Juin | Chapitre 15

Par Hinata

La sonnette de l'entrée retentit. Jeanne lâcha enfin la robe de Raphaëlle pour se ruer à quatre pattes vers la porte. Raph termina en vitesse son trait d'eyeliner, balaya le tissu de sa petite robe d'été, et quitta la salle de bain. Debout contre le battant, Jeanne tapait sur la porte avec des exclamations enjouées.

— Oui, j'arrive.

Son cœur tambourinait au moins aussi fort que les mains de Jeanne sur le bois. Elle éloigna gentiment son petit gorille de service avant d'ouvrir la porte. Ce n'était pas Théo.

— Salut Joachim, tu vas bien ?

À la vue de son baby-sitter, Jeanne poussa un cri d'excitation et se carapata vers le fond de l'appartement. Raph et l'étudiant échangèrent un sourire. 

— Pas besoin de lui donner le bain, l'informa-t-elle, on était à la piscine cet après-midi. Elle a l'air en forme comme ça, mais elle ne devrait pas faire long feu après avoir mangé.

Quand Joachim eut pris la relève, Raphaëlle s'éclipsa de nouveau dans la salle-de-bain. Plantée en face du miroir, elle sut que ça n'allait pas. Non seulement son maquillage était plutôt raté, mais ça lui donnait l'air bizarre, trop apprêté, ou trop… Trop. Résignée, elle plongea la main dans ses étagères à la recherche de son démaquillant et quelques lingettes. Elle avait à peu près retrouvé son visage, juste un peu rougi au coin des yeux, quand elle reçut le message de Théo. Elle arrivait dans cinq minutes. 

Raphaëlle nettoya un peu ses lunettes avant de les remettre. Elle arrangea une dernière fois ses cheveux pour qu'ils tombent correctement sur ses épaules. Ses pointes fourchaient à mort, elle devrait peut-être demander à Daya de les lui recouper un de ces quatre. Elle se plaça de profil. Ses bras ressortaient toujours trop. Elle adorait cette robe, avec son tissu pastel et ses fines bretelles, mais ce serait mieux si elle n'avait pas de la guimauve à la place des muscles. Si au moins elle avait bronzé un peu plus. On frappa trois petits coups polis à la porte de la salle-de-bain.

— Raphaëlle ? Je crois que quelqu'un a sonné, tu veux que j'aille ouvrir ?

— Non, j'y vais, merci.

Elle traversa le couloir à grandes enjambées, fit un détour par la cuisine pour attraper sa banane en bandoulière qui traînait sur la table, en vérifia le contenu à la va-vite, puis s'accorda un dernier arrêt auprès de Joachim et Jeanne, qui l'attendaient pour lui dire au revoir. Jeanne reçut un gros bisou sur la joue, le baby-sitter un signe amical de la main et Raphaëlle quitta enfin l'appartement.

Théo l'attendait sur le palier, plus classe que jamais, et elle avait de la compagnie.

— Oh, bonjour Simone !

Madame Gambette leva ses yeux ronds vers elle.

— Ah, la voilà. Regarde un peu, ta petite femme est revenue. Tu dois être contente.

— Oui, très contente.

D'accord, Raphaëlle était plus ou moins devenue amie avec la vieille femme depuis leur petit thé improvisé, mais elle se serait quand même bien passé de sa présence pour ses retrouvailles avec Théo. Intentionnellement ou pas, sa voisine s'était placée juste devant le bouton d'appel de l'ascenseur.

— On doit y aller, mais je vous souhaite une bonne soirée !

Simone acquiesça docilement mais ne fit pas mine de bouger pour autant. Oh et puis zut ! Raphaëlle attrapa la main de Théo et l'entraîna avec elle dans les escaliers. En descendant les marches, elle s'excusa pour le guet-apens de sa voisine. 

— T'en fais pas, va.

La main que Raph tenait étreignit affectueusement la sienne.

— Mais bon, la prochaine fois, viens donc ouvrir plus vite à ta petite femme.

— Promis.

En sortant de l'immeuble, Théo récupéra sa main pour écrire un message à son frère. Elles devaient le retrouver lui et plusieurs de leurs amis que Raphaëlle ne connaissait pas encore. Ce n'était que le début de soirée, le soleil illuminait encore le haut des bâtiments, mais déjà les rues bourdonnaient de passants et des éclats de musique retentissaient çà et là.

— Okay, ils sont sur la presque-île, on y va ?

Sur le chemin, Théo commença par lui raconter ses galères de co-voiturage pour revenir sur Lyon. Voilà qui expliquait l'étrange tension qu'elle dégageait. Raphaëlle ne l'avait jamais vu froncer autant les sourcils en l'espace de si peu de temps. Elle prit le relais pour changer de sujet :

— Devine qui m'a envoyé un message hier pour m'inviter à la fête de la musique de Clermont-Ferrand ?

— Quoi, Ronan ? Mais il te drague ou quoi ?

— Haha, mais non, beaucoup plus drôle que ça : apparemment, il a monté un groupe de rock avec des gars du coin et ils font un petit concert de rue. C'est trop, non ?

— Il doit pas avoir d'amis pour se rabattre sur toi.

— Okay, sympa.

Théo se rattrapa d'un petit mouvement d'épaule dans sa direction.

— Non mais tu vois ce que je veux dire.

— Tu sais, ça s'est vraiment bien passé quand on s'est vus la dernière fois. Je dis pas qu'on va devenir les meilleurs amis du monde, mais c'est quand même bon signe qu'il veuille rester en contact avec moi alors qu'il sait toujours pas qu'on va peut-être se partager la garde de Jeanne. 

— C'est ça ton nouveau plan idéal ? Une garde partagée entre Lyon et Clermont-Ferrand ?

— Et pourquoi pas ? Ce serait cool pour Jeanne d'avoir des vrais parents d'un côté, et puis moi de l'autre. Tu sais que même en sachant que j'étais lesbienne, Ronan m'a demandé si je voulais des enfants et tout, ça prouve que l'idée lui paraît pas dérangeante ou quoi. 

— C'est pas parce qu'il est pas homophobe que c'est une bonne personne.

— Bon, t'es chiante, pourquoi tu me contredis sur tout ? 

Raphaëlle s'en voulut aussitôt et le silence qui suivit ne fit qu'empirer son malaise.

— Désolée, je voulais pas dire ça. 

— T'inquiète, marmonna Théo. C'est juste que parfois j'ai du mal à comprendre. Je t'ai vu avec Jeanne, c'est évident que tu l'aimes. Je vois pas pourquoi t'aurais besoin d'un mec pour la rendre heureuse.

— Ce n'est pas aussi simple que ça. Jeanne a le droit de connaître son père. Si elle peut avoir encore plus de gens qui l'aiment autour d'elle, c'est à moi de lui offrir ça, tu ne penses pas ?

Après un moment de flottement, Théo lui adressa finalement un sourire encourageant qui détendit aussitôt Raphaëlle.

— Tiens, tu me fais penser à un truc, lança Théo d'un ton plus enthousiaste. J'ai un cadeau à t'offrir, mais je l'ai oublié dans ma valise. On peut passer chez moi plus tard si tu veux.

— Si c'est juste une excuse pour m'attirer chez toi et qu'il n'y a pas de cadeau, je vais être déçue, la prévint Raphaëlle.

Théo lui adressa un clin d'œil et elles poursuivirent leur progression d'un pas plus léger.

La foule se fit dense lorsqu'elles eurent franchi le Rhône et il leur fallut plus de temps que prévu pour trouver Arthur et ses amis. Solène était là aussi, au grand plaisir de Raphaëlle. Comme Théo saluait tout le monde à grandes accolades chaleureuses, elle s'approcha de la jeune femme.

— Coucou Solène.

— Hey, Raph, comment ça va ? T'es belle comme tout.

— Merci, toi aussi. J'adore ta nouvelle couleur.

 Solène passa une main dans ses mèches rouges.

— C'est gentil, j'avoue que j'en suis plutôt contente. Théo dit que si je deviens trop punk, Arthur va me quitter pour une fille de bonne famille.

L'intéressé fit son apparition dans le dos de sa copine.

— Comme d'habitude, Théo dit n'importe quoi, répliqua-t-il en passant ses bras gigantesques autour de Solène.

Ils papotèrent un peu tous les trois, puis l'exclamation d'un ami de Théo attira son attention :

— Trop cool si ça s'est bien passé, j'espère que t'auras un retour dans pas trop longtemps.

Elle se rapprocha de leur groupe avec intérêt, mais en la voyant, Théo coupa vaguement court à la conversation et proposa d'aller se chercher à boire quelque part. Ils partirent tous ensemble en quête d'un stand de bière, puis se frayèrent un chemin vers une petite place où une DJ devait bientôt commencer à mixer. De la musique jaillissait déjà des enceintes et c'est par miracle que Raphaëlle entendit son téléphone vibrer à l'intérieur de sa sacoche. À moitié compressée entre Théo et son frère, son éco-cup dans une main, elle parvint à sortir son téléphone et à lire d'un coup d'œil rapide les messages qui se succédaient dans la conversation de groupe. Ses amis de Master étaient tous en ville et prévoyaient de passer un moment ensemble à la Croix-Rousse.

— C'est Jeanne ? lui demanda Théo, penchée à son oreille pour se faire entendre.

Raphaëlle secoua la tête et tourna son écran pour lui faire lire.

— Vas-y si tu veux. Moi je reste ici, mais on peut se retrouver plus tard.

Non, Raphaëlle n'avait pas tellement envie de partir de son côté alors qu'elles venaient de se retrouver. Elle envoya un message pour en informer ses amis et rangea son portable. La musique bifurqua enfin vers des rythmes plus engageants et, tout autour d'eux, l'ambiance s'électrisa peu à peu.

Raphaëlle se mit à danser presque malgré elle, d'abord imperceptiblement, puis avec plus d'assurance au fur et à mesure que les gens autour d'elle rejoignaient le mouvement. Cela faisait trop longtemps qu'elle n'avait pas bougé sur de la bonne musique. Elle chercha plusieurs fois le regard de Théo mais la jeune femme était trop occupée à échanger des rires complices avec le reste de ses amis. Quand Arthur et une autre fille partirent pour ramener à boire, Raph leur emboîta le pas. Bien sûr, le personnel du bar le plus proche était débordé et ils durent patienter un peu. Raphaëlle profita de cette pause pour respirer un peu. Elle leva paresseusement les yeux vers le ciel. Le soir commençait à tomber, mais la ville continuait d'irradier une chaleur entêtante.

De retour au milieu de la foule, elle tendit un verre à Théo qui l'accepta avec un large sourire. Elles trinquèrent, les yeux dans les yeux. Ce qu'elle était belle, les cheveux en bataille, joues écarlates, moulée dans son crop top blanc. De sa main libre, Raphaëlle lui effleura le bras avant de l'aventurer timidement au creux de sa hanche. Au lieu de se dégager l'air de rien comme Raph s'y attendait, Théo fit un pas en avant, si bien qu'elles étaient quasiment collées l'une à l'autre. Son mascara bleu avait un peu coulé, parsemant sa peau de poussière colorée. Ses yeux toujours rivés dans les siens, Théo passa lentement ses bras autour de son cou, l'emprisonnant dans une chaleur enivrante.

— Tu m'as manqué, souffla-t-elle.

Son haleine sentait l'alcool et la menthe. Elles s'embrassèrent et la musique se mit à battre plus fort dans ses tempes.

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Sorryf
Posté le 11/04/2024
"viens donc ouvrir plus vite à ta petite femme." mdr!!!!! c'est tellement chou, je fond T_T
Cela dit, Théo m'a parue bizarre dans ce chapitre, elle m'a un peu stressée, j'ai l'impression qu'il y a des trucs qu'elle dit pas ! Mais la fin du chap se termine bien alors c'était peut-être juste une impression ? Bizarre sa remarque sur la drague de Ronan, et aussi, dans mon souvenir (mais c'était il y a perpète alors je confonds peut-être) C'était Raph qui était 100% braquée contre l'idée d'en dire plus à Ronan, et Théo était plus ouverte à l'idée, et là ça s'est inversé.
Je me dis qu'on en sait assez peu sur Théo finalement.

J'étais persuadée d'avoir commenté le chapitre précédent et je me rends compte que non ??? en tout cas la rencontre avec Ronan je l'attendais avec impatience, et tout compte fait elle s'est bien passée, je suis contente que Ronan ait refait sa vie, et je comprends le dilemme de Raph qui va secouer tout ça en lui révélant qu'il a une fille, et en même temps prends le risque de perdre Jeanne, et en même temps je pense que ce n'est pas quelque chose qu'elle peut lui cacher, pour Jeanne.
Hinata
Posté le 22/04/2024
Coucouu
Ouui c'est tout à fait normal si Théo t'a paru un peu étrange pendant ce chapitre c'était mon but huhu
Et tout pareil sur le fait qu'on en sache très peu sur elle !
C'est cool si les dilemmes de Raph sont compréhensibles (ouf), je croise les doigts pour que le déroulement de cette intrigue te paraisse toujours crédible par la suite.

Merci merci pour ce comm Sorryf, faut trop que je poste la suite (trop hâte d'avoir vos retours) mais j'arrive au bout de ma réserve de chapitres écrits haha, ça me met un peu la pression pfiou ^-^"

Anyway, à la prochaine <3
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