La chasse

Par Rurlys

Je connus des lendemains de soirée difficiles, mais ce matin était d’une âpreté inégalable. Mon premier réflexe fut de regarder mon téléphone à la recherche d’un message ou d’un nouveau contact que j’aurais ajouté sans m’en souvenir. Mais rien. Ma mémoire ne me jouait pas des tours et j’étais encore suffisamment conscient pour me rappeler que je n’avais pas demandé le numéro de Lilith. Une rage m’envahit aussitôt et je lançai l'appareil à travers la pièce.

— Quel con !

Le soleil de plomb qui tapait à travers les tentures me força à bouger si je ne voulais pas rôtir sur mon lit. Déboutonnant le reste de la chemise que je n’avais pas pris la peine de retirer hier soir, je filai sous une douche froide salvatrice afin de me remettre les idées en place.

Qu’allais-je encore faire de cette journée morne ? Cette femme hantait mes pensées, je la revoyais avec son élégance à faire trembler les Don Juan les plus aguerris, ses formes séduisantes qui réveilleraient la libido des impuissants, son sourire communicatif qui poussait la renaissance d'une flamme au dépressif que je suis, et puis ses yeux. Quels yeux ! Vifs, intenses, ces seuls globes dévoreraient quiconque oserait contrarier ou décevoir la femme qui les porte. Brûlants d’un feu passionnel, ces yeux m’ont conquis alors qu’ils m’effrayaient. Je ne pouvais que m’y soumettre. Mais à force de les observer, son regard s’ouvrit et s’adoucit, transformant ces flammes infernales en une chaleur excitante et attrayante...

Son image, sa voix, son rire, son odeur, je n’arrivais pas à m’en débarrasser. Je devais la revoir. Mais avait-elle autant d’égard pour moi ? Mon cœur battait la chamade, mon corps chauffait et j’aurais pu écrire le contenu de mes pensées à l’aide de vers alors que j’avais horreur du romantisme.

Je sortis de la douche une fois que mon sang-froid revint. Ma journée ne serait focalisée que sur un seul objectif : la retrouver.

Rues, parcs, bars, restaurants, boutiques... Je fouillais le moindre recoin de la ville à la recherche de Lilith, retournant en premier lieu dans le café de notre rencontre pour remonter tel un enquêteur les différentes pistes plausibles, j’en étais même venu à retracer le chemin des taxis... J’en devenais fou. Après une journée éprouvante, je décidai de m’arrêter dans l’un des parcs que j’avais explorés. Complètement las, je me laissai tomber sur le premier banc libre trouvé.

Je récupérais mon énergie bêtement gaspillée en admirant le coucher du Soleil. La vue était splendide, telle que je voulais la prendre en photo. Empoignant mon téléphone que je n’avais pas regardé depuis quelques heures, il m'indiquait un nouveau message non lu, mon pouls s'accéléra. Fausse alerte, il ne s’agissait que d’une notification de Positive.

« Nous n’avons plus de vos nouvelles, envie de revoir la vie en couleurs ? »

Je m’en étonnais, j’avais pris l’habitude d’utiliser l’application régulièrement, et aujourd’hui, alors que j’avais exploré toute la ville, je n’avais pas pensé une seule fois à me servir de Positive tellement j’étais obnubilé par Lilith.

Machinalement, j’ouvrai l’appli et je repartis pour un trip qui ne pouvait me faire que le plus grand bien après de telles mésaventures. Il ne fallut que quelques secondes pour que ma vision change, le coucher de soleil m’apparaissait maintenant avec une teinte rouge rosée et tout ce qu’il éclairait brillait d’un halo fluorescent écarlate qui aurait fait pâlir le moindre épileptique. Je mis ma main en visière lorsqu’une dame passa devant moi, littéralement éblouissante, elle m’aveuglait presque. Elle dut s’interroger sur mon geste, car elle accéléra le pas après m'avoir dépassé.

Les minutes filèrent et le soleil commençait à disparaitre pour laisser place aux étoiles, rapidement rendues invisibles par les lumières urbaines qui s’allumaient au fur et à mesure que la pénombre approchait.

Sentant la fatigue m’emmener, je décidai de me lever pour rentrer avant de me faire surprendre à rêvasser sur le banc d’un parc. Je rassemblais le reste de mes forces afin de m’élancer, mais dans un mouvement fort peu délicat, je manquai de trébucher et de tomber sur un passant qui avait mal choisi son moment pour s’avancer devant moi.

— Excusez-moi, disais-je sans grande conviction.

Un instant de silence suivit mes paroles, la personne en face ne dit mot, l’avais-je vexée ?

— Nathan ? Entendis-je d’une voix familière qui me fit frissonner.

Je relevai la tête précipitamment, je ne rêvais pas, c’était elle.

— Lilith ! m’exclamais-je.

Je devinais à son expression que ma joie dût la brusquer, mais je ne pouvais me contenir, pas après avoir passé la journée à la chercher. Elle était là, en face de moi, toujours aussi belle. Cette fois-ci, elle portait une robe de soie noire fleurie, un large chapeau de paille, un petit sac à main en bandoulière et des sandales blanches à talons. Un nouveau look rappelant la chaleur de cette journée.

— Je ne m’attendais pas à vous voir ici...

— Moi non plus ! ironisais-je.

— Cela semble quand même vous réjouir. Vous profitiez du coucher de soleil ?

— Oui, annonçais-je sans évoquer que je l’avais cherchée toute la journée.

— Vous avez bien raison ! Je l’ai manqué de peu, ça m’ennuie, j’étais trop concentrée sur cette application...

Je vis la plaque holographique qui tenait entre ses mains. Un téléphone dernier cri, je n’en avais encore jamais vu en vrai.

— Une application ?

— Oui ! « Positive », vous connaissez ?

— Je... J’en ai un peu entendu parler, mentais-je.

— C’est génial, elle permet de changer notre vision du monde en un clin d’œil, je n’ai jamais vu ça ! Mais je ne suis pas très douée avec la technologie... J’ai voulu l’essayer pour voir le crépuscule, mais j’ai eu un bug, je crois, ça ne fonctionnait pas.

— Laissez-moi voir, disais-je désireux d’avoir l’occasion de l’aider.

J’ouvrais l’application et je m’étonnais de l’interface qui s’offrait à moi, si différente de ce dont j’avais l’habitude de voir.

Un message s’affichait : « Voulez-vous chasser les démons ? ».

— Oh ! Le message a changé, vous avez pu régler quelque chose ?

— Je ne sais pas trop, avouais-je, on dirait une sorte de jeu.

— Allez-y, allez-y, appuyez ! s’enthousiasmait-elle.

— Vous ne préférez pas le faire vous-même ?

— Je vous l’ai dit, je ne suis pas très familière avec la technologie... Mais je veux voir ce que cela donne !

Elle se collait à moi, appuyant sa tête contre mon épaule. Ses cheveux s’emmêlèrent aux miens, je pus sentir son parfum, une odeur acidulée aux notes sucrées me rappelant les agrumes. L’arôme éveillait une excitation en moi, je perdais le fil de mes pensées.

— Qu'attendez-vous Nathan ? Allez, je suis sûre que nous allons nous amuser !

Je la regardais. Ses yeux crépitaient d’impatience et d’émerveillement, comme une enfant à qui on offrait un nouveau jouet. Elle me donnait une impression différente. La femme fatale d’hier était devenue une innocente fille se reposant sur mes épaules. Elle me fascinait tant que j’en restais bloqué. Puis je sentis un pincement sur mes côtes.

— Nathan !

Pris d’un soubresaut, je réalisais que Lilith venait de me pincer sous le coup de l’empressement

— Désolée ! Mais j’ai cru vous perdre ! Vous aviez l’air en pleine perte de connaissance.

— Non, je m’excuse. J’ai eu une journée éprouvante, je n’ai plus toute ma tête.

Elle me sourit et je fis de même. Sans m’en rendre compte, elle s’était encore plus rapprochée de moi, me serrant maintenant de ses deux bras. Après ces quelques secondes de silence, ses yeux se rivèrent sur le téléphone, je ne la fis pas attendre un instant de plus et lança le jeu.

« Chasser des démons ». Une nouvelle option de Positive proposait de chasser les émotions négatives, ainsi, avec cette mise à jour, nous pouvions observer des « anomalies » dans nos trips colorés. En les éliminant, nous étions récompensés par des « surprises positives ». J’en restais très sceptique, d’autant plus que je n’avais pas encore eu accès à cette fonctionnalité. Lilith me poussa à continuer, une fois toutes les explications passées, l’interface d’hypnose habituelle avec des polygones tournoyants s’affichait.

— Tu connais le principe ?

Je m’étonnais qu’elle se mît maintenant à me tutoyer.

— Il faut regarder ces figures géométriques pendant un certain temps, c’est bien ça ?

— Oui ! Tu vois je savais bien que tu étais plus doué que moi avec la technologie !

Elle me frappa d’une petite tape amicale dans l’épaule.

— Allons-y !

Je me prêtai alors au jeu en repartant pour un nouveau shoot de Positive. Mon précédent n’était pas encore tout à fait dissipé, mais je fus surpris par les changements de couleurs et de tons. Lilith m’apparaissait maintenant avec une chevelure et une robe blanche, presque étincelante, ses yeux virèrent au rouge vif. Ces changements n’enlevaient rien à sa beauté.

— Que c’est drôle ! Tes cheveux sont devenus tout bleus !

Hilare, Lilith s’amusait comme une gamine, à regarder tout autour d’elle en scrutant la moindre modification. De mon côté, je n’étais pas fort surpris, presque déçu par les couleurs remplaçant les précédentes. Mais je riais de voir Lilith dans une telle euphorie. Après m’avoir rendu fébrile et admiratif, je m’attendrissais d’observer cette beauté s’abandonner au jeu.

— Regarde ! C’est quoi ça ? s’exclamait-elle.

Je regardais dans la direction qu’elle pointait du doigt et je vis une forme étrange. Comme un spectre lumineux s’agitant lentement et dégageant une aura malsaine. Lilith me prit par la main.

— Allons voir ça de plus près.

Le spectre s’avançait doucement. Nous marchions à pas rapides vers sa position, Lilith me tirant par le bras pour aller plus vite. Une fois à sa hauteur, nous observâmes une tache blanche, comme un phosphène, d’à peu près notre taille. Elle s’arrêta lorsque nous nous en approchâmes. Aucun son n’émanait d’elle, il s’agissait bien d’une illusion.

— C’est... étrange, laissais-je échapper.

— Je crois que nous en avons trouvé un.

— Que... ?

À peine eus-je le temps de m’interroger que je vis Lilith sortir un petit couteau de son sac à main. D’une frénésie horrifiante, elle le planta à plusieurs reprises dans la tache blanche, cette dernière s’effaça quelques instants après. Effrayé, je reculai d’un pas. Lilith prit son téléphone d’un air satisfait et me montra l’interface.

— Regarde, c’était un démon, j’ai gagné des points !

En effet, le jeu affichait un score qui était passé de zéro à cinq points.

— Il faut vaincre les démons d’une manière ou d’une autre ! À partir de quinze points, nous pouvons obtenir une récompense. Dépêchons-nous Nathan !

Ainsi je la suivis, nous avons parcouru la ville pendant une bonne partie de la nuit et nous avons éliminé deux démons supplémentaires pour débloquer notre prix.

En atteignant les quinze points, l’application proposait encore une nouvelle option « Merveille colorée » que nous nous empressâmes de tester.

À nouveau sous l’emprise hypnotique des polygones, je découvris une vision paradisiaque, aux couleurs vives et changeantes de la cité venaient maintenant s’ajouter diverses sensations, des odeurs et des sons. Des notes harmonieuses emplissaient mes oreilles, pendant qu’une agréable brise d’été caressait ma peau et qu’un arôme de vanille me parvint jusqu’aux narines. Béat, je me plongeai dans ce doux cocktail à un point tel que je ne reconnus plus l’espace m’entourant. Glissant lentement mon regard vers Lilith, cette dernière me paraissait d’autant plus sublime qu’à l’accoutumée. Indescriptible, son corps m’attirait comme un aimant, elle aussi s’approchait de moi avec un air sulfureux. Nous nous touchâmes avant de nous embrasser tout en nous caressant mutuellement. Mon sang se mit à bouillir et ma tête chauffait à m’en faire perdre la raison. Nos respirations s’entremêlaient, tous les deux étouffant dans cette effervescence de désir, je ne tenais plus.

— Viens chez moi.

— Oui.

Je la pris brutalement par la main. Sommés d’impatience, nous marchâmes à pas rapides, presque en courant, au travers des rues. Arrivés devant la porte de mon immeuble, elle m’attrapa par le visage et dévora mes lèvres sauvagement, le peu de bon sens éveillé en moi réalisa qu’on ne pouvait s’adonner au plaisir maintenant, pas ici, pas en pleine rue, nous devions encore nous retenir quelques minutes. Je la repoussai pour trouver mes clés et l’emmener au plus vite dans mon appartement. Nous prîmes les escaliers, l’attente de l’ascenseur était trop longue pour contenir nos corps ardents.

À peine entrée dans mon salon, Lilith me sauta dessus, déchirant ma chemise et m’embrassant le torse et le cou. Je fis de même, envoyant nos vêtements à travers la pièce, nous laissant aller à caresser nos corps nous nous donnions l’un à l’autre en succombant à ce désir animal pendant plusieurs minutes, puis plusieurs heures. Ruisselant de sueur, je n’arrivais à me détacher de sa peau, abandonnant mon esprit dans la jouissance, ma vision se brouillait de nuages colorés, mes oreilles n’écoutaient plus que nos gémissements et mon nez se gonflait d’effluves excitants. Nous avons continué ainsi jusqu’à l’épuisement en nous endormant ensemble dans les bras de l’autre.

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