Je me sens inutile, ici

Par Selma

Irène défaisait sa longue tresse, assise sur le lit de sa chambre. Ses cheveux étaient très longs, ils lui tombaient sur les cuisses. Ils étaient d’un blond foncé, un peu terne. Elle avait voulu les couper en arrivant chez son père, mais Thomas le lui avait diplomatiquement déconseillé, sachant à quel point elle y tenait. Elle ne les avait pas coupé une seule fois en dix ans, mais à présent elle avait l’impression que ces cheveux étaient des liens, et la tresse lui semblait être une chaine. Dans le miroir posé sur un meuble près de la porte, elle entrevit son reflet pâle. La tristesse et l’hivers enlaidissaient sa figure pourtant jolie. Des sourcils en arcs de cercles surmontaient de petits yeux bruns, pareils à ceux de son enfant défunt. Son nez était long et droit, et son bout arrondi pointait vers sa lèvre supérieure lorsqu’il arrivait que celle-ci se retrousse en un sourire. Les lèvres en effet étaient pleines et portaient une rougeur naturelle. Elles constituaient à une époque l’élément clé de ce visage à présent défait.

La porte entrebâillée s’ouvrit un peu plus pour laisser apparaître Médor le Saint-Bernard. Il renifla l’étagère qui se trouvait juste à côté de la porte avant de la refermer avec le bout du museau. Puis il s’approcha de la jeune femme pour poser la tête sur ses genoux, avec l’intention d’y rester. Irène se mit à le masser derrière les oreilles. Médor n’était plus tout jeune ; Mr Tellier en avait fait son compagnon trois ans après le départ d’Irène, la petite dernière, pour ses études. Elle finit de défaire sa tresse puis brossa ses cheveux, avant de les tresser à nouveau pour la nuit, afin qu’ils ne soient pas tout emmêlés le lendemain. Elle se rendit compte qu’elle avait laissé une mèche de cheveux en liberté. Elle se mit à pester contre cette mèche. Fichue mèche qu’est-ce que tu branle ici, voyons petite peste, connasse …  Elle prit une grande inspiration qui fit mourrir le flot absurde d’insultes. Il avait pourtant permis de libérer la tension qui serrait les entrailles d’Irène. Pester contre un rien la soulageait, mais la faisait se sentir si petite et si ridicule.

La porte s’ouvrit à nouveau. Thomas apparut. Irène prit une seconde inspiration, et s’empressa de redéfaire sa tresse. Thomas était vêtu d’un pyjama en velours Nicki vert émeraude qui portait une pochette au niveau du cœur. Il était issu de la seule valise qu’ils avaient put emporter dans l’hélicoptère, en plus d’un sac à dos très vite rempli par des papiers importants, un ordinateur, et quelques petits cadres photo.

Il ferma la porte derrière lui et s’assit à côté d’Irène.

_ Comment vont tes parents ? Demanda t-elle, tu les a eu au téléphone ?

_ Ils sont toujours dans cet endroit, je sais pas si on peut dire refuge, hôpital … bon en tout cas ils devraient pouvoir partir chez mon frère demain.

_ La jambe de ton père va mieux ?

_ Pas vraiment, mais je suppose que c’est trop délicat de se faire guérir là-bas. Ils n’ont pas les infrastructures.

Les parents de Thomas avaient subit les premiers dégâts de l’inondation, se trouvant près du fleuve qui avait débordé. Ils avaient été secouru de justesse, alors que leur maison commençait à s’écrouler. Un poids lourd était tombé sur la jambe du vieil homme. Depuis, il marchait en béquilles, et avec peine.

Après un silence Thomas ajouta,

_ J’ai mauvaise conscience.

Irène savait exactement de quoi il parlait. Il se sentait coupable d’être en sécurité alors que d’autres se trouvaient encore là-bas.

_ Tu sais bien, on devait partir pour qu’ils accueillent d’autres …

_ J’aurais pus proposer mes services, comme je suis médecin.

_ On faisait parti des victimes, Thomas …

_ J’aurais pus aider des gens comme mes parents, il est toujours possible de négocier. Je me sens inutile, ici.

Irène poussa doucement la tête de Médor qui était toujours sur ses genoux pour s’approcher de Thomas, et passer son bras autour de son coup. Puis elle posa sa tête sur son épaule gauche. Il éprouvait de la solitude à savoir qu’on souffraient à l’instant présent, alors que lui avait fuit loin du tumulte. Son accent allemand rappelait à Irène à quel point il était dépaysé. Et pourtant, se souvenir de la catastrophe le rendait malheureux.

_ Je pense quand même que c’est mieux pour nous, d’être ici, dit Irène avec douceur.

Il posa la tête contre la sienne.

_ Oui, sans doute.

Elle entendait qu’il pleurait.

Le soir, Thomas ressentait plus que jamais l’absence de Emilio. Il avait l’habitude de lui lire une histoire avant de s’endormir, et l’absence de ce geste quotidien était cruel. Irène lui caressa sa joue humide et passa la main dans ses cheveux bruns.

_ Il n’y a plus rien à faire ! Gémit-il, la voix déformée par la douleur.

Irène savait qu’il faisait allusion au petit garçon qui gisait dans les ruines de leur maison.

_ Viens, on se couche, dit Irène.

Il se leva et fit le tour du lit pour se glisser sous la couette. Irène ne fit pas de détour ; elle se faufila jusqu’à sa place avant de tirer le drap et l’édredon pour enrouler ses pieds dedans. Elle éteignit sa lampe de chevet et se tourna vers le côté extérieur du lit. Dans la pénombre elle aperçut Médor à quelques centimètres de son visage. Elle poussa un grognement avant de mettre pied à terre pour faire sortir le chien de la chambre. Elle referma doucement la porte et se hâta à nouveau sous la couette. Puis elle ferma les yeux, épuisée comme si elle avait accomplit des actes héroïques durant la journée, alors qu’elle avait tout juste réussi à ne pas succomber à l’hystérie. Elle essaya de faire le vide dans sa tête, comme dans les romans de Harry Potter qu’elle avait lu, adolescente. Comme Harry, elle devait empêcher le mauvais sorcier de s’introduire dans son esprit pendant la nuit. Elle sentit la main de Thomas sur sa nuque. Elle roula sur elle même pour se trouver nez à nez avec lui.

_ Je n’ai pas envie de te perdre …

_ Tu ne me perdras pas … Souffla t-elle, quelque peu surprise.

_ C’est que j’ai l’impression que les inondations nous poursuivent tous les deux.

Irène revit pendant un instant ce grand hangar perdu dans la campagne russe, empli de blessés. Elle chassa l’image de sa tête.

Thomas posa ses lèvres sur son front et les y laissa au moins dix secondes avant de faire un baisé et de les retirer.

Ils n’étaient pas les seuls que les catastrophes naturelles tenaient à rattraper. D’année en année, une part du territoire de plus en plus importante était concernée, tant que les restrictions imposées par le parti international semblaient inutiles : le mal avait été fait. Le climat était modifié, et les deux degrés supérieurs seraient sûrement atteint dans quelques années, accompagnés de catastrophes naturelles de plus en plus dévastatrices - si cela était encore possible-.

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