Journal de bord d’Anselme Dubois
8 août 2221
Définir un système éducatif adapté et performant est un enjeu majeur. L’éducation est la pierre angulaire de toute société, elle doit représenter un socle d’une solidité telle que nous pourrons ensuite construire tout le reste dessus.
J’ai toujours travaillé seul. J’aime la solitude et la liberté totale qui l’accompagne. Au milieu de ce Comité mondial que je suis censé diriger, je me sens parfois un peu perdu. Les enjeux géopolitiques empoisonnent les débats. Je n’ai jamais voulu faire de la rétention d’information, j’y ai été contraint. Ma volonté première était que nous soyons tous sur un pied d’égalité et que nous puissions cheminer main dans la main vers un monde meilleur.
Quelle naïveté. Le fait de ne pas avoir tout révélé est la seule chose qui me permet d’être considéré comme le leader de ce comité. Je ne suis pas le plus intelligent, ni le plus charismatique et je ne viens pas du pays le plus puissant. Le fait que je sois le décisionnaire final révolte la plupart de mes collègues, mais ils craignent plus encore de faire partie du seul pays qui resterait à la traine.
Au sein de ce Comité, et même si je ne l’ai jamais recherché, j’ai le pouvoir. Il m’est très vite apparut que j’avais alors deux choix : celui aisé d’imposer ma vision, ou celui plus tortueux de déployer des prodiges de diplomatie afin créer un système qui convienne à tous.
Chaque représentant est différent. Je dois réussir à les cerner et leur permettre de se sentir utile et mis en valeur au sein du Comité. Ils doivent tous rentrer chez eux en ayant l’impression d’avoir été essentiel au projet. Créer une nouvelle société représente déjà un travail immense mais si je réussis à le faire de cette manière, alors peut être que nous convergerons vers un monde plus harmonieux. Peut-être que nous abolirons les frontières entre les pays, et à fortiori entre les humains.
Après plusieurs mois de travail, nous sommes à l’aube de présenter ce qui deviendra le nouveau système éducatif mondial.
Selon le Dr. Emery, représentante du Royaume-Unis et chercheuse en neurologie, le meilleur moment pour détecter un Talent se situe entre 12 ans et 25 ans, pendant la phase d’élagage synaptique. Durant cette phase, le cerveau va choisir de ne conserver que les fonctions les plus utilisées et ainsi se spécialiser peu à peu. Après de longs débats, nous avons finalement choisi de garder un tronc commun de connaissances jusqu’aux 15 ans, puis de tester chaque année les compétences des adolescents dans les 5 domaines de Détermination grâce à un examen. Un taux minimum de 55% devra être atteint dans un des domaines pour que celui-ci puisse être considéré comme un Talent. En commençant la détection à 15 ans, nous pourrons ainsi profiter d’une bonne partie de la phase d’élagage synaptique pour développer le Talent décelé. Chaque étudiant sera ensuite dirigé vers une Classe de spécialisation qui lui permettra de se former à son futur métier.
Mon homologue Japonais a ensuite relevé, très justement d’ailleurs, le cas particulier de ceux que nous avons appelons parfois « génies » ou « surdoués ». En me basant sur mes précédentes expérimentations, j’ai pu déterminer qu’en cas de résultat supérieur à 80% dans l’un des domaines de détermination, l’étudiant pouvait être considéré comme Savant. Le titre de Savant indique un niveau de Talent inné bien supérieur à la moyenne et qui devrait permettre à son détenteur d’atteindre très tôt dans sa carrière, un niveau d’excellence difficilement égalable. Je compte beaucoup sur les Savants. Avec une système éducatif adapté et une place valorisée dans la société, je suis persuadé qu’ils seront à l’origine des plus grandes découvertes futures ! Cependant, nous ne pourrons pas totalement gommer les lacunes, parfois handicapantes, que cette ultra spécialisation entrainera très certainement dans les autres domaines de détermination.
Quoi qu’il en soit les 18 ans sonneront le glas de la dernière évaluation. Le Comité a déterminé que, grâce à la combinaison de nos brillants cerveaux et aux évolutions futures, une à deux évaluations devraient suffire à terme. Je ne suis pas d’accord. Concernant le premier point, j’ai l’intime conviction que lorsque je pourrai tester mes collègues du Comité, je découvrirai un manque terrible de diversité. Erreur terrible pour un comité qui ambitionne de créer un monde offrant la même place à tous les Talents. Deuxièmement, je pense qu’il convient de laisser le temps aux Talents les plus timides de se révéler. Finalement, il est de mon devoir en tant que leader de ce Comité de faire preuve de la plus grande modestie : nous aurons beau nous améliorer, il est impensable qu’une personne puisse passer à côté de son Talent par la faute de l’inefficacité d’un test. Nous ne pouvons donc pas nous limiter au strict nécessaire.
Et si les tests n’ont pas permis de détecter un Talent avant les 18 ans ? C’est là qu’interviendra la sixième catégorie, celle des « Différents ». D’après mes recherches, les Différents ne représentent qu’une très faible partie de la population. Ils disposent d’un don hors du commun, un pouvoir exceptionnel ne faisant pas partie des 5 domaines de Détermination. Une école spécifique sera chargée de ce difficile diagnostique : La classe de Détermination.
En cas d’échec, nous serons contraints d’abandonner les recherches à 25 ans et l’individu sera définitivement considérée comme Indéterminé. Cela ne me plait pas du tout. Déjà, pourquoi 25 ans ? Nous avons passé des semaines à débattre de cette date fatidique et je crois que finalement, ils m’ont eu à l’usure. Il fallait bien choisir une date, je ne m’imaginais pas demander aux générations futures de chercher indéfiniment des Talents introuvables ! J’ai donc abondé dans le sens du Dr. Davis pour deux raisons : mon collègue américain est celui, de tous, ayant le plus besoin de reconnaissance, et son idée collait plutôt bien avec les histoires d’élagage synaptique du Dr. Emery.
Cela étant dit, j’ai tout de même du mal à accepter l’abandon. Les Différents sont précieux, ils sont à l’origine de tout. Que serait devenu Nina si j’avais abandonné à ses 25 ans ? Si je n’avais pas lutté contre ceux qui la disaient folle, si je n’avais pas décidé de la prendre au sérieux et de creuser. Je n’aurais jamais découvert son Talent et je n’aurais jamais découvert LES Talents. Après avoir été moquée et rejetée, je voulais que ma fille devienne l’origine d’un monde sans stigmatisation. Il s’agit là de ma première grande concession. Je me suis plié à l’avis de mes collègues : nous devons envisager notre propre échec.
Cependant, je ne peux m’empêcher de me demander quelle sera la place d’un Indéterminé dans un monde où chacun met à profit le meilleur de lui-même au service de la société ? Il sera sans doute condamné à limiter ses ambitions professionnelles aux tâches les plus basiques, sans possibilité d’évolution.
Cette explication plus exhaustive du système de classe et des déterminations est plus que bienvenu, on comprend mieux ce qu'il se passe au chapitre précédent.
J'ai juste un problème avec ce texte, c'est l'utilisation de l'autisme comme d'un synonyme de "génie" ou de "surdoué" de la part d'un prétendu scientifique. L'autisme est un trouble du développement, les autistes ne sont pas des personnes "plus intelligentes que la norme". ça ressemble beaucoup à de la romantisation de l'autisme, et c'est vraiment pas une bonne chose pour l'acceptation des personnes autistes dans notre société, surtout que le texte ne change quasiment pas si on enlève cette mention.
Mon idée était surtout de montrer que dans notre société actuelle nous valorisons surtout l'intelligence type "QI" mais qu'il en existe d'autres et que certaines personnes très douées dans un domaine peuvent avoir des lacunes dans d'autres .
Mais tu as tout à fait raison, je pense que l'utilisation de l'autisme dans ce contexte n'est pas très pertinente et encore moins de la bouche d'un scientifique. Je vais retravailler tout ça :)
Merci pour ta vigilence :)
J'ai beaucoup apprécié le début de ton histoire. En particulier, les intermèdes "journal de bord" permettent de se plonger dans ton monde et nous intriguent beaucoup, ce qui donne envie de lire la suite. Je ferais peut-être attention de ne pas les faire trop longs, pour éviter un effet encyclopédie un peu lourd au tout début du livre. J'aimerais en découvrir aussi au fil de l'histoire!
Bien sûr, ton début fait écho à d'autres histoires: l'héroïne reçoit une fameuse lettre, l'univers est séparé en différentes castes...
Mais ton écriture apporte de la fraîcheur, et j'ai aimé que tu mettes le sujet des Talents sur le tapis par le biais des parents: cela permet de comprendre le monde tout en donnant des indices sur la vie de Solola.
Cela dit, j'ai hâte d'en découvrir plus.
A bientôt!
C'est bien noté pour la longueur des extraits, c'était en effet bien l'objectif. Eh oui je me suis certainement inspirée de mes nombreuses lectures, consciemment ou non :)
J'espère que la suite te plaira !
A bientôt !
Toujours est-il que cet extrait permet de voir que le système s'est heurté très rapidement à des limites, d'autant plus, probablement, qu'il n'avait pas encore était mis en pratique. Reste à voir s'il a été adapté depuis.
En tout cas, j'aime beaucoup ton thème et ton début. Ton roman va rejoindre ma PàL déjà croulante. Du coup, je ne sais pas quand je repasserai mais ce sera le cas !
A+
Je suis très flattée que mon histoire rejoigne ta PAL, en espérant qu'elle continue à te plaire ;)
J'ai vu que tu parlais de sa fille dans le commentaire précédent, pourquoi ne pas l'ajouter ici ? Tu peux modifier le paragraphe "Cela ne me plait pas du tout. Les Différents sont précieux, ils sont à l’origine de tout" => il peut enchaîner sur son ressenti avec sa fille ?
En tout cas j'aime beaucoup l'idée de construire le personnage d'Anselme Dubois en parallèle de l'histoire de Solola. Ca donne envie de le voir se rencontrer à la fin ;-)
Pour la fille d'Anselme Dubois je me suis dit que ça ferait un petit suspense jusqu'au chapitre suivant mais en effet ce n'est peut être pas utile d'attendre.
Pour la rencontre ça risque d'être compliqué car 153 ans sépare les deux extraits ;)
Par contre j'ai une crainte concernant ce format : en choisissant de ne pas révéler tout les détails au tout début, j'ai peur que le chapitre 1 soit trop compliqué à comprendre (notamment concernant les pourcentages / les savants etc)... Qu'en penses-tu ? Ça reste compréhensible ?
Pour le chapitre 1, il faudrait un regard plus extérieur que le mien pour vraiment confirmer mais je ne pense pas que ça pose problème. Les infos glissées dans le chapitre 1 attisent la curiosité sur le sort de Solola, et l'extrait du journal tombe à pic pour comprendre ce qui lui arrive avant l'entrée à l'école.
Yes je pense que je vais demander l'avis de quelques nouvelles plumes motivées sur le forum :)