Tatouage

Par Sebours
Notes de l’auteur : Neuvième et avant-dernier chapitre sur les ancêtres de Ome.

La bannière orque est l’unique à avoir intégré l’art du tatouage dans sa culture religieuse et militaire officielle. Ailleurs sur le bouclier-monde, le tatouage est l’apanage de ceux qui refusent l’ordre établi.

Pour les orcs, la plupart des tatouages ont une signification religieuse, spirituelle et rituelle, liée au culte de Batum-Khal, le dieu de la guerre, qui occupe une place énorme dans leur vie quotidienne. Le premier tatouage que reçoit chaque guerrier sur son épaule droite représente son animal-totem. Cette marque permet ainsi de répartir les soldats en fonction de leurs compétences.

Le jaguar incarne la force et la puissance. Il est dévolu aux chefs de guerre.

Le puma présente des caractéristiques similaires mais désigne les officiers subordonnés.

Le condor, l’aigle et le toucan sont les symboles des archers et armes de jet. L’ours, le buffle et l’opossum sont les représentants de l’infanterie. L’éléphant, la tortue et le rhinocéros désignent les factions de l’artillerie et des armes de sièges. Le cheval, le dragon et le loup sont l’apanage de la cavalerie. Le renard gris regroupe les éclaireurs et les espions. Enfin, le serpent, la loutre, le caïman caractérisent les factions polyvalentes.

« Les tatouages orcs et leurs symboliques »

Encyclopedia gnomnica

Patiemment, délicatement, amoureusement, Just avait courtisé Fame, la belle Fame dont il était tombé instantanément amoureux. Cela n’avait pas été de tout repos. Le forgeron avait dû affronter un autre prétendant, Roger, un des rares derniers nés qui n’avait pas été proscrit par le tribunal de la première caste. Ce concurrent travaillait pour un boucher. Il était ivrogne, violent et dominateur, mais riche, soit l’exact inverse de Just. La jeune fille n’avait donc jamais porté aucun intérêt à ce parvenu et s’était rapproché naturellement de l’attentionné forgeron. Les tourtereaux avaient pris leur temps pour se séduire et faire évoluer leur nouvelle vie affective à deux. Ils avaient insisté pour faire reconnaître leur union devant la première caste. A l’aube de leur dix-neuvième année, un heureux évènement était venu perpétuer la lignée des Loup, un garçon. Just avait décidé de l’appeler Ome, pour rendre hommage à son grand-père. Il avait appris le nom de son ancêtre sur le lit de mort de son père, Innocent.

Les intentions de Néphélé avaient été compliquées à contrecarrer. Le centaure s’était montré relativement patient, bien que pressant jusqu’à la naissance de l’enfant. Suite à l’accouchement, la brute équidé n’avait eu plus qu’une idée en tête, prostituer Fame pour se rembourser au plus vite de la reconnaissance de dette de la nouvelle mère. Chaque semaine, Roger le boucher était passé proposer une somme plus importante pour bénéficier des charmes de la belle. D’autant que Fame s’était magnifiée de jour en jour. Just savait que le pernicieux personnage avait juste cherché à se venger du camouflet qu’il avait subit plus tôt dans sa jeunesse. Il s’était déjà consolé dans les bras de Lucienne avec laquelle il s’était marié. Un soir, le forgeron avait découvert une tête de cochon ensanglantée sur le pas de sa forge. Depuis, il demeurait sur ses gardes, persuadé que son ancien rival dépasserait le stade des menaces.

Néphélé avait insisté malgré l’opposition des nouveaux parents. La ligue des ombres, une institution criminelle se développant à Panamantra avait sollicité le centaure pour mettre la jolie beauté sur le trottoir. Le couple avait tenu bon. Just n’avait pas compté ses heures et avait travaillé jusqu’à l’épuisement. La nouvelle mère avait trouvé un peu de temps pour tresser des harnais entre deux allaitements. Ainsi, ils étaient parvenus à rembourser les traites exorbitantes que leur imposait leur créancier.

Pendant six ans, le forgeron et son épouse parvinrent à filer le parfait amour et à élever leur enfant sans heurt, bien à l’abri dans le quartier centaure. Ils vivaient chichement, mais ils étaient heureux. Pour parvenir à extirper la Lignée des Loup de sa triste condition, les jeunes parents avaient opté pour une nouvelle stratégie, l’éducation. Ils avaient en effet constaté que la plupart des elfes qui optaient pour cette voix parvenaient à leurs fins. Ainsi, dès qu’il sut marcher et parler, Ome fut inscrit à l’école du centre-ville de Panamantra, la seule et unique fréquentée par les elfes et les lutins. Le couple de forgerons pouvaient se le permettre parce qu’ils logeaient à l’intérieur des remparts, contrairement aux autres proscrits. Pour marquer encore un peu plus la différence des derniers nés de Nunn, la deuxième caste des gens de la foi avait créé des écoles spécifiques pour les gens habitant les faubourgs. Certes, les deux malheureux étaient exploités par Néphélé, mais pour une fois, ils pouvaient tirer un bénéfice de leur vie de misère isolée dans le quartier des centaures de la sixième caste.

Ome suivait donc le même enseignement que les elfes. Le clergé de la deuxième caste lui inculquait les valeurs de la religion du dieu de la sagesse et des sciences ainsi que les visées expansionnistes de Batumia. Le soir, après leur journée harassante de travail, jeunes parents déconstruisaient patiemment l’action de la propagande. Ils savaient que pour lutter contre ces êtres immortels et leurs visions à long terme, tous leurs espoirs résidaient dans la Lignée. En transmettant leurs valeurs à leur fils, ils cherchaient à cultiver une mémoire collective à la famille des Loup. Ainsi, les descendants de Ame et Dame posséderaient une vision à long terme, celle qui manquait tant aux derniers nés de Nunn et qui les maintenaient tout en bas de l’échelle sociale, au sein de la dixième caste.

Fame prodiguait à son fils les croyances partagées par la confrérie des enfants de Nunn. Elle contredisait les mauvais préceptes du dieu de la sagesse et des sciences. « Batum-Khal, comme tous les Sept, ne cherche que son intérêt ! Il est injuste et il privilégie les elfes ! » répétait-elle à son fils en lui caressant les cheveux. Ses enseignements visaient tous la victoire de sa bannière à la fin des guerres lemniscates. Seul le créateur de toutes choses ne possédait aucune arrière-pensée et était digne d’être adoré. La mère attentionnée apprenait à Ome à dissimuler ses croyances et à jouer les caméléons face à ses interlocuteurs. Le garçon passait pour un fervent adorateur de Batum-Khal aux yeux du clergé de la deuxième caste. Pourtant, il abhorrait déjà ce dieu injuste et partial. L’enfant ne croyait qu’en l’infinie bonté de Nunn.

Just, pour sa part, inculquait à son fils les valeurs qui lui étaient chères. Il répétait ses enseignements en boucle pendant que Ome le regardait travailler le métal dans son atelier. En chargeant le four de la forge, il parlait des elfes asservissant les derniers nés de Nunn. « La justice elfe demeure partiale ! Les peuples alliés doivent se libérer de son joug ! »

Lorsque le forgeron activait le soufflet pour attiser le feu, il abordait le problème de la lutte des classes. « Les membres de la première caste sont des sangsues qui ponctionnent la richesse des autres ! Les neuf premières castes profitent des proscrits ! Tu vois, Ome, ce soufflet, c’est la dixème caste qui fait fonctionner tout le système. »

En martelant le métal rougeoyant, Just utilisait une nouvelle métaphore pour maintenir son enfant dans le droit chemin. « Fils ! Les derniers nés de Nunn sont comme ce bout de fer. Ils doivent se débattre entre les elfes et la ligue des ombres comme entre le marteau et l’enclume ! La criminalité ne constitue pas une échappatoire mais une prison ! Fuis la ligue des ombres ! Elle ne sera jamais une solution ! »

Au moment de façonner l’objet, Just insistait sur la nécessité de fixer un cap à la lignée des Loup. « Écoute Ome. Les derniers nés ont besoin d’un guide pour leur montrer la voie ! Nunn comme les Sept annoncent la venue d’un messie. Si tu travailles bien à l’école, se sera peut-être toi ! Montre-toi plus intelligent que tes semblables ! Regarde ce couteau. Au début, ce n’était qu’un caillou, un petit bout de rien, mais grâce au travail, à la patience et une idée du chemin à prendre, c’est devenu une lame acérée ! »

En balayant les cendres pour préparer, le forgeron dévoilait sa conception de la Lignée. « Avec ta mère, nous faisons tout pour te donner les moyens de t’extirper de sa condition de proscrit ! Et tu feras pareil pour tes enfants, et eux pour leurs enfants ! Nous ne sommes pas immortels comme les elfes ou les orcs ! Tu vois, fils ! Ce bois est devenu charbon et il a changé le minerai informe en un objet magnifique. Par contre en brûlant, le bois est devenu cendre ! C’est ça la Lignée ! Il faut que chaque génération se sacrifie pour la suivante soit meilleure ! Sinon, les membres de la lignée des Loup resterons à jamais proscrits comme les autres derniers nés de Nunn. »

Le petit Ome écoutait religieusement ses parents. Le jour des six ans de son fils, Just sélectionna les plus beaux morceaux de charbons tandis qu’il parlait de la Lignée. Il plaça bouts de bois calcinés dans un pilon et confectionna de l’encre de charbon. Puis il releva sa manche et montra le tatouage sur son épaule gauche. C’était une tête de loup hurlant en ombre chinoise à l’intérieur d’un cercle représentant la pleine lune.

« Fils ! Ceci est le symbole de la lignée des Loup. C’est mon père qui me l’a tatoué ! Tu veux que je te le tatoue, Ome ? Je te préviens, c’est douloureux ! »

« Tu l’as fait à maman ? »

« Bien sûr ! Lorsqu’on s’est épousé, elle est rentrée dans la Lignée ! Elle aussi c’est une Loup à présent ! »

« Bon, alors je veux bien ! Même si ça fait mal ! »

« Va chercher maman. Elle t’épongera et pourra te consoler si tu pleures ! »

Just et Fame jugèrent leur fils particulièrement courageux. Il serra les dents et ne se plaint pas. Pendant l’injection de l’encre, le forgeron expliqua l’origine de ce tatouage. Il espérait ainsi détourner l’attention de Ome de la douleur de l’opération.

« Notre nom de famille est Loup parce que la justice elfe nous a assigné arbitrairement ce nom lorsque ton grand-père travaillait dans la ferme de deux lycanthropes, lorsqu’ils lui ont tout pris ! Alors tes grands-parents, Tendre et Innocent, ont décidé de s’emparer de ce nom parce que c’est tout ce qui leur restait... Et pour affirmer que les elfes ne pourraient pas leur reprendre, tes grands-parents ont tatoué un loup sur leur peau, à la manière orc. Tu savais que seules les orcs pratiquaient le tatouage ? Et les elfes ne détestent personne plus que les orcs ! Non ? »

« Si papa ! Les elfes nous détestent nous, encore plus que les orcs ! »

« C’est vrai fils ! Les elfes détestent encore plus les derniers nés de Nunn que toute autre espèce ! Même les orcs ! »

« De toute manière, même les derniers nés détestent les autres derniers nés ! C’est pourquoi la lignée des Loup doit parvenir à ne plus dépendre de cette société décadente ! » coupa Fame fort à propos. Just savait pertinemment qu’en fervente aodratrice de la confrérie de Nunn, elle ne supportait pas la haine de son prochain dont faisait preuve ses semblables.

« C’est vrai ce que dit ta mère ! Regarde Roger le boucher ! Il nous déteste alors que nous ne lui avons rien fait!Fame l’a éconduit et depuis, il ne cherche qu’à se venger ! Cela va à l’encontre des enseignements de la confrérie de Nunn ! »

Fame tamponnant une dernière fois le tatouage. Elle embrassa son enfant sur le front puis le banda.

« Tu as été très courageux Ome ! Ton père et moi sommes très fier de toi ! Et ton tatouage est magnifique ! »

A présent, le petit Ome représentait pleinement l’avenir de sa Lignée.

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Papayebong
Posté le 22/02/2024
Salut Sebours !
Retour après une grande coupure.
On comprend bien l'idée dans cette lignée des derniers née de Nunn.
Est-ce qu'il y a un endroit où la généalogie de cette famille est inscrite ? Ou, au final, ça n'a pas grande importance puisque ces hommes sont éphémères.
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