Je pique les idées des copains

39. Je pique les idées des copains  (By Victor Carmin) 

Prochaine étape : trouver un plan, sortir Kiwi de là où il était. Trop facile, avec le génie de l’école 42 sur le coup. Pourtant on n’a pas vraiment avancé. Je passais chez Diak tous les jours après le taf, officiellement pour donner des news de Santorga et participer à l’élaboration du plan, officieusement pour voir si Diak me faisait toujours la gueule et s’ils avaient pas mangé du bœuf bourguignon sans moi. Contre tout attente, leur cohabitation avait l’air de se passer plutôt bien. Une fois j’ai même trouvé un jeu de Monopoly mal rangé près du canapé. Ils devaient passer de folles soirées. J’étais grave jaloux. Grenade et Diak étaient tous les deux hyper froids avec moi, et je trouvais ça honteux. Diak aurait dû être de mon côté, on avait vécu tellement de trucs ensemble ! Grenade aurait dû être de mon côté aussi, il n’avait jamais fait confiance à Champignon. Mais les deux s’étaient ligués contre moi, et ça me faisait plus de peine que je l'aurais cru. 

Et puis il y avait Chibi. Après deux heures passées chez Diak à me faire mettre la pression pour qu’on trouve un plan, je rentrais chez moi et là c’était la même avec Chibi Kiwi, la froideur snob en moins. Trouver un plan, un plan... ils sont marrants, tous, si j’étais capable d’avoir un plan pour faire évader quelqu’un de Fleury-Mérogis, j’en serais pas là. Marrant comme tout le monde a soudain l’air de me croire plus intelligent que ce que je suis en vrai. 

Les jours passaient et on avançait pas. Grenade et Diak faisaient des schémas, des statistiques de probabilité, et puis ils foutaient le tout à la poubelle en rageant, je comprenais rien à leur bordel. Chibi Kiwi c’était l’inverse, il avait plein d’idées, et elles étaient beaucoup plus simples, tellement simples que ça me faisait flipper. Son plan le plus élaboré était celui ou je kidnappais mon patron pour faire un échange. Au début j’étais contre l’idée, parce que je n’ai pas envie de piéger mon patron, et aussi parce que je trouvais ça trop flippant de suivre un plan mis en place par ce débile de Chibi. En plus, ou est-ce que je le cacherais, mon patron, en attendant que l’échange soit fait ? Est-ce que j’allais pas avoir les flics au cul ? Soyons honnête, Chibi et moi on n’était pas assez intelligents pour se lancer là-dedans tout seuls. 

N’empêche qu’il proposait des trucs, lui, pas comme ces messieurs de l’élite intellectuelle qui critiquaient tout. Diak guérissait petit à petit de ses coups de couteau. Quand Grenade était trop méchant avec moi, il intervenait au bout d’un moment. Il disait : “Laisse-le c’est bon. C’est pas en ressassant le passé qu’on avancera”, et c’était à peu près tout pour les bonnes nouvelles. Ces deux crevards ne me laissaient même pas parler à Kiwi avec la boucle d’oreille. Soi-disant qu’il avait pas envie de m’écouter. Ça m’énervait parce que j’avais envie de lui dire que Chibi était avec moi, et lui demander ce que je devais en faire. Avec Grenade de nouveau en jeu, c’était évident qu’il fallait que je ramène Chibi ici pour qu’ils se retrouvent, mais j’avais peur parce que Chibi ne savait pas ce que j’avais fait, et je n’avais pas envie qu’il l’apprenne et me déteste à son tour. 

Un jour, alors que j’étais chez Diak et que celui-ci s’arrachait ses super cheveux sur notre absence de plan, j’ai eu envie d’être utile, d’être celui qui les sauverait tous. J’ai déclaré : 

- J’ai une idée. Et si on kidnappait le patron et qu’on demandait un échange ? 

Oui oui, je me suis approprié le plan de Chibi. Mais c’était pour la bonne cause, la vie de Kiwi était en jeu ! Franchement vu que c’était la seule idée qu’on avait, j’étais prêt à faire ça, piéger mon patron. Je trouverai bien un moyen. 

- Tu veux kidnapper Prigent ? m'a demandé Diak incrédule. 

- S’il le faut. 

Grenade s’est assis en face de nous : 

-  On t’écoute. Tu captures François Prigent, et ensuite ? 

Chibi avait une vision très claire de la marche à suivre, que j’ai essayé de répéter de façon convaincante. 

- Ensuite on le cache quelque part, par exemple chez ma mère ou euh... ici. Puis on appelle la police grâce à une ligne protégée, et on dit qu’on exige la libération de Kiwi sans quoi on tue Prigent. 

- Okay, a fait Diak. Qui tuera Prigent ? Toi ? 

J’aime pas ce plan putain, pourquoi je l’ai proposé. 

- Ben... on part du principe que les flics vont accepter et que Kiwi sera libéré. 

- Et s’ils refusent ? On commence à torturer Prigent et on envoie des bouts de doigts dans des cartons jusqu’à ce que la police cède ? Tu peux te charger de ça ? 

- Vous avez qu’à proposer des trucs si vous êtes pas contents ! je me suis écrié vexé. 

C’est vrai quoi ! Les plans de Chibi et les miens sont peut-être nuls, mais on fait de notre mieux, et on se soutien au moins, pas comme vous qui faites rien que me rabaisser. 

Diak a dû sentir ma déception parce qu’il a soupiré et m’a dit d’un ton plus conciliant : 

- Carmin... ce plan aurait pu marcher si on était dans un western. Mais la police n’acceptera jamais de rendre Kiwi comme ça. Au mieux, ils nous forceront à négocier pour gagner du temps, et ça leur permettra de nous trouver et de nous arrêter. Cela dit c’est très bien que tu proposes des idées. L’important c’est de participer. 

Ce niveau de condescendance bordel. Je me suis penché vers lui. Je vous jure que juste une seconde j’ai vu son sourire hautain de niveau deux, celui qui voulait dire qu’on allait baiser dans les dix secondes. Mais j’ai pas osé rentrer dans le jeu. Diak m’avait... enfin... les coups de couteau. Il s’était fait planter, ouais, on pouvait pas baiser maintenant parce qu’il s’était fait planter, voilà. C’est dommage mais bon c’est la vie. 

Grenade s’est raclé la gorge et j’ai capté que ma main était sur le genou de Drissou. Oups. Mon ex plan-cul restait immobile, avec toujours le même regard narquois. C’était lui qui avait le contrôle de notre relation, et contrairement à ce que je croyais avant, ça l’avait toujours été. J’étais qu’un pantin, moi. Et j’avais rien appris. J’ai reculé, dégoûté. 

- Comment on va sauver Kiwi, alors ? 

Ils sont restés muets tous les deux. 

- Il a pas un plan lui ? Vu que j’ai pas le droit de lui parler, vous lui avez demandé s’il avait pas une idée ? 

-  Il... a pas trop la tête à ça, a murmuré Grenade. 

- Quoi ? Mais c’est hyper important ! Bousculez-le un peu putain ! 

- Le bousculer ? T’as pas la moindre idée de ce qu’il vit. 

- Justement ! Je veux dire, on le sait tous non ? Kiwi c’est Princesse Sarah ! Tous les fléaux de la terre peuvent lui tomber dessus il les accepte sans moufter parce que c’est le seul truc qu’il a appris à faire. Il est maso, c’est comme ça qu’il se défend, non ? Si on le secoue pas  il reste dedans. Citez-moi une fois où Kiwi s’est sorti de ses emmerdes tout seul ? Il est resté 10 ans avec toi, Grenade, alors que tu le rejetais. Je sais pas ce qu’il te faut. 

Un silence de mort à suivi. Quoi encore ? Qu'est-ce que j’ai dit ? J’ai pas raison ? Ils m’énervent putain, on est une équipe ou on l’est pas ? Je vais pas rester toute ma vie avec des gens qui me méprisent et me détestent. Grenade et Diak ont l’intelligence et l’organisation, des talents de hacker indubitables, et la radio qui permet de communiquer avec Kiwi. Moi et Chibi on ne fait peut-être pas le poids, mais on a plein d’idées, et on est vachement plus solidaires. Bande de nuls. 

Je me suis levé. Ils vont voir, ce que ce débile de Victor Carmin est capable de leur apporter. 

- Grenade y a moyen que tu fasses du bœuf bourguignon demain ? Pour quatre. Je vous amène une surprise. 

- Par pitié Carmin, a fait Diak en se levant à son tour, ne kidnappe pas le patron. Et ne l’amène pas ici, ça n’aidera personne. 

J’ai été tenté de le faire quand même, juste pour voir sa tête. Juste pour lui prouver que je pouvais être encore plus nul que l’image qu’il avait de moi. Mais je ne ferai pas, évidemment. Celui que je voulais leur amener c’était le copier/coller. 

- Yo Totorou, m’a fait celui-ci quand je suis arrivé chez moi. 

Allongé pépouze dans mon canapé lit déplié, il était en train de lire un bouquin qu’il avait déniché je sais pas où. J’ai enlevé mes pompes et je me suis affalé à côté de lui en allumant la télé. 

- Ça va ton plan-cul ? m’a fait le clone.

- Ouais ouais. 

J’avais dit à Chibi qu’après le boulot je passais chez mon ex plan-cul pour lui changer son pansement et voir s’il n’avait besoin de rien, parce que croyez-le ou non, je suis ce genre de personne. Je n’avais pas mentionné que la personne qui l’avait planté était Grenade, mais il fallait que je le fasse. J’avais l’intention de tout lui dire, parce que je voulais nous réunir, pour augmenter nos chances de trouver un plan pour sauver Kiwi. Mais j’avais peur qu’il me déteste, à son tour, encore plus que les autres. Alors j’ai commencé par autre chose : 

- J'ai réfléchi à ton plan... 

Chibi s’est redressé. 

- Et ? 

- Ça va pas le faire je pense. Ça aurait pu marcher si on était dans un western, mais pas en vrai. La police ne voudra pas nous rendre Kiwi, elle va faire semblant de négocier pour gagner du temps, et elle nous trouvera. 

- Mais si on se cache bien ?  

- On n’a nulle part, Kiwi. 

Il m’a dévisagé assez longtemps pour que je me rende compte de ce que j’avais dit : 

- Chibi Kiwi. Pardon.  

Est-ce que le vrai Kiwi commence à s’effacer ? Non je supporterai pas. 

- Et mon autre plan ? a murmuré le clone. 

- Ton autre plan tu l’oublies c’est de la merde. 

Je sais, je suis dur, mais attendez de voir la gueule de l’autre plan : on attendait que Kiwi soit sorti pour son procès ou autre, et on échangeait discrètement sa place avec son clone. Kiwi serait libre et Chibi serait en taule, ce qui n’était pas grave parce qu’après tout, et bah c’est qu’un clone, il pourra s’estimer heureux d’avoir trois mètres carré à lui plutôt qu’une capsule. Ah et pour que l’échange soit crédible, il fallait qu’on lui coupe les membres, aussi, j’avais presque oublié ce léger détail. 

Chibi est perturbé. 

- Pourquoi ? s'est-il énervé. Ça marcherait ! Tu préfèrerais pas ? Regarde-moi et dit moi que c’est pas le vrai Kiwi que t’aimerais avoir en face de toi. Je sais comme t’as été déçu quand je t’ai trouvé et que t’as cru que j’étais lui. Et maintenant tu te trompes de nom, tu me confonds avec lui... 

- Je suis crevé rholala ! Ça arrive à tout le monde de se tromper de nom, vous vous ressemblez tellement ! Mais t’imagines comment réagirait Kiwi s’il apprenait qu’on l’avait sorti de prison en t’y mettant à sa place ? 

- Il est pas obligé de le savoir, a fait Chibi avec un sourire tentateur. 

- T’es un putain de taré. Et puis, oublie ça, il faut que je te parle d’un truc important. 

- Okay vas-y. 

Bon... même s’il me détestait, son raisonnement de malade mental avait achevé de me convaincre. Un de ces jours, Chibi allait passer à l’action tout seul et faire n’importe quoi. Grenade saurait mieux le calmer que moi, il l’avait élevé après tout. 

- Essaie de pas m’en vouloir, j’ai commencé. Enfin nan tu peux m’en vouloir si tu veux, mais essaie de pas oublier que je suis con et que je regrette, okay ?  

- Okay pas de souci, m’a-t-il répondu intrigué. 

- Alors, par ou je commence ? Déjà, Grenade est chez mon ex. 

- Hein ? 

J’ai commencé à lui raconter cette partie, que c’est Grenade qui l’avait planté, ce jour où Diak m’avait appelé au secours, et qu’ils habitaient ensemble depuis en cherchant un moyen de faire évader Kiwi. 

Les questions de Chibi étaient : pourquoi tu me l’as pas dit ? Et pourquoi Grenade a voulu tuer ton ex plan-cul ? 

Alors je lui ai raconté ce qui s’était passé le jour de la conférence de presse. Ma découverte au dernier moment que Driss était Champignon, qu’il m’avait manipulé. Comme j’ai été incapable de l’encaisser et comme je l’ai fait payer à Kiwi. Comme je regrettais depuis, comme je m’en voulais à mort, comme j’étais prêt à tout pour arranger les choses, comme j’avais peur de le perdre aussi lui, Chibi, parce qu’il était le seul pote qu’il me restait, et comme, maintenant il le voyait bien, si quelqu’un devait finir ses jours en cabane à la place de Kiwi, c’était moi, pas lui. 

Quand j’ai eu fini de parler, j’ai su que j’avais pris la bonne décision. Chibi pouvait me détester autant qu’il voulait, j’avais dit la vérité à quelqu’un. Il m’avait au moins laissé finir sans m’abreuver d’insultes, et je lui étais reconnaissant. Par contre ce serait bien qu’il dise un truc là, maintenant, le silence commençait à peser. 

- Voilà j’ai fini, j’ai précisé. Je t’emmène voir Grenade demain. Okay ? 

Il a hoché la tête lentement. Puis il a enfin commenté : 

- Putain c’est chaud.  

- Ouais. 

Il a attendu encore un peu, cherchant comment formuler sa réaction, puis il m’a dit pensivement : 

- Je le savais que t’étais amoureux de ton plan-cul. 

- Quoi ? N’importe quoi putain ! 

- Bah si. Ce que tu m’as dit sur les plans cul c’est qu’il y a pas de sentiments. Tu t’en foutrais qu’il se soit servi de toi, si t’avais pas de sentiments, non ? C’est bizarre moi je croyais que t’étais amoureux de Kiwi. 

- Kiwi a rien à voir ! Je suis pas vraiment amoureux de Diak c’est juste que... que... après tout ce temps... 

Putain mais c’est vrai ça, pourquoi j’en avais quelque chose à foutre ? Est-ce que j’étais amoureux de Diak ? Et Kiwi alors ? Oulà c’est pas le moment pour ça. 

- Mais tu m’en veux pas ?  

- Bah j’étais pas là, m’a fait Chibi philosophe, c’est dur de t’en vouloir. C’est clair que t’as déconné, et si j’avais su ça plus tôt je t’aurais tué, peut-être. Mais maintenant on essaie de le sauver, et je te crois. Je sais pas où je serais aujourd’hui si t’avais pas été là. Tu vas me ramener à Grenade. Je sais qu’on est dans le même camp, FdB. Je sais aussi qu’on va sauver Kiwi c’est qu’une question de temps, surtout si on a Champignon. Tu vas te racheter. Et moi aussi, je me rachèterai. Ça sert à rien de se faire la gueule. 

De quoi il voulait se racheter, lui ? S’il me disait encore une fois que ses bras et ses jambes auraient dû revenir de droit a Kiwi je lui enfonçais la tête dans les chiottes. Quoique j’avais plutôt envie de lui faire un câlin. Il était pas du tout fâché putain ! Comment c’était possible ? Ce mec est un ange. En même temps c’est du clone de Kiwi qu’on parle, j’aurais dû m’y attendre. Je l’ai trop mal jugé. 

- Merci, Chibs... putain tu sais pas ce que ça représente pour moi. 

- Sauve Kiwi et on est quittes.