« Cette canne à pêche m'a été donné par un diablotin. Loin de moi l'idée de pactiser avec le diable, pas pour une canne à pêche en tout cas, mais nous avions... sympathisé, pour ainsi dire.
Je le vis courir dans quelques ruelles, poursuivit par une foule en colère. Puisqu'il devait avoir mon âge, vers les 12 ans, je ne pus m'empêcher de l'aider à se cacher. Quand le danger fut écarté, il y eut un instant de flottement où, sans mot dire, il me montra une perruque qu'il avait dans les mains. Il me raconta qu'un noble de la ville s'était moqué de lui à cause de ses cornes, et, vexé, il lui avait retiré ses cheveux et comptait les jeter à la mer. Je lui fis remarquer que cela n'allait pas améliorer son image auprès des habitants de la cité. Il approuva, mais il me confessa que cela ne le gênait pas d'être un trouble fête et que d'autre part il fallait bien remettre les arrogants à leur place.
Il était mât de peau, deux petites cornes sortaient de son front, un foulard rouge lui cachait la bouche mais il riait avec ses yeux émeraudes, sa canne à pêche lui barrant le dos. Nous devînmes amis. Il m'apprit l'art de la débrouille : il me montra comment voler au marché, courir avec les oiseaux, me cacher des méchants, pêcher ma propre nourriture. On faisait des bêtises : on soulevait les jupes des filles, on baissait le pantalon des hautains, on explorait les maisons qui ne nous appartenaient pas. On vivait avec l'adrénaline du danger. Jamais nous ne nous fîmes prendre, mais j'arrêtai toutes ces activités lorsqu'il partit. Je ne garde de lui que ses cours de pêche.
Car un jour, en effet, il fut pris du mal du pays, et il voulut rentrer chez lui, sur son île. Cependant, il était connu comme le loup blanc et s'il montait sur un bateau, il allait se faire passer un savon par les gardes.
Une idée alors me vînt. Je lui dis de monter sur mes épaules, on enfila un grand manteau et il mit sur sa tête mon chapeau, ce qui cacha ses cornes. La police n'y vit que du feu. La traversée fut douce, on pouvait voir les dauphins sauter à la surface de l'eau.
Une fois arrivés sur son île, il m'invita à en faire le tour avec lui. Nous longeâmes la côte, passant par la forêt, il y ramassa quelques fleurs. Nous sortîmes sur une crique, entourée de falaises. Là bas, il y avait une grande quantité de statue posée sur le sable, représentant de petits êtres semblables à ce diablotin.
Ce dernier me serra dans ses bras, me donna sa canne à pêche en versant une larme, s'assit avec sa famille, le sourire aux lèvres, avant de se pétrifier en regardant le soleil qui plongeait dans la mer.
"Tiens toi droit quand tu tiens ta canne, Noé." qu'il me disait. "Sois fier, tu prends soin de ta vie. Sois humble, tu prends la responsabilité d'une autre."