Jour 3 : bottes

Par N-ir
Notes de l’auteur : On notera que je galère à choisir entre le ton roman et le ton contes...

Des bottes capables de parcourir sept lieues à chaque pas. Un chasseur les as fabriquées dans le cuir des ailes de chauves-souris il y a un siècle, pour quitter la forêt profonde dans laquelle l’avait jeté un ogre avant de lui enlever son épouse et de l’enfermer en haut d’une tour. Ses bottes à lui, du simple cuir de chèvre, étaient devenues inutiles à force de s’abimer sur les sentiers salébreux de la grande forêt. Pour manger, le chasseur cueille et chasse. Les températures baisses et les animaux se cachent alors il fait comme eux et rejoint une grotte et au-dessus de sa tête grouillent les chauve-souris qu’il tire avec des pierres. Leur squelette est minuscule, mais elles sont nombreuses et pour s’occuper les mains il décide de fabriquer de nouvelles chaussures avec le cuir de leurs ailes. Il y met tant et tant de soin, brûlant du désir de secourir son épouse, que les chaussures prennent vie.

— Qu’est-il advenu du chasseur ? demanda Kei comme Az se taisait.

La vieille femme balaya la question d’un revers de la main.

— Tous les héros ne parviennent pas au bout de leur quête, mon garçon. Celui-là est mort, tué par l’ogre, et son épouse a fini par sa jeter de la tour. Il est une chose de savoir trancher la gorge d’une biche, il en est une autre d’affronter dans un combat à mort un ogre deux fois plus grand et puissant que toi.

Kei garda le silence. Quand il releva les yeux, l’histoire du chasseur était oubliée, mais pas le nom de Vron dans la bouche de sa bienfaitrice.

— Vron est un villageois qui nous accompagnait. Pourquoi épouserait-il ma sœur ?

— Ah ! Mais pour devenir roi, bien sûr ! (Az traversa la pièce jusqu’à une cheminée dans laquelle pendait un petit chaudron.) Le roi est mort quand l’offrande a été vue par d’autres yeux que ceux des dieux. Vron a rallié les rescapés de leur colère et les a guidés hors de la montagne. C’est ainsi qu’il est devenu leur chef. Quel autre moyen pour un roturier de devenir roi qu’en épousant une princesse ? Après tout, ce serait la juste récompense de ses efforts pour ramener l’expédition en meilleure santé possible.

— La juste récompense ? Mais je suis vivant ! se révolta le prince.
» Quand compte-t-il prendre Sash ?

— À la prochaine lune, mon garçon. C’est la raison pour laquelle je te parlais des bottes de sept lieues, car par tes propres moyens et compte tenu du temps déjà écoulé depuis qu’un éclair à fendu la montagne, tu ne seras jamais de retour au palais à temps.

— Alors je fabriquerai mes propres bottes !

Az rit doucement, puis elle se retourna pour lui tendre une tasse de thé. Le récipient brûlant provoqua une traînée de chair de poule sur les avant-bras du jeune homme.

— Au lieu de vous moquer de moi, expliquez-moi !

— Les chauve-souris se cachent, mon prince.

Kei retint un grognement.

— Où se trouve la paire du chasseur ?

— Cachée dans sa tour, évidemment. Il ne peut pas les enfiler, et cela le chagrine beaucoup, mais il les garde en souvenir.

— Raconte-moi comme le chasseur l’a trouvé et ce qu’il s’est passé.

Az prit une grande inspiration avant de se laisser tomber sur une chaise.

— Bien. Beaucoup moins de villages trouaient la forêt, à l’époque, mon prince. Elle était dense et touffue et se densifiait un peu plus à chaque saison écoulée. Notre ogre y chassait l’ours et en chassait le loup, ce qui aurait ravi les humains s’ils l’avaient su, mais ils persistaient à croire que les disparitions de jeunes femmes étaient de son fait et ainsi donc à le détester. Le trouver n’avait rien de très compliqué – ou l’éviter – car sa tour transperce les bois de sa haute flèche famélique. Le chasseur s’y est rendu. Il a guetté le départ de l’ogre toute la nuit mais l’ogre restait chez lui, à tanner des peaux, tailler des haies, remplacer les tuiles du toit… Le chasseur s’endormit à l’aube, un instant avant que l’ogre aille se coucher. Quand il se réveilla, il entendait ronfler et, à la plus haute fenêtre de la tour, il aperçut son épouse. Heureux de la revoir, en bonne santé, il sortit de sa cachette pour la saluer. Pour s’entendre, ils durent élever la voix, ce qui troubla le sommeil de l’ogre. Le chasseur jura à son épouse de venir la chercher. Il entra par la fenêtre entrouverte, glissa dans la cuisine et fit trembler la table en s’y rattrapant. L’ogre ne ronflait plus, mais en jetant un coup d’œil dans le salon, le chasseur le trouva toujours endormi sur le canapé. Rassuré, il gravit les escaliers au pas de course sans se préoccuper de faire grincer les vieilles marches.
» La clef de la dernière porte se trouvait suspendue très en hauteur, trop pour le chasseur qui, après ses tentatives infructueuses de grimper sur le mur, descendit pour se mettre à la recherche d’un tabouret ou d’un escabeau. Comme le temps lui manquait pour explorer la tour, il prit le parti de redescendre à la cuisine y chercher l’une des chaises qui entouraient la table. Elles étaient immenses, si bien que le chasseur éprouva beaucoup de difficultés à en soulever une. Quand enfin il y parvint, et se retourna vers la porte pour partir, l’ogre lui faisait face, un grand sourire narquois sur ses lèvres gercées. Le chasseur tourna la tête vers la fenêtre. Elle était fermée ! Il ne possédait aucune arme sur lui ! Il se jeta sur la fenêtre pour tenter de l’ouvrir, mais l’ogre plus rapide saisit le chasseur par le col et lui rompit le cou.

Kei grimaça. Lui non plus ne possédait plus d’arme depuis la perte de son épée.

— Voilà mon conseil, enchaîna Az : frappe à la porte une fois quand l’ogre dort et va te cacher. L’ogre va demander qui l’attend, et tu ne dois pas répondre. Quand tu l’entends ronfler de nouveau, frappe une seconde fois, et court te cacher. Là, l’ogre ouvrira la porte pour voir qui l’appelle : tu ne dois pas te montrer. L’ogre va retourner dormir, attend qu’il ronfle et frappe de nouveau, court te cacher. L’ogre sera furieux : il va courir dans la forêt chercher l’importun, et toi, pendant ce temps-là, tu pourras entrer dans la tour et chercher les bottes de sept lieues. Elles devraient se trouver sous son matelas avec le reste de ses trésors.

Kei mémorisa les recommandations d’Az, finit son thé, mangea un morceau, et voulut partir, mais la vieille femme le retint, car il était blessé, et insista pour le garder une semaine de plus. Kei ne parvint pas à dormir avant plusieurs jours, se retournant dans son lit, trépignant d’extirper sa sœur des griffes de Vron. Quand enfin les soins d’Az lui permirent de se lever, Kei partit à la recherche de la tour de l’ogre. Personne ne le reconnaissait dans les villages où il faisait halte, et Kei s’en satisfaisait car il voulait garder sa survie secrète afin de surprendre Vron.

Le prince chercha la tour trois jours et trois nuits. Enfin, alors que la fatigue le gagnait, un petit jour, il aperçut entre les arbres la haute silhouette pointue et noire de la tour de l’ogre. À ce moment, Kei quitta les chemins pour passer par les fourrés et dissimuler ses traces. La tour de l’ogre était une immense bâtisse blanche avec des fenêtres hautes comme un homme. Même avec les vitres et la porte fermées, les ronflements tonitruants retentissaient loin à la ronde. À pas de loups, Kei traversa le jardin, une simple plaine d’herbes denses maculées de flaques de neige, et frappa du poing à la porte avant de courir d’où il venait.

— Qui va là ? beugla une voix grave et colérique depuis l’intérieur de la tour.

Kei se garda bien de répondre. Quand les ronflements retentirent de nouveau, Kei retourna frapper à la porte, cette fois plus fort, avant de se dissimuler derrière un arbre colossal. Tout se passa comme Az l’avait dit et l’ogre se leva, ses pas faisant trembler le sol, pour ouvrir. De ses yeux exorbités, il chercha autour de lui son visiteur, bien sûr sans le trouver, car Kei demeura caché. Ensuite, l’ogre retourna dans la maison. Kei attendit longtemps, les muscles engourdis, avant d’entendre ronfler l’ogre de nouveau. Alors, il retourna frapper une ultime fois à la porte, se cacha à proximité de la tour, et attendit de voir l’ogre sortir en courant, ce qui ne tarda pas à arriver. La créature furibonde rugit comme une bête enragée et la secousse de ses pas fit s’envoler les oiseaux jusqu’à l’horizon.

Alors, le prince galopa dans la maison, ouvrit toutes les pièces jusqu’à la dernière où devait se trouver la chambre de l’ogre. Le verrou était poussé, et Kei manquait de forces pour fracasser le bois d’un coup d’épaule, alors il fit comme le chasseur et chercha un escabeau, mais au lieu de redescendre jusqu’à la cuisine, comme il avait mémorisé les pièces de la tour, il regagna la salle de bain, s’empara d’un grand tabouret, et monta dessus pour prendre la chef au-dessus de la porte de la chambre. Il y avait là un lit immense dans lequel cinq ou six personnes auraient tenu à l’aise. Kei usa de toute son énergie pour soulever le matelas. Se trouvaient là de l’or, des diamants, des livres de sorcière, et la paire de bottes grises. Kei hésita, puis s’empara seulement de ce qu’il était venu chercher. Il passa les bottes et sauta sur le bord de la fenêtre au moment où l’ogre paraissait dans son jardin en levant un poing menaçant.

Le grognement de rage de l’ogre fit trembler les murs de la tour et la poitrine de Kei.

— J’ai besoin de ça pour sauver ma sœur, et tu ne peux pas les porter ! Prêtes-les moi !

Et, sans attendre la réponse de l’ogre, Kei sauta dans le vide. Les bottes lui permirent de rebondir, le sol défila sous lui à une vitesse folle, les champs succédant aux forêts, les forêts succédant aux villages. Pour s’arrêter le soir venu, Kei s’accrocha au sommet d’un arbre, retira les bottes et descendit jusqu’au sol en se suspendant aux branches comme un singe. Le lendemain, il repartit, et ainsi de suite pendant sept jours et sept nuits. Enfin, il parvint en vue du château et s’efforça de sauter plus vite de sept lieues en sept lieues. Il déboula dans les jardins du palais de son père où la princesse Sash en grande robe de cérémonie couverte de pierres précieuses serrait les mâchoires et ployait la nuque sous la menace des soldats aux ordres de Vron parce qu’ils lui devaient la vie dans la montagne.

— Ma sœur ! héla Kei depuis le ciel. Sash ! Je suis là !

Se contorsionnant dans les airs, il retira ses bottes et atterrit pieds nus sur l’herbe grasse. Vron était là, dans une tenue de cérémonie, lui aussi. Il ne chercha pas à fuir, et au contraire tira son épée. Kei en emprunta une à un soldat et, en deux pas, il eut planté la lame dans le cœur de son adversaire. Il la retira et une gerbe de sang vint avec. Les courtisans présents pour le mariage crièrent et certains reculèrent. Kei les ignora et prit sa sœur dans ses bras pour la faire tourner dans les airs.

— Père est mort, mon frère, dit gravement la princesse. Tu es le roi.

Kei secoua la tête.

— C’est moi qui l’est tué car j’ai regardé dans la boîte en cédant à la curiosité et à de mauvais conseils. Je ne mérite pas d’être roi, mais si tu le veux je serai le conseiller de la reine.

 

Silence se hissa hors de l’eau de puissants battements d’ailes pour se percher sur le long bambou passé en travers du radeau. Le cormoran régurgita le gros poisson dans le panier de Dhai et s’ébroua.

— Les poissons se sont rassemblés sous la lanterne, avisa-t-il.

Vacarme le foudroya du regard.

— Nous ignorons quand nous serons au port. Si nous pêchons trop, les poissons pourrirons. Ce n’est pas une bonne occupation, prétendit-il.

— C’est l’occupation pour laquelle tu te trouves sur ce radeau.

Silence posait sa voix, Dhai le sentait et il sentait aussi la colère sous-jacente à ses mots. D’une main habile, il piocha dans le panier une prise de taille modeste et l’offrit à l’oiseau. En même temps, quelque chose attira son attention à l’extrémité du radeau. Une lueur. D’abord, il crut au reflet de la lanterne, mais la couleur différait trop, même dans la brume épaisse. Le cœur battant, Dhai remonta le radeau à genoux pour se pencher au-dessus de l’eau, si près que son nez effleurait le liquide glacé.

Là, nageait un poisson doré.

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Nir
Posté le 04/11/2024
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