Juillet | Chapitre 18

Par Hinata

Lassée de simplement regarder, Raphaëlle effleura du doigt la courbe d'une tige. L'apparition d'un employé en gilet vert lui fit aussitôt ramener la main vers elle. Il n'avait rien vu et se fichait pas mal d'elle, mais Raph préféra quand même aller voir ailleurs. Les allées regorgeaient d'une variété impressionnante de plantes, de cache-pots, et d'un tas d'objets décoratifs qui n'avait rien à voir avec le jardinage. Tout était soigneusement étiqueté, jusqu'au moindre petit cactus. Elle plissa les yeux sur une vignette colorée qui indiquait en lettres rondes : « Cactus porte-bonheur - symbole de persévérance ». Elle devrait peut-être s'en acheter une petite centaine, tiens.

— Raphaëlle, viens voir par là !

Sofia n'avait pas parlé si fort que ça, mais la hauteur sous plafond du magasin, qui tenait presque du hangar, ajoutait de la résonnance à chacune de ses paroles.

— La-la !

Les babillages de Jeanne aussi portaient plus que d'ordinaire, un atout non négligeable pour les localiser. Cet endroit avait beau avoir une allure de jungle en carton, illuminée à coups de néons et sans le moindre moustique, c'était tout de même un sacré labyrinthe. Elle retrouva ses deux aventurières plantées devant un régiment d'orchidées géantes. La robe longue et fleurie de Sofia, tout en nuances turquoises, se mariait parfaitement avec le décor. À califourchon dans ses bras immenses, Jeanne manipulait avec intérêt une paire de lunettes de soleil bien trop grande pour elle, tout en chantonnant une volée de syllabes sans queue ni tête. La robe de Sofia ondula joliment quand elle se tourna dans sa direction.

— Elias aimerait bien ça, non ?

Raphaëlle se pencha sur le cas des orchidées.

— Oui, je me demande même s'il n'en a pas déjà une chez lui.

Elles échangèrent un regard qui disait toute leur lassitude. Chaque année, c'était la même galère pour l'anniversaire d'Elias. Julie gardait pour elle LA bonne idée : originale, tendance mais pas trop, quelque chose dont il avait besoin mais ne pensait pas à s'acheter. En bref : le cadeau parfait, et personne ne pouvait rivaliser. Il ne restait au reste d'entre eux qu'à se raccrocher à l'amour inconditionnel qu'Elias portait aux plantes vertes. Leur attention dévia de nouveau sur les orchidées au garde-à-vous.

— Au moins, on sait que ça fera pas tache dans leur appart, fit mine d'argumenter Sofia.

Vendu. Raph s'empara d'un pot et avant que leur absence d'effort ne lui procure un sentiment de culpabilité dont elle se passerait volontiers, elle se dirigea tout de suite vers les caisses. Son téléphone choisit ce moment pour émettre un tintement à peine étouffé par le tissu de sa poche. En temps normal, avoir les mains prises l'aurait découragée, mais c'était peut-être un message de Théo. Elle cala négligemment le pot de fleur entre sa hanche et le creux de son coude pour sortir son portable. Ce n'était pas Théo.

Un fracas assourdissant la fit bondir sur sur place. Le pot qu'elle portait venait de s'exploser sur le sol et la malheureuse orchidée gisait au milieu des débris, désarticulée. Passé le moment de surprise, Jeanne éclata en sanglots et se débattit dans les bras de Sofia.

— Raph, ça va ?

Non. Elle fit disparaître son téléphone dans sa poche et contourna le cadavre de la plante pour récupérer Jeanne. Deux petites mains l'agrippèrent aussitôt et ses joues baignées de larmes se réfugièrent au creux de son cou.

— Désolée, trésor, je t'ai fait peur. C'était juste une petite bêtise. C'est fini, maintenant.

Le vendeur en gilet vert était déjà apparu à l'angle d'une allée et approchait d'un pas hâtif.

— Laissez, je m'en charge, ordonna-t-il à l'attention de Sofia qui se penchait pour ramasser un morceau de céramique.

Raphaëlle s'excusa d'une petite voix et promit de payer pour le pot cassé. Le sens littéral que prenait l'expression arracha un rire nerveux à Sofia, que Raph imita malgré elle. Ce simulacre de détente rassura quelque peu Jeanne qui cessa enfin de hoqueter. L'employé eut un regard pour la petite et d'un geste indulgent de la main, les incita plutôt à déguerpir sans demander leur reste. Raphaëlle se confondit encore en excuses tandis que Sofia partait chercher une deuxième orchidée. Elles n'en menaient pas larges au moment de passer en caisse, mais on ne les factura pas pour l'incident. Monsieur Gilet vert qui passait par là leur souhaita même une bonne journée. À peine étaient-elles sorties du magasin que Sofia commentait avec entrain :

— Il nous a trop kiffées.

— C'est clair. Je pensais trop qu'il allait nous engueuler.

— Il était plutôt mignon, en plus.

— Ah bon ?

Sans être excellente juge en la matière, Raphaëlle n'accordait pas non plus grand crédit à Sofia quand il s'agissait des hommes. Elle lui rappelait un peu Emma à ce niveau là. Dans sa poche, le téléphone de Raphaëlle lui sembla soudain peser dix tonnes. Elle détestait se retrouver dans cet état sans même avoir ouvert ce foutu mail. Une simple notification ne devrait pas lui faire perdre ses moyens comme ça. Pourtant, en cet instant précis, elle ne rêvait que de se faire voler son portable, pirater sa boîte mail, puis d'oublier Ronan et le reste pendant quelques jours encore. Elle rêvait de revoir Théo.

 

— Tu es sûre que ça va ?

Sofia avait déjà insisté pour la raccompagner jusqu'à son appartement : c'était chose faite, Raphaëlle ne comptait pas l'accaparer davantage. Le regard fuyant, elle récita d'un air gentiment penaud :

— Mais oui, t'en fais pas. Une de perdue, hein… 

Comme Sofia avait compris que les choses n'allaient pas super bien avec Théo, elle n'avait pas cherché beaucoup plus loin la raison de son humeur pour le moins instable. C'était mieux comme ça : ses amis n'avaient pas besoin d'une énième raison de la plaindre. Sofia prit une mine compatissante.

— Ça tombe très bien finalement cette soirée : un bon moment entre potes, c'est exactement ce qu'il te faut !

Ah ça, une belle coïncidence ! Comme si c'était justement sur les conseils de Théo que Raph avait fait son retour dans leur discussion de groupe et suggéré de fêter l'anniversaire d'Elias avant que tout le monde ne parte en vacances. C'était avant leur petite « prise de tête », évidemment, mais quand on y pensait, Théo savait déjà qu'elle allait se barrer à l'autre bout de la France. Dans sa grande bonté d'âme, elle avait fait en sorte que Raph ne se retrouve pas trop seule et déprimée quand elle l'aurait abandonnée. 

— Ah, au fait, j'ai vu avec Elias et Julie et il n'y a aucun problème pour que tu amènes Jeanne. Ils ont une chambre d'amis où elle peut dormir.

— Merci, c'est sympa. Normalement son babysitteur est dispo, mais c'est toujours bon à savoir que je peux l'emmener si besoin.

— Oui, c'est ce que je me suis dit. Et puis elle est tellement trop chou !

Sofia se pencha au-dessus du canapé pour faire des risettes à Jeanne, assise sur le tapis. Avec une chaussure en moins et ses cheveux ébouriffés, faussement concentrée sur la lecture d'un livre en carton qu'elle tenait à l'envers, son petit trésor avait l'air en effet plutôt adorable.

— Bon allez, je vous laisse.

Sofia l'étreignit de ses grands bras maigres avant de l'embrassa sur la joue. Elle envoya un baiser en direction de Jeanne puis marcha vers la sortie.

— À ce soir, lança-t-elle encore joyeusement, avant que Raphaëlle ne referme la porte derrière elle.

 

Peut-être parce qu'elle avait compris que Raph comptait la faire garder pour la soirée, Jeanne réclama beaucoup d'attention dans les heures qui suivirent. Ou alors c'était elle qui s'en persuadait pour se donner une excuse d'ignorer encore un peu plus longtemps la petite notification de sa boîte mail. Elle savait que Ronan avait reçu les résultats en même temps qu'elle et s'était attendue à recevoir un message de sa part. Il avait apparemment fait le choix de les laisser digérer l'information chacun de leur côté.

Quand Joachim arriva pour s'occuper de Jeanne, Raphaëlle s'enferma dans sa chambre avec son ordinateur. Il lui restait encore un peu de temps avant de devoir partir à la soirée d'anniversaire. Avant de se décourager pour de bon, elle chercha le profil de Daya et lança un appel vidéo.

— Hey, ça va ?

— Ça va.

Daya haussa un sourcil inquisiteur.

 Genre comme hier soir ?

— Non, pas du tout, la rassura-t-elle. 

— OkayMais tu me le dirais si c'était le cas, hein ? Je m'en fous si tu enchaînes les crises d'angoisses. Tu peux m'en faire trois par jour si tu veux, je suis là pour toi, d'accord ?

Les souvenirs de la veille lui revenaient vaguement. Des flash non exhaustifs, certaines phrases, gestes, tout étrangement froid et distant, comme si c'était arrivé à quelqu'un d'autre.

— J'en suis pas encore là, t'inquiète. Mais bon, on est quand même sur une situation pas mal stressante.

Raph changea de position sur son lit, déglutit avec difficulté puis annonça :

— J'ai reçu les résultats.

— Oh, okay. Alors ?

— J'ai pas encore regardé.

— Qu'est-ce que t'attends ?

— J'ai un peu peur ?

— Je suis là, ma Raph. Tu les as sur ton téléphone ? Allez, vas-y. Rappelle toi ce qu'on s'est dit hier soir, d'accord ? Quoi qu'il arrive, tout va bien se passer, il y aura toujours des solutions.

Sans quitter l'appel vidéo en cours sur son ordinateur, elle prit son portable et ouvrit le mail du laboratoire.

— N'oublie pas de respirer, hein ?

Il y avait du texte, plein de petits caractères que Raph ne déchiffrait qu'à moitié, et puis un pourcentage, catégorique.

— J'y crois pas, s'entendit-elle bredouiller.

— Qu'est-ce que ça dit ?

Au fil de leur appel, Daya s'était de plus en plus rapprochée de la caméra de son portable.

— Probabilité de paternité : 0%.

— Zéro ? Donc c'est pas lui ?

Son amie laissa échapper un gros soupir, suivi d'un claquement de main qui sortit Raph de la torpeur qui l'avait saisie.

—  Bah voilà, comme ça c'est réglé.

C'était réglé. Elle allait la garder. Ronan ne pourrait jamais la reconnaître légalement, ni maintenant ni jamais. De toute façon, d'après son raisonnement, il ne voulait plus d'elle, puisque ce n'était pas son enfant biologique. Il venait de passer à côté du rôle de père qui lui montait tellement la tête. Tant pis pour lui. Raph aurait voulu se réjouir, mais les paroles de Théo tournaient en boucle dans sa tête. Daya lui avait pourtant répété que son histoire de dépit ne tenait pas debout, et Raph était bien d'accord. Elle voulait vraiment voir Jeanne grandir, l'accompagner à chaque étape, l'avoir à ses côtés tous les jours. La perspective de devoir se séparer d'elle ne lui était pas simplement douloureuse, cette simple idée lui était devenue tout bonnement insupportable. Une autre pensée l'effleura tout à coup :

— Mais si c'est pas Ronan, alors c'est qui ?

Elle n'osa pas formuler à haute voix la suite de son raisonnement, à savoir qu'Emma avait bel et bien menti. Ou alors sa petite sœur s'était persuadée elle-même que Ronan était le seul père possible, sincère dans son déni. Raphaëlle n'aurait jamais la réponse, et Jeanne non plus.

— Je pense que tu pourras jamais savoir, lui fit écho Daya depuis l'ordinateur. En même temps, on s'en fiche un peu, non ?

Largement aidée par les encouragements de son amie, Raphaëlle se prépara pour partir à la soirée. Une furieuse envie de boire de l'alcool s'empara d'elle. Peut-être pour célébrer cette espèce de victoire, ou pour oublier qu'à cause de cette histoire qui n'avait rien donné, Théo ne voulait plus lui parler. Ou peut-être qu'une fois ivre, elle oserait enfin lui envoyer un message pour essayer d'arranger les choses. Bien sûr, l'idée n'emballait pas Daya :

— C'est à elle de s'excuser ! Non mais pour qui elle se prend, sérieux ? Enfin bref, on va pas revenir dessus, tu sais déjà ce que j'en penses.

Raphaëlle n'alla pas jusqu'à prendre la défense de Théo, elle n'en était pas encore là.

— Merci Daya, je sais pas ce que je ferais sans toi. J'ai hâte que tu revienne.

— Moi aussi, minauda son amie. Bientôt ! En attendant, t'as intérêt à me tenir au courant. Je sens qu'il va encore se passer un tas de trucs.

— Comment ça ? 

Raphaëlle n'avait encore partagé avec personne son projet pour la suite, qui lui paraissait à la fois évident et totalement dégénéré.

— Avec Théo. Je la déteste toujours de t'avoir fait pleurer, mais quand même, ça peut pas se finir comme ça. Vous êtes trop malignes. Et trop des loveuses. 

— On verra. Allez, faut que j'y aille.

 Je t'aime ! 

— Moi aussi, je t'aime. Bisous !

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Sorryf
Posté le 06/03/2025
Trop bien de revoir Daya! Ça me fait vraiment chaud au coeur, de mémoire (parce que ça fait longtemps) elle s'est un peu effacée quand Raph s'est mise en couple, ça fait plaisir qu'elle revienne au premier plan, vive les meilleures amies <3
Pour le test je suis a la fois surprise et pas surprise. Tromper c'est déjà moche, mais sans se protéger ????? Je suis re-choc. Encore une fois, j'aurais aimé la version d'Emma, et ça m'a émue quand elles en parlent.
Bisou a Jeanne, la petite choupette, elle sera aimée quoi qu'il arrive et c'est ça qui compte !
Hinata
Posté le 16/03/2025
Ouui, si un jour réécriture il y a, j'aimerais donner un peu plus de corps au personnage de Daya, mais je suis déjà contente si sa présence est assez cool pour que tu sois contente de la revoir dans ce chapitre !
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