Les vallées s'étaient tues avec l'arrivée du crépuscule. Le bruissement des pins s'était figé, comme si les sujets de ce royaume sauvage contemplaient la valse des étoiles. Au sommet d'une combe, les flammes d'un foyer s'en allaient lécher le ciel pourpre. Quatre paires de mains s'étaient approchées du feu, tandis que l'on maugréait à l'encontre du froid. Pourtant, celui-ci semblait être l'unique maître qui prévalait en ce pays auquel les mortels ne savaient imposer leur loi. L'éternel roi, avec pour seul apparat cette neige, ce blanc manteau qui jamais ne disparaissait ; et ce silence glacial, qu'estompait parfois le râle du vent.
- Voilà qui est mieux ! s'écria Gaett, le plus jeune des Hommes. Le froid a engourdi chaque extrémité de mon corps, et je n'arrête pas de trembler comme l'herbe sous le vent !
- L'herbe se cache sous un manteau blanc ici, répondit Ozgor. Si nous nous attardons dans ce pays, j'en finirai par oublier à quoi ressemble le vert duvet qui recouvre ma vallée...
Lorsqu'il eut achevé sa phrase, le Nain entrouvrit son havresac duquel il extirpa une bouteille. La lueur des flammes dansait sur son visage bouffi, tandis qu'un rictus dévoilait ses dents, pareilles à deux rangées de perles perdues au milieu d'une épaisse barbe. Il lança un regard aux autres avant de demander :
- Bon, alors, camarades ! Lequel d'entre vous m'accompagnera ?
- Le moment est peut-être mal choisi pour cela, répondit Nulwe sans ôter l'azur de ses yeux du feu devant lui.
- Vous plaisantez ? Le moment est on ne peut mieux choisi, Elfe ! repartit Ozgor. Mais pour être tout à fait franc, je m'attendais à une telle réponse de votre part. J'adressais plutôt cette proposition à Messieurs Gaett et Ramal.
- Qu'y a-t-il dedans ? demanda Gaett, déconcerté.
- De l'arzuvil ! De la liqueur de fleurs des vallées endormies d'Ayanû Kuzubir, à laquelle on ajoute un peu de miel. Il n'est, à ma connaissance, aucun meilleur remède à la morsure de l'hiver ; et c'est par ailleurs l'une des plus agréables manières de conclure une journée de labeur.
Sur ces mots, il débouchonna la bouteille d'un geste vif avant d'en tirer deux franches gorgées. Il essuya ensuite le goulot sur le revers de son manteau de laine et le présenta à Gaett, qui était son voisin le plus proche. Le jeune homme considéra la liqueur comme il aurait contemplé une arme. Il était d'une pâleur immaculée, et son regard juvénile, au cœur duquel se lisait encore tout l'étonnement d'un enfant contemplant un monde immensément grand, pétillait sous les étincelles rougeoyantes du feu de camp.
- N'aie crainte, gamin ! lui lança Ozgor en ricanant. Celle-ci ne mord pas !
- Je ne suis pas certain que Monsieur Imnul apprécierait que l'on boive un tel breuvage, répondit Gaett d'une voix hésitante, qui donnait à croire qu'il cherchait à se convaincre lui-même avant tout.
- Au diable Imnul ! Prends donc tes propres décisions, le jeune ! s'exclama Ramal.
Ses mots s'étaient échappés comme une flèche tirée dans la pénombre et avaient laissé le reste de la compagnie stupéfait. L'homme, emmitouflé dans une laine grisâtre, avait jusqu'à présent laissé vagabonder son regard dans les flammes dansantes sans prononcer la moindre parole. Il était d'autant plus étonnant que son choix de rompre le silence se fît pour insulter de la sorte celui qui menait l'expédition.
- Veille simplement à ne pas embrumer ton esprit pour demain, poursuivit-il.
- Personne ici n'a parlé d'embrumer nos esprits, dit Ozgor en faisant la moue et en agitant la bouteille. Quelques chaudes gorgées, avant de gagner nos duvets sous le plafonnier étoilé : voici comment les miens achèvent chaque journée que font les Dieux ! Un modeste réconfort, avant d'entamer, le lendemain, un nouveau jour rempli de son juste nécessaire de travail. Tout est une question d'équilibre !
- Tout compte fait, je préfère m'en tenir à de l'eau, maître Ozgor, dit Gaett en plongeant ses yeux honteux en direction du sol.
- Bah ! fit le Nain en haussant les épaules. Dans ce cas, j'en reste là pour ce soir. L'arzuvil est fait pour être partagé, sinon rien !
- C'est sans doute mieux ainsi, souligna Nulwe avec une certaine gravité. N'est-il pas plus prudent que notre pisteur conserve toute sa lucidité ?
- Croyez-moi, ami, un petit remontant ne suffira pas à altérer mes sens ! répondit Ozgor. Du moins, pas assez pour perdre la trace d'un Géant...
- Commencez d'abord par la trouver, repartit l'Elfe avec un sourire narquois.
- Vous serez étonné d'apprendre, maître Nulwe, que, n'en déplaise à votre arrogance, nous remontons depuis ce matin-même une piste en laquelle j'ai une très grande confiance.
La révélation du Nain suscita l'intérêt de Gaett et Ramal, qui se tournèrent, ébahis, en sa direction. Nulwe, quant à lui, arqua un sourcil, et fit rouler son regard vers Ozgor.
- Vraiment ? Vous avez trouvé quelque chose ? demanda Ramal.
- Parfaitement, monsieur.
- Êtes-vous certain qu'il ne s'agit pas plutôt d'un gros animal ? demanda Nulwe, incrédule. J'ai observé bon nombre de cerfs, et certains ours qui épiaient notre passage à quelque distance, blottis parmi les feuillages des forêts de pins.
- Me prenez-vous pour un idiot ? s'indigna le Nain. J'arpentais les sommets du Grand-Ouest bien avant que vous ne décidiez de quitter vos forêts. Ce qui n'a pu échapper à la perception d'un coureur des bois ne saurait tromper un trappeur des montagnes d'Ourudar tel que moi.
- Peut-être n'étaient-ce que les traces d'un éboulement, ou d'une tempête ? suggéra Gaett.
- Je n'ai encore jamais vu d'éboulement ou quoi que ce soit laisser de telles traces sur plusieurs lieues à travers vallées, forêts et sommets, le jeune.
- Peut-être que... peut-être que... commença Gaett, sans même savoir de quoi serait faite cette nouvelle remarque.
Mais le jeune homme se tut. Pendant un moment, un épais silence enveloppa la compagnie. Ils devaient le reconnaître : peut-être le pisteur avait-il véritablement trouvé la trace d'un Géant. Ozgor rompit finalement la stupeur qui s'était appesantie au sein du groupe en déclarant :
- Pour sûr, amis, quelque chose règne sur ces contrées de neige. Certains ont pris le vieil Imnul pour un fou lorsqu'il a déclaré qu'il trouverait le maître de ces montagnes ; d'autres nous ont pris à notre tour pour des fous, lorsque nous avons décidé de le suivre. Pourtant, je vous l'assure : personne ne serait plus fou que celui qui, se tenant ici et maintenant parmi nous, nierait qu'une force étrange se meut de vallées en sommets ; une force invisible, insaisissable et puissante.
- Et bientôt, celui qui terrorise les villages endormis au pied des montagnes sera notre trophée, et le monde entier nous acclamera comme il se doit.
Sous les regards de ses compagnons médusés, Imnul avait fait son apparition et se tenait dans l'ouverture de la cavité rocheuse où avaient été étendus les duvets. Il n'était pas bien grand, et il était souvent aisé de le méprendre avec un vieil homme inoffensif. Mais en vérité, ces yeux plissés et sombres, perdus au milieu d'une figure marquée par les années sur laquelle tombaient de part et d'autre de longues mèches blanches ; ces yeux, qui, souvent se perdaient dans le lointain, questionnant l'horizon ou contemplant quelque invisible contrée par-delà les dernières frontières, avaient été les témoins silencieux de bien d'autres épopées qui avaient forgé la réputation du vieil Imnul.
Il portait, nouée autour du bras, une compresse de tissu immaculée. Dans son ombre, avait également surgi Lifa, la guérisseuse, qui avait pris soin d'une plaie lacérant la chair d'Imnul de l'épaule jusqu'au coude. Elle balaya circulairement du regard la petite troupe qui se tenait face à elle, avant de venir les rejoindre sans mot dire auprès du feu.
- Alors, ce n'est pas cassé ? demanda Ozgor.
- Non, répondit Lifa en se blottissant près des flammes sous une épaisse couverture. Ce n'était qu'une mauvaise chute, quelques simples égratignures.
- Le terrain se dégrade à mesure que nous avançons, dit Nulwe. Il nous faudra redoubler de prudence dorénavant.
- Peut-être devrions-nous ralentir la cadence ? suggéra Gaett. Après tout, rien ne nous presse !
- Nous n'altérerons en rien notre cadence, répondit Imnul demeuré plus en retrait. Kezdar sait probablement que nous le cherchons : il se déplace, lui aussi, et nous promènera dans des lieux qui sont à son avantage aussi longtemps que nous ne l'aurons pas suffisamment rattrapé.
- Kezdar ! s'exclama Ozgor en ricanant. Voici donc le nom de notre Géant ?
- Kezdar, Hurletempête, le Chanteneige... tels sont les noms que lui prêtent ceux qu'il terrorise en Andravon, répondit Ramal. Mais ces noms-là sont ceux d'une légende. Ni plus ni moins qu'une vieille histoire que l'on réserve aux mauvais diables qui rechignent à s'en aller rejoindre le royaume des rêves lorsque tombe la nuit.
- Ma pauvre mère me menaçait souvent de la probable visite du Chanteneige si je ne me tenais pas convenablement à table ! s'écria Gaett non sans émotion. Mais alors... c'est après lui que nous courons ?
- Il est en chaque légende des Hommes une vérité, qui dépasse parfois tout ce que peut concevoir l'esprit, répondit Imnul. Ces montagnes sont nées en même temps que le Temps, et, dit-on, elles ont toujours accueilli de grandes et terribles forces. Elles n'ont aucun maître, sinon une chose plus sombre et plus mauvaise encore qu'elles-mêmes. Une monstruosité sans nom, sans faction, et dont l'essence n'est qu'infinie noirceur. Kezdar est le nom que les Hommes ont donné à cette chose qu'ils ne connaissent pas. Dans leurs histoires, ils lui ont prêté les traits d'un Géant, fait de la même chair que les montagnes qui sont sa demeure : la roche, fondement immortel de cette Terre, vestige intemporel du magma des astres qui ont façonné notre monde. Nommez-le comme il vous sierra : Chanteneige, Hurletempête, que sais-je ! toujours est-il que nous demeurons maintenant sur le seuil de son royaume, et qu'il nous attend, là-bas, dans les vallées assoupies.
Un vent monta alors des gorges sinueuses qui les attendaient en contrebas. Du sommet de cette éminence rocheuse sur laquelle ils s'étaient installés pour la nuit, ils devinaient, à la lueur de la lune, le tracé des vallées et des sommets qui les couronnaient. Il leur sembla bientôt que cette brise qui leur parvenait était pleine des échos de la nuit, et qu'elle colportait les rumeurs d'un appel. Les montagnes débordaient ce soir-là d'une énergie inhabituelle.
« Il ne tardera pas à faire nuit noire », déclara Imnul en faisant volteface. Il se dirigea vers l'intérieur de la cavité, en ajoutant : « Ne veillez pas trop longtemps ; demain, la chasse reprendra », avant de disparaître dans les ténèbres. Le reste de la nuit leur fut, à l'instar des précédentes, entrecoupé de ces songes délirants qui surgissent dans un simulacre de sommeil, à mi-chemin entre rêve et réalité.
Pour commencer, un détail : ce ne sont pas les bons tirets qui sont utilisés :)
- Le bruissement des pins s'était figé, comme si les sujets de ce royaume sauvage contemplaient la valse des étoiles ==> très joli
- Voilà qui est mieux ==> j'ai mis un peu de temps à comprendre de quoi il parlait (il y a peut-être trop de phrases entre le moment où ils approchent leurs mains du feu et le moment où il parle ?)
- Lequel d'entre vous m'accompagnera ? ==> même remarque, je pensais qu'il voulait leur demander de partir quelque part avec lui
- Le jeune homme considéra la liqueur comme il aurait contemplé une arme ==> haha
- celui qui menait l'expédition ==> je ne comprends pas très bien ; ils ne sont que 4, et tous ont déjà été nommés. Je n'ai pas l'impression que cet Imnul soit présent, comment peut-il mener l'expédition ?
- commença Gaett, sans même savoir de quoi serait faite cette nouvelle remarque ==> haha
- se tenait dans l'ouverture de la cavité rocheuse où avaient été étendus les duvets ==> j'ai un peu bugué sur cette phrase, car je n'avais pas compris qu'ils étaient dans une cavité ; je suis remontée pour lire le début, et il me semble qu'ils sont bien dehors (en plus, on ne fait pas de feu dans une grotte normalement !), donc au lieu d'entrer dans la cavité comme je l'imaginais, je suppose qu'il en sort ?
- Kezdar est le nom que les Hommes ont donné à cette chose qu'ils ne connaissent pas. Dans leurs histoires, ils lui ont prêté les traits d'un Géant ==> alors autant, j'aime bien l'idée, autant j'avais l'impression qu'ils étaient tous très sûrs de chercher un géant, ce n'est pas le cas finalement ?
- Il leur sembla bientôt que cette brise qui leur parvenait était pleine des échos de la nuit, et qu'elle colportait les rumeurs d'un appel ==> très joli encore une fois
Remarques générales :
Je trouve que l'enjeu de l'action est bien ammené par le dialogue du début autour du feu.
Certains de mes commentaires ont trouvé leur sens par la suite, mais je les laisse car je crois que c'est intéressant d'avoir l'impression que donne le texte sur le moment :)
et pour rebondir sur le commentaire d'Edouard, je n'ai personnellement aucun problème avec la manière dont sont écrits tes dialogues !
Petite remarque sur les dialogues, je les trouve très écrits. C'est peut être volontaire pour caractériser tes personnages en indiquant leur haut rang / noblesse mais qu'ils parlent tous de cette manière me paraît un peu étrange. Ça pourrait être intéressant que certains parlent de manière moins soutenue ça pourrait aider à les caracteriser en plus.
Sinon un bon chapitre d'introduction pour découvrir les protagonistes de cette aventure. Des nains des elfes et des ogres, j'achète ! Ça me met tout de suite dans une bonne ambiance fantasy. En plus t'es descriptions sont toujours très belles et permettent de s'immerger dans tes décors.
Hâte de découvrir la suite !
A bientôt (=
En termes de dialogues, et je dirais de manière plus globale au niveau de mon style, je m'inscris dans une volonté d'écrire un peu plus "classique" (type Tolkien, ou même les auteurs antérieurs et l'époque classique du roman en général). Mais j'ai parfois l'impression que ça laisse effectivement un sentiment "trop rédigé", et je me demande s'il ne serait pas plus efficace que je fasse évoluer ma manière d'écrire vers ce qu'on peut trouver dans des oeuvres telles que The Witcher ou Game of Thrones, avec des dialogues plus crus, plus authentiques.
Merci encore pour ton retour et à bientôt en Uldreia !
Il-Lazuera, le vieux sorcier.