs gouttes de sang. Merlin suivait ses gestes précis. Il frissonna, une pensée venait de le frôler. Awena était peut-être un vampire ?
La suite ne l’éclaira pas davantage. Elle plaça son doigt meurtri au dessus du livre ancien. Il aperçut alors un épais fermoir qui retenait les pages prisonnières. Une solide serrure doublée d’un cadenas rouillé en préservait le contenu. Awena en possédait-elle la clé ? Elle le gratifia enfin de quelques paroles :
« C’est le seul moyen de l’ouvrir ! »
Soudain, Merlin comprit où elle voulait en venir.
« Quoi ? Mon sang c’est …
- La clé ! Mais encore faut-il que tu sois bien celui que tu prétends être ! »
Là, il eut envie de lui crier : « Et mémé, arrête ton char, moi je suis tout, sauf un gosse prétentieux ! J’ai beau être HPI, je me fais constamment tout petit, ça tombe bien, je suis tout petit. »
Dans les situations critiques, son père lui avait conseillé de dégainer la carte humour. C’était l’occasion ou jamais d’essayer.
« Un code à quatre chiffres ou la reconnaissance faciale, c’est efficace aussi ! »
Awena ne lui décocha pas même un coin de sourire. Elle observait les goutes qui tombaient sur la serrure. Quatre déjà. Combien en faudrait-il au juste pour satisfaire son étrange caprice ? Dans l’ombre, même Sapristi, s’était rapproché pour assister à l’étrange cérémonial. Merlin espérait que l’ancêtre ne le viderait pas de tout son sang avant de constater que les vieux bouquins ne s’ouvraient pas avec ce genre de procédé. Le jardinier devait bien posséder des tenailles ou un outil dans le genre pour venir à bout du cadenas. Il comprenait maintenant pourquoi le regard d’Awena lui avait causé tant d’effroi, il respirait la folie et la sénilité. Pas de doute, l’ancêtre était frappa dingue, une expression vintage qui amusait le petit garçon.
Awena lui rendit enfin son doigt. Le liquide rouge vif avait coulé dans la serrure dans un silence de rite défendu. Merlin se demanda ce qu’il pourrait dire de spirituel en une pareille occasion. Visiblement, il n’était pas l’élu. Heureusement, ce n’était pas la quête du Graal. Mais alors qu’il prenait l’affaire avec détachement, tout le corps d’Awena était tendu comme si elle avait espéré cette révélation depuis longtemps. Sapristi s’était perché sur son épaule, tel le perroquet fidèle d’un vieux capitaine penché sur une fabuleuse carte au trésor.
La déception serait à la hauteur des espérances. Il résolut de prendre la poudre d’escampette. Il avait déjà fait un pas dans la direction de la porte, lorsqu’un son métallique brisa l’atmosphère de gravité qui baignait le repaire de la vieille dame. Puis, ce fut comme si un mécanisme endormi revenait à la vie. Un coup sec et lourd suivit. Le cadenas avait rendu les armes. Et chose plus incroyable encore, une larme roulait sur la joue de la vieille dame. Ses mains se mirent à trembler.
« Merlin, c’est bien toi ? »
Quelle drôle de question ! Evidemment que c’était lui. Un prénom pareil, ils n’étaient pas légion à le porter ! Elle ajouta : « Tu as réussi la transmutatio ! »
« Mais, je n’ai rien fait du tout ! » s’exclama Merlin qui ne voulait pas être mêlé à une sombre affaire. Le mot « transmutatio » ne lui inspirait rien de bon. Sapristi adressa un miaulement à sa maîtresse, comme un signe de reproche.
« Nous lui rafraîchirons la mémoire plus tard ! », rétorqua-t-elle.
Elle caressa la couverture du grimoire et le posa avec un soin infini sur la table en bois. Elle soupira et fébrile tourna les pages. Elles étaient couvertes d’inscriptions, de dessins, schémas et même Merlin crut voir des recettes. Il douta que sa mère puisse en tirer le moindre profit, il pressentit qu’elles étaient d’une autre nature. Enfin, elle parvint à la dernière page écrite et leva alors la tête comme à la recherche de souvenirs enfouis ou enfuis. Visiblement émue, elle prit connaissance de son contenu et poussa un long soupir.
Du bout du pied, elle tira de l’ombre un vieux tabouret. S'agissait-il d'une version moderne du célèbre siège périlleux de la table ronde.
« Assieds-toi, Merlin ! »
Il s’exécuta, regrettant d’avoir laissé s’échapper l’occasion de s’éclipser « à la bretonne », car vu les égards inhabituels qu’Awena lui témoignait, la suite promettait d'être éprouvante. Elle s’affaira devant une vitrine et en revint avec un petit verre rempli d’une liqueur sombre et épaisse qu’elle lui tendit. Voulait- elle l'enivrer pour qu’il oublie les étranges événements ?
« J’ai des allergies. », mentit-il.
Elle lui désigna le verre d’un regard qui ne souffrait pas la contradiction.
« Je suis parfaitement hydraté. », se défendit-il encore d’une voix mal assurée.
Sapristi tournait autour du tabouret de plus en plus vite, entre agacement et impatience. Merlin se sentait comme emprisonné dans un cercle magique invisible qu’aurait tracé l’animal.
« Bois ! », lui intima-t-elle.
Il n’avait pas d’échappatoire, alors d’une main hésitante, il saisit la boisson qu’il but d’un trait. Le liquide lui brûla la gorge, avant de lui arracher des quintes de toux et de lui procurer une douce chaleur. Des notes épicées lui chatouillaient le palais.
« Le moment est venu de te révéler qui tu es vraiment.
- Je le sais déjà. Je suis Merlin Petitbond, votre héritier. »
Il pensa qu’elle radotait, et fut pris d’un petit rire nerveux qu’il ne put réprimer. L’alcool commençait à lui monter à la tête.
Elle regarda Sapristi. « Par où commencer ? Il y a tant à lui apprendre. »
Pourtant, au lieu de lui dévoiler quoi que ce soit, elle lui posa une question :
« Crois-tu vraiment que ton prénom est le fruit du hasard ? »
Est-ce qu’Awena avait prévu une dissertation sur le poids de « Merlin » dans sa destinée ? Il avait lu un jour dans un article que nous cherchons à coller physiquement aux images que notre prénom véhicule dans l’esprit des gens. Il se mit à nouveau à rire bêtement à l’idée de s’affubler d’une longue barbe blanche, d’un chapeau pointu, et d’une cape étoilée. Il sourit aussi en bénissant le ciel que ses parents ne soient pas versés dans la mythologie scandinave. S'appeler "Merlin", c'était déjà pas un cadeau, mais avoir hérité de Thor, là ce devait carrément insupportable. Bonjour, les blagues au rayon bricolage ! Et, il gloussa à cette pensée. Décidément, il était d'humeur joyeuse.
Elle poursuivit : « Autant ne pas y aller par quatre chemins. Tu n’es pas un petit garçon comme les autres. Tu possèdes des pouvoirs parce que tu es… »
Elle ne put achever sa phrase, car un rire incontrôlable s’empara de lui. Pire, il s’esclaffa. Il trouvait sa vieille parente tordante. Il avait aussi très soif et sa gorge paraissait en feu. Allait-il se transformer en dragon ? Il rit de plus belle Il s’attendait à ce qu’elle le foudroie du regard ou pire, pour tant d’impertinence, mais elle se contenta de hausser un sourcil réprobateur et de scruter la pupille de Sapristi, dont l’agitation montait comme un orage menaçant qui se rapproche. Visiblement, le vieux couple ne s'attendait pas à ce que la potion déclenche autant d'hilarité.
« Après tout, tu dois peut-être le voir pour t’en convaincre ».
Elle commença alors à tourner avec respect les pages du grimoire. Elle le plaça devant Merlin et pointa quelques lignes du bout du doigt. « Lis ! »
Encore des verbes à l’impératif, pensa Merlin. Il essaya néanmoins d’obéir et de découvrir les mots écrits à la plume d’oie. Il avait chaud, mal à la tête, et toujours très soif. L’écriture était belle, mais difficile à déchiffrer, d’autant plus qu’il comprit que ce n’était même pas du vieux français, mais sans doute du latin, ou quelque chose qui y ressemblait. Il finit par lire en s’appliquant : « Humanus Merlinus est, felis erit. Utinam magus iterut »
Il n’avait aucune idée de ce que cela signifiait. Awena avait fermé les yeux, comme un amateur de musique qui goûte un instant de grâce, et Sapristi s’était posté devant lui et demeurait immobile tel un sphinx majestueux prêt à poser son énigme. Pas un souffle de vent ne vint heurter à la fenêtre, pas une grondement ne vint annoncer une tempête. Le calme plat. Il tâta son visage. Son petit nez et ses joues rebondies étaient toujours bien en place. Même son appareil dentaire n'avait pas bougé d'un millimètre. La vieille bretonne ouvrit brusquement les yeux, visiblement déçue. Merlin trouva qu’elle ressemblait à une soupière ancienne décorée de motifs classiques et élégants, dont on ne remarque qu’elle est ébréchée que lorsqu’on en soulève le couvercle. Une soupière en porcelaine fêlée. La soupière vintage fétiche de sa mère qu’un gros coup de colle ne parviendrait pas à rafistoler. Il réalisa inquiet que l’ancêtre avait vraiment besoin d’aide. Ses parents le croiraient-ils seulement quand il leur raconterait l’improbable matinée qu’il était en train de vivre ? Le soi-disant grimoire, la vitrine au serpent, les gouttes de sang, la potion… La confusion était telle, que tout lui revenait dans le désordre. Et à présent ça ! Une formule magique en carton !
« Recommence ! Parle plus fort et avec assurance ! »
Nouvel essai, nouveau bide. Mais comment pouvait-il en être autrement ?
« Encore ! exigea-elle d’une voix dure en tapant du pied. Concentre-toi ! Mets de l’intonation ! »
C’en était trop, il se rebella.
« De l’intonation ? Encore faudrait-il que j’ai une idée de ce que ça dit ! »
Elle se rapprocha menaçante. Il hurla : « Je ne suis pas Harry Potter ! »
Elle se contenta de lui glisser à l’oreille comme une prière : « Encore une fois ! »
Le petit garçon relut à nouveau les mots inconnus d’une voix sonore. Il les fit résonner dans la pièce comme une incantation surgie de la nuit des temps, une mélodie offerte à un esprit qui vacillait.
Le silence retomba. Rien. Evidemment.
Il se sentait mieux à présent. Il se leva, déterminé à quitter les lieux. Awena n’opposa pas la moindre résistance.
« Merci, Merlin ! »
Le corps de l’enfant se figea. Ce n’était pas Awena qui venait de parler.
Ouf, que de détails et de réalisme (si je puis utiliser ce mot) qui feraient penser que l'auteure a vécu ce qui est écrit !
Par contre, il me semble que l'enfant Merlin est bien jeune pour avoir déjà autant d'expériences en lui.
Merci de poursuivre ta lecture, heureusement l'autrice a juste imaginé. C'est vrai que le jeune âge de Merlin peut parfois interroger, c'est pourquoi j'en ai fait un petit garçon HPI, y compris sur le plan émotionnel. Mais n'hésite pas à me dire si c'est trop déconcertant. Il faudra que j'améliore ce point. A bientôt.
Oula ! pauvre Merlin il lui en arrive des choses dans ce repaire de "sorcière". J'adore ses réflexions, à la fois lucides et fantaisistes, à son image encore un enfant mais tellement intelligent.
Qui donc vient de parler ? J'ai presque cru que Merlin allait se transformer :) En fait il vient de libérer quelqu'un je pense, serait-ce "le" Merlin ?
Je vais continuer ma lecture pour le savoir
A bientôt
Merci beaucoup pour tes impressions et tes hypothèses. Je pense que la suite va te surprendre. A bientôt.
Je reprends ma lecture de ton histoire et je trouve que ce chapitre est très réussi. L'idée du sang qui est la clé du grimoire est très bonne. Je me posais une question : avais-tu évoqué ce grimoire dans les premiers chapitres ? Peut-être aurait-il été intéressant de créer du suspense autour de cet objet ? Le passage suivant est très drôle : "« Merlin, c’est bien toi ? » Quelle drôle de question ! Evidemment que c’était lui. " La fin est très percutante, on a très envie de tourner la page et de découvrir la suite ! Quelques remarques si je peux me permettre.
- "Il avait déjà fait un pas dans la direction de la porte, lorsqu’un son métallique brisa l’atmosphère de gravité qui baignait le repaire de la vieille dame." J'aurais inversé les groupes de mots pour que "le son métallique" se trouve à la fin de la phrase et pour finir sur l'ouverture surprenante du grimoire. Mais, c'est un petit détail...
- "J’ai beau être HPI, je me fais constamment tout petit, ça tombe bien, je suis tout petit." Tu répètes le mot "petit". Pourquoi pas : "je SUIS tout petit" ou "je suis minuscule".
A bientôt.
Heureuse de te retrouver. Merci pour tes impressions toujours positives et tes remarques avisées. Je vais en tenir compte. De mon côté, je vais aussi remettre un pied et même les deux dans ton mystérieux collège. Celui là n'est pas fermé pendant les vacances. A bientôt.
Vraiment tu sais nous accrocher avec beaucoup de talent. J’ai lu que tu avais des doutes sur le découpage, je trouve qu’ainsi cela fonctionne très bien. La longueur n’est guère importante dans la mesure où le chapitre est cohérent.
Rien à signaler de particulier, je me laisse porter par l’histoire au personnage si attachant.
À très bientôt
Je suis ravie que tu trouves le chapitre réussi. Tu sèmes les commentaires au fil des chapitres et cela me permet de savoir si j'ai pris la bonne direction. Merci beaucoup. A bientôt.