1661 AÉ, 116ième
Ma cabine sur le Maxilien Roska
Le secret est éventé. Plus personne n'ignore aujourd'hui qu'il existe parmi nous des êtres d'une puissance telle qu'elle fait pâlir de frayeur les tueurs les plus entraînés des armées planétaires et fédérales.
Le gouvernement central s'en délecte dans sa guerre absurde contre les télépathes. On ne parle plus que d'abroger la loi de citoyenneté : si cela se concrétise, les télépathes redeviendront des sous-citoyens, des indésirables, des non-humains pour ainsi dire. Comment qualifier autrement des individus sans existence légale ni droits, avec pour seul bagage le mépris et la haine que les humains ordinaires leur portent ? Les gouvernements locaux pourront les parquer, les expulser ou les pourchasser comme du bétail à abattre.
Des temps noirs et rouges nous attendent. Canons noirs des armes et taches rouges du sang des assassinés.
Un brin mélodramatique ? Pas si sûr.
L'autre jour, j'ai quitté ma retraite du Maxilien Roska pour me rendre sur Chuoo dans le seul but de prendre le pouls du satellite, d'écouter ce qui se colporte et de tendre l'oreille à ce qui se murmure. Au parlement des planètes, les coulisses des couloirs diplomatiques ne m'ont rien livré, à part un silence révélateur. Sous la voûte étoilée de la grande salle, on évoque des sujets tout autres, avec un manque de cœur évident. Comme si l'ensemble des mondes retenait son souffle, par crainte ou anticipation.
Ils feraient bien d'avoir peur : comment le gouvernement central ne flaire-t-il pas le danger ? Croit-il que les monstres vont se laisser assassiner, effacer de la surface des mondes, quand ils détiennent le pouvoir de tuer ou contrôler d'une seule pensée ? Que se passera-t-il lorsqu'ils réagiront ? Pire, quand ils s'organiseront ?
J'ai franchi les limites du satellite officiel pour me rendre sur Zone_Un. Changement de perspective : la crainte s'est glissée au cœur de toutes les conversations. Ici, pas de faux-semblants, de ronds de jambe diplomatiques entre fonctionnaires tirés à quatre épingles ; on parle fort, on s'invective et surtout on spécule sur une guerre civile et les moyens d'en tirer profit. Au milieu de cette odieuse et banale avidité, les tensions s'exacerbent entre la petite minorité télépathe et les humains ordinaires. Une hystérie rampante empuantit le fond de l'air. Un relent de gaz qui n'attend plus qu'une allumette.
Il règne sur Zone_Un une ambiance de fin du monde encore plus évidente qu'à l'accoutumée. Il n'échappe à personne là-bas que le gouvernement fédéral, las de l'anarchie qui règne au cœur même du satellite central, pourrait bien entamer par Zone_Un sa politique de repérage et d'élimination des télépathes puissants qu'il a pris pour cibles. Afin d'annoncer des résultats probants à la populace, ses soldats rapporteront avant tout une moisson de télépathes ordinaires.
Un joli massacre en perspective.
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Je me suis arrêté malgré moi devant la porte qui mène chez lui. Mes pas m'y ont amené sans décision consciente de ma part, empruntant un chemin tortueux vers les docks spatiaux. Détour bien inutile : je n'ai pas senti sa présence sur le satellite. En outre, la confusion qui m'étreint m'aurait à elle seule détournée de l'intention de violer notre règle implicite d'un rendez-vous tous les six mois.
Alors quoi ? Suis-je habité par l'idée saugrenue qu'il m'aidera à résoudre mes dilemmes ? Stupidité désolante : je ne serais de toute façon pas disposé à accepter sa façon de voir. Je dois répondre seul à mes questions.
D'abord, me serais-je réjoui autrefois de ce règlement de compte visant les télépathes ? Simple : la réponse est oui, sans aucun doute.
M'en réjouirais-je encore aujourd'hui si j'en ignorais les enjeux politiques ?
Trop facile d'esquiver cette question-là. Elle reste hypothétique. Il me semble pourtant qu'elle se situe au cœur de mon malaise : l'absence de réponse résume à elle seule ma difficulté à me forger une ligne de conduite dans la crise en cours.
Et surtout, que dois-je faire de l'unité et de ses dossiers patiemment assemblés depuis près de vingt ans ?
Cette dernière interrogation ne souffrira pas de rester sans réponse.
Penchées les unes vers les autres comme de méchantes commères, les tours de Chuoo me dominent de toute leur hauteur alors que je réfléchis, incertain, avant de m'éloigner. Leur ombre s'épaissit avec le jour qui décline au fur et à mesure que les lumitubes centraux s'éteignent. Tels les spectres aux mille yeux brillants des contes nigatiens, il me semble qu'elles m'épient en ricanant, amusées de ma confusion. Dos rond, je me hâte vers les docks.
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J'écris dans la cabine que j'occupe sur le vaisseau ; une bougie se consume près de moi, tentant de me réchauffer de sa lueur chaude. Sa flamme vacille comme mes propres résolutions, depuis trois jours que je suis rentré.
Que faire ? Nos dossiers constitueraient une arme redoutable, s'ils tombaient dans les mains du camp des va-t-en-guerre. Que deviendraient ceux qui y figurent ? Certains mériteraient sans doute ce qui s'en suivrait, mais pas la grande majorité.
Nous sommes barricadés là-haut, dans notre vaisseau à la dérive, attendant les prochains événements. Nous avons changé la localisation du Maxilien Roska. Personne ne peut nous trouver.
L'heure n'est plus à la chasse. Notre patient travail de jardiniers, coupant ici et là un rameau tordu, n'a plus aucune raison d'être sur un terrain envahi par les bulldozers.
Grâce à toi les trajets dans le train sont devenus un véritable plaisir. Les chapitres courts que demande la narration si particulière conviennent parfaitement pour ceux-ci.
J'aurais probablement dû commenter plus souvent, ne serait-ce que pour l'exercice. Mais j'ai été tellement happé par l'histoire que je n'ai pas eu l'envie de réfléchir à une critique constructive; je me suis contenté de me laisser aller avec émerveillement.
Ton récit comporte des émotions très complexes qui ne m'ont aucune fois parues exagérées ou fausses, les scènes entre Sengo et L'Autre se multiplient, et pourtant ne se répètent jamais. L'alternance des chapitres aussi est magnifiquement orchestrée. Je ne m'y suis perdu aucune fois, et il y a tellement plus de suspens de cette façon!
Je pourrais encore ajouter un tas de choses, comme la beauté de certaines métaphores ou phrases sentencieuses, mais je ne ferais que me perdre en éloges, et je n'ai pas envie d'avoir l'air d'exagérer, ni de te faire rougir.
Alors je me contenterai de te dire bravo et merci.
Je pars dévorer la suite maintenant ;).
Au plaisir de te lire,
Mart
Wahoo, c'est vraiment gentil tout ça, et je ne peux pas rêver de meilleur compliment que de voir que tu prends plaisir à lire les chroniques !
Je suis presque triste que ça manque de détails ! Je veux savoir ce qui a éventé le secret des télépathes surpuissants. Il manquerait peut-être un autre court chapitre au milieu des deux pour raconter cette scène et en découler sur cette conclusion peu héroïque.
Arg la fin approche et je la sens mal ç_ç
Eh, eh ! la fin approche...
<3