Le royaume orc est constitué d’une chaîne de montagnes en forme de croissant entourant le territoire elfe. Cette forme particulière leur a interdit d’établir une capitale centrale. C’est pourquoi le peuple orc s’est implanté sur son territoire en formant des villages sans réelle hiérarchie urbain. Au début, Ladin, dans le grand ouest n’était pas plus important que les autres bourgs. Mais c’était le lieu de naissance du légendaire premier roi orc, Patraocla. Alors le mythique chef de guerre rassembla ses généraux et son armée à Ladin. Voilà comment cette cité est devenue la capitale de l’Orcania
Lorsque le clan des rouges d’Orokko s’empara du pouvoir, il prit trois décisions politiques pour stabiliser sa dynastie à la tête du pouvoir. Premièrement, les rouges effectuèrent une purge sanglante et exterminèrent tous les clans adverses, ne conservant que les orcs noirs communs. Deuxièmement, Orokko insista pour garder tous les généraux et héritiers directs auprès de lui à Ladin. Ainsi, il était en capacité de contrôler toutes les intrigues de cours. Pour néanmoins assurer l’emprise du clan rouge sur l’empire, Orokko délégua des héritiers de second rang dans tous les villages de l’Orcania. Cette troisième mesure apporta un bénéfice inattendu. Dans l’espoir secret de connaître une ascension sociale, les chefs de guerre assignés à ces villages administrent avec la plus grande rigueur leur territoire par peur de la délation d’un concurrent.
« La structure urbaine de l’Orcania »
extrait du Traité sur les sociétés du bouclier-monde
du maître architecte Vinci
Gal ne pouvait pas laisser le crime de Kral impuni ! C’eut été un aveu de faiblesse. Et la faiblesse, le dieu de la guerre et ses partisans l’abboraient. Les traîtres de Klaralk avaient volé les chevaux-tonnerres d’Udgog. Ils avaient rompu leur pacte de non-agression et par leur acte ouvertement déclaré une guerre intérieure à sa cité jumelle des confins de l’Orcania.
Le capitaine pourpre ne souhaitait pas se lancer de manière irréfléchie dans une expédition vengeresse. Dans ses rêves, Abath-Khal lui répétait constamment que l’impulsivité constituait le talon d’Achille des orcs. Après la prise d’Elbrun, son entaille profonde à la cuisse avait nécessité des soins et de la récupération. Son cousin Kral représentait un adversaire autrement plus redoutable et redouté que ce pleutre de Durug ! Il eut été suicidaire de l’affronter en étant amoindri. Pour faire bonne figure en attendant, Gal avait demandé à Vlad de répondre à la provocation en établissant le siège de Klaralk. A présent qu’il avait recouvré ses forces, l’oniromancien devait marquer le coup. Le chef d’Udgog voulait envoyer un message aux autres cités de la région. Kral allait connaître une défaite cinglante, violente et spectaculaire.
Depuis sept mois, ses troupes affamaient la cité. Gal voulait pousser la guerre de siège au rang d’art. Borg avait conçu un contrôle de l’accès à la cité totalement hermétique. Grâce aux esclaves derniers nées de Nunn et aux hybrides, il avait érigé une double ligne de fortifications constituées d’un remblai de trois mètres cinquante surmonté d’une palissade de pieu. Cette ceinture de plus de quinze kilomètres encerclait entièrement l’ennemi. Pour réaliser ces travaux exceptionnels, Gal avait mis en suspens le chantier de la pyramide. Vlad avait efficacement protégé l’entreprise de terrassement colossale. Le capitaine pourpre avait confié à Galian, son fils à la teinte bleutée la lourde tâche de verrouiller le blocus aérien. Celui-ci s’appliquait d’autant plus à obéir aux ordres que le commandement de Klaralk lui était promis. Les archers abattaient systématiquement toute créature tentant une sortie. Aello, la cheffe des mercenaires harpies, accompagnée de son escadre fondait sur les rares rescapés des pluies de flèches.
Ce matin-là, les choses se décantèrent. Klaralk ouvrit ses portes pour laisser partir tous les poids morts inutiles pour les futurs combats. Kral voulait se débarrasser d’autant de bouches à nourrir pour gérer au mieux les dernières rations disponibles. Une procession de vieillards, de femelles et d’enfants s’engagea dans vers la ligne de fortification bâti par l’ingénieur militaire Borg. Gal se montra intransigeant et sans pitié. Il leur refusa toute autorisation de sortie. Il était trop facile de demander clémence une fois vaincu. Ces chiens crèveraient tous de faim à force d’errer dans cette zone hostile et dépourvue de vie. L’acte de l’oniromancien était d’autant plus marquant qu’il sacrifiait un nombre conséquent de femelles et autant de futurs guerriers potentiels. Les autres villages de la région décrypteraient le message clairement. Gal se montrerait sans pitié avec ses adversaires. Il ne ferait pas de prisonniers. Il pouvait se le permettre parce qu’il possédait une arme secrète, les pouponnières d’hybrides développées par Borg.
Les soldats de Klaralk auraient dû eux-mêmes tué et dévoré tous les faibles présents dans leurs rangs. Cela leur aurait fait gagner quelques semaines. A présent, ils étaient affamés et devaient tenter une sortie. La souricière mise patiemment en place ne laisserait personne s’échapper. Gal exultait. Il sentait déjà l’odeur du sang et entendait déjà le bruit des combats.
Kral dépêcha un émissaire pour négocier. Il envoya Kran, un soldat que le capitaine pourpre avait croisé lors de sa mission d’infiltration vers l’île d’Abath-Khal. Sans doute espérait-il encore pouvoir l’amadouer. Devant ses troupes, l’oniromancien se montra magnanime avec le volontaire sans doute désigné d’office.
« Rrrr ! As-tu quelque chose à dire avant que je t’offre une mort digne ? »
« Kral te propose de te rendre tous tes chevaux-tonnerre et de t’offrir tous les nôtres en échange de ta clémence. »
« Rrrr ! Et que penses-tu de cette proposition, soldat ? »
« Je pense qu’on devrait les garder et les manger ! Jamais tu ne nous laisseras sortir de ce siège vivants ! »
« Rrrr ! Tu as raison soldat ! Vous mourrez tous ! »
« Pourtant, nous n’avons fait qu’obéir à notre hiérarchie ! C’est la première vertu du soldat ! Si je n’avais pas respecté les ordres, on m’aurait exécuté ! Pourtant, je savais notre cause perdue. Tu es Gal l’oniromancien ! Tu es le nouveau favori d’Abath-Khal ! Tu voleras de victoire en victoire ! Nous sommes déjà beaucoup à Klaralk à t’estimer plus que Kral ! Après, un orc doit se montrer impitoyable et vous devez nous tuer ! »
« Rrrr ! Tes propos me troublent Kran ! Je me rappelle de toi ! Rrrr ! Tu es un bon soldat ! Et là encore tu as raison. Je ne peux pas me montrer clément sans faire preuve de faiblesse. » Gal verbalisait sa pensée devant ses sanguinaires guerriers pour trouver une solution moins radicale. Il était fort dommage de se priver d’éléments aussi efficaces que Kran. « Vlad, Borg, Broar, Galian ! Que dois-je faire à votre avis ? Rrrr ! Soldats ! Les guerriers de Klaralk doivent-ils mourir à cause de la folie de leur chef ? »
« Il serait dommage de sacrifier tous ces chevaux-tonnerre ! » constata Borg.
« Il y a de bons soldats dans la horde de Klaralk ! Se serait dommage de s’en priver ! » ajouta Broar.
« Et puis, à quoi me servirait une cité vide ? » questionna Galian, le fils bleuté à qui Klaralk était promise..
« Nous pourrions épargner les meilleurs pour renforcer nos rangs. » suggéra Vlad.
A la suite des trois orcs, chacun commença à donner son avis. Gal savait déjà quoi faire. Il laissait néanmoins les débats se développer pour entretenir une illusion d’instant démocratique. Lorsque les clameurs se calmèrent, le chef de guerre reprit la parole.
« Rrrr ! Kran ! Je te fais confiance. Nous avons combattu ensemble ! Je te connais. Choisis les meilleurs soldats de ton camp parmi ceux qui me respectent ! Rrrr ! Tu feras croire à Kral que j’accepte sa proposition. Tu ramèneras les chevaux-tonnerre avec nos « partisans » ! Broar et Borg, vous listerez tous ceux qui rejoindront nos rangs.Rrrr ! Et vous leur affecterez à chacun un chaperon ! »
La décision de Gal sembla faire l’unanimité. Kran se montra persuasif. Il ramena le cheptel de chevaux-tonnerre. Le capitaine pourpre était un orc d’instinct, encore plus que tous ses congénères. Sa capacité à interpréter les rêves l’empêchait de ne se fier qu’à la raison. Galian aurait besoin de soldats sur lesquels s’appuyer pour administrer Klaralk. Kran possédait suffisamment de qualités pour assurer un rôle similaire à Vlad. L’oniromancien ne pouvait pas tout régenter seul, ni même le faire seulement avec ses quelques fils en âge de combattre. Il devait trouver des guerriers de valeur et leur faire confiance. Pourquoi Abath-Khal l’avait-il choisi lui ? Il s’acquittait aussi bien que possible de la mission qui lui incombait, mais il aurait préféré continuer à arpenter l’infra-monde seul et libre, sans aucune charge de commandement.
Pour la première fois depuis sa naissance, Gal doutait de l’issue du combat à venir. Il ne connaissait pas l’issue du combat parce que ses songes le projetait plus loin dans le temps, au termes de la trêve séculaire. Kral représentait un adversaire redoutable et valeureux, l’un des seuls géniteurs royaux de second rang à lui avoir tenu la dragée haute lors de leurs classes. Dans les guerres intestines, les chefs de guerres devaient s’affronter. C’était la règle. Si l’un d’eux succombait au cours d’une bataille, le conflit prenait fin afin d’éviter l’extermination d’un village. La mort était synonyme de reddition. Pourtant, l’oniromancien devait faire durer l’affrontement. Il avait refusé la victoire que son cousin lui offrait sur un plateau d’argent. Il devait se montrer cruel, bestial et sanguinaire pour effrayer les autres cités qu’il convoitait.
Constatant que le blocus ne bougeait pas malgré la rétrocession des chevaux-tonnerre, la horde de Klaralk tenta une sortie en se concentrant sur deux points opposées au Nord et au Sud. Galian et Borg commandèrent les archers qu’ils regroupèrent aux points stratégiques. Les assiégés tombaient transpercés de flèches à plus de trois cent mètres du murus orcus érigé par l’ingénieur militaire.
La cavalerie reconstituée, menée par Vlad attendait l’assaut fatidique et désespéré de Kral. Celui-ci le lança plein Est, en direction de l’île du dieu-jaguar. Les chevaux-tonnerre montés par l’élite guerrière de Udgog déferlèrent dans la zone de combat. En moins d’un quart d’heure, les deux tiers de la horde de Klaralk fut exterminé. Jugeant la débâcle suffisamment satisfaisante, Gal cessa de tourner autour de son adversaire et se présenta enfin devant lui. Il mit pied à terre pour le combattre d’égal à égal.
« Menteur ! Félon ! Tu avais promis de nous laisser en vie en échange des chevaux ! »
« Rrrr ! On ne négocie pas avec les morts ! Rrrr ! Et si je suis un félon, qu’es-tu donc, toi qui a trahi notre pacte ! » Gal jeta un poignard d’obsidienne aux pieds de son cousin et se délesta de tout son armement. « Rrrr ! Réglons ça comme Abath-Khal le désirerait. Rrrr ! Un combat cérémoniel. Deux lames ! Un vainqueur ! »
Kral écarta l’arme gisant par terre d’un revers de la botte, un sourire sadique aux lèvres.
« Crois-tu que je vais obéir à tes règles ? Je suis un félon ! »
Le parjure se rua sur son adversaire en brandissant sa masse d’arme hérissée d’éclats de pierre. Il s’était plongé directement dans le piège tendu par Gal. Le capitaine pourpre avait délibérément placé son cousin dans un sentiment de supériorité. Celui-ci possédait une arme plus puissante et un bouclier fournissant une illusion de sécurité face à un simple poignard. L’oniromancien savait que le premier coup que Kral tenterait de porter serait vertical et viserait à lui fendre le crâne. Vif comme le jaguar, il se décala pour esquiver et dans le mouvement, il le lacéra sous le bras, au niveau de l’aisselle, lui sectionnant le tendon. La défaite n’était plus concevable pour Gal à présent que le traître ne possédait plus qu’un bras valide. La masse d’arme tomba à terre. Le capitaine pourpre s’en saisit et chercha à assomer son adversaire. Kral mit son bouclier en protection. Le chef d’Udgog laissa exploser sa rage. Il frappa, frappa et frappa encore jusqu’à ce que son opposant mette un genou à terre, jusqu’à ce que son bouclier éclate et jusqu’à ce que son crâne fisse de même.
Ce déferlement de haine et de violence stoppa net la bataille. Tous les soldats se figèrent pour observer le jugement divin du dieu de la guerre. Les vaincus déposèrent les armes. Ils seraient bientôt les premiers émissaires de l’oniromancien. Ils raconteraient aux autres sa force et son intransigeance. A présent tout était à reconstruire. Si Elbrun avait été épargnée lors de sa conquête, Klaralk apparaissait décimée. Après la destruction, Gal devait engager une reconstruction, en parallèle du chantier de la pyramide. Il ne se sentait pas à la hauteur de cette tâche gigantesque. Il n’était qu’un géniteur royal de second rang aspirant à chasser cheuveux au vent. Décidément, pourquoi Abath-Khal l’avait-il choisi ?