La fête

Par Rurlys

Réveil. Un vent frais me fit frissonner, la fenêtre avait été laissée grande ouverte. De vagues souvenirs me revinrent de la soirée d’hier, les images restèrent floues, mais les sensations, elles, pénétraient encore dans mon esprit. Jamais je n’avais ressenti tels plaisirs, jamais je ne m’étais senti dans un tel état de confiance et jamais, au grand jamais je ne voudrais oublier ce moment.

Je me retournai et aperçus que Lilith n’était pas là. Disparue, j'avais été abandonné, allongé nu dans mon lit, un espace vide à mes côtés. Je reniflais les oreillers, son parfum y était resté. « Je n’avais pas rêvé ».

Me remettant de mes émotions, j'observai l’appartement qui avait été laissé en désordre. Mes vêtements trainaient çà et là, éparpillés dans le salon, la chambre et même la cuisine. Mon attention se porta sur la recherche d’un signe, de quelque chose appartenant à Lilith, m’avait-elle laissé un papier avec son numéro ou son adresse ? Un habit m’assurant qu’elle repasserait le prendre ? Mais rien. Je fis l’analyse de chacun de mes contacts enregistrés sur mon téléphone, de chaque message, de tous mes réseaux sociaux, mais rien, nulle part. Elle m’avait encore une fois abandonné sans aucun moyen de la retrouver. Pourtant je ne ressentais pas de colère ni de tristesse, la nuit d’hier restait gravée dans ma mémoire et je sentais que j’allais la revoir, d’une manière ou d’une autre. Peut-être aimait-elle vivre ainsi, sans communiquer, laissant le hasard guider ses rencontres...

Assis sur le matelas, je réfléchissais à cette relation. J’ignorais si j'éprouvais vraiment de l’amour pour elle ou si ce n’était que du désir. La nuance est fine, mais avait toute son importance. Lilith ne ressentait peut-être que cette attirance. Ce qui expliquait pourquoi elle se volatilisait aussitôt. Sans doute fréquentait-elle déjà quelqu'un et qu’en aucun cas elle ne devait s’attarder à garder le contact avec son amant.

Peu importe. Le plaisir que sa compagnie me procurait ne valait rien d’autre. Tout en rangeant l’appartement et en préparant mes affaires pour prendre une douche je réfléchissais à l’endroit où j’irais trainer demain soir en espérant tomber sur elle. Faisant défiler le fil d’actu des réseaux sociaux, je vis entre deux faits divers qu’une fête spéciale latino s’organisait dans le parc des Roses. Il y aurait sûrement beaucoup de monde, mais une voix intérieure me hurlait que j’y trouverais Lilith.

Le soir venu, je passai une bonne heure dans les transports en commun avant d’arriver sur le lieu des festivités. Comme je le prévoyais, une véritable masse humaine s’agglutinait à l’entrée du parc. La météo y était favorable, pas de vent, un ciel dégagé, la douceur d’une nuit d’été propice à faire la fête.

Le temps d’attente pour l’entrée m’ennuyait au point que j'en profitasse pour me reprendre un shoot de Positive. C’est dans les assemblées que cette application montrait tout son potentiel. Voir la populace devenir des personnages colorés fluorescents divertissait mon esprit.

Finalement, j’arrivais à l’entrée, l’une des hôtesses, une charmante étudiante d’origine hispanique, me donna un bracelet à garder au poignet. Elle m’expliqua brièvement que je pouvais le scanner avec mon téléphone et ainsi accéder à une application pour payer mes consommations. Je lui adressai un franc sourire qu’elle me rendit en me montrant son appareil dentaire.

Me faufilant à travers la foule, je remarquais que le parc avait été décoré pour l’occasion : des palmiers garnis de lanternes aux couleurs vives, des stands proposant cocktails et autres spécialités sud-américaines et enfin une immense scène de DJ avait été installée. L’ambiance était telle que je me demandasse si je voyais les vraies couleurs de la décoration ou si Positive faisait encore effet.

Je m’approchai du stand où la file me paraissait la moins longue et commanda une bière aromatisée à la tequila. En me retournant, une voix m’interpella.

— Nathan ?

Mes oreilles sifflaient, je connaissais cette voix. Portant mon regard vers son origine, je tombai avec stupeur sur Lise.

— Mais oui, c’est bien toi ! Je ne m’attendais pas du tout à te voir ici, comment ça va ?

Toujours aussi belle, si pas plus. Je ne l’avais plus vu depuis qu’elle m’avait livré son secret. Elle avait troqué son style de geekette à l’air timide pour adopter un look beaucoup plus désinvolte. Cheveux coupés, blouson en cuir, maquillage léger et bijoux brillants. Quelque chose m’énervait dans sa nouvelle apparence, comme si j’avais perdu l’ancienne Lise que je connaissais tant, mais je ne pus non plus m’empêcher de la trouver plus sexy maintenant.

— Salut ! Oui je vais bien, ça fait moment...

— Et comment ! J’aurais dû t’envoyer des messages, désolée.

Elle baissait les yeux, sensiblement gênée de me revoir ainsi en m’ayant ignoré pendant tout ce temps. Je ne pouvais l’en blâmer, j’avais fait de même.

— Faut l’excuser ! Elle était fort prise en ce moment...

Un grand gaillard que je n’avais même pas remarqué apparut en l’agrippant par la taille pour appuyer ses dires. Les pommettes de Lise en devinrent rouges.

— Je ne t’ai pas encore présenté Edric, mon copain dont je t’ai déjà parlé.

— Enchanté ! fit le garçon en me tendant la main.

— Salut, je suis Nathan, le saluais-je d’un faux sourire.

Edric avait une forte poigne, j’oubliais que certains hommes plaçaient leur ego dans leurs poignées de mains...

Nous échangeâmes quelques banalités pendant les minutes qui suivirent, j’en appris plus sur la vie inintéressante d’Edric tout en cachant les détails de la mienne. En très peu de temps, je savais déjà que ce type était un idiot fini, un sportif avec de l’énergie à revendre dans une bonne situation financière, mais aux réflexions si pauvres qu’on les retrouverait en train de faire la manche sur le trottoir. Je n’avais pas besoin d’être un génie en relations sociales pour penser qu’il ferait du mal à Lise un jour ou l’autre. Je souriais et approuvais d’un air naïf ses réflexions beaufs concernant la tenue des hôtesses alors que Lise faisait mine de ne rien entendre. Je remarquai qu’elle prit sur elle en demandant à son copain de nous laisser seuls pendant quelques minutes.

— Ma compagnie dérange ? réagissait-il faussement susceptible.

— Non, je veux juste dire quelques mots à mon ami, c’est tout, ne prends pas la mouche directement.

Vexé, Edric empoigna sa bière avant de se lever.

— Très bien, si tu me cherches je serai avec la petite latina de l’entrée... lâcha-t-il.

Énervé, j’étais prêt à le suivre pour l'affronter, mais je sentis la main de Lise me retenant.

— Laisse. Il est capricieux parce qu’il a un peu bu. En temps normal c’est une crème.

J’aurais aimé la croire, mais ses yeux exprimaient un regret sincère quant au comportement de son compagnon et peut-être même que sa déception s’étendait à toute sa relation. Mais dans ses idéaux, Lise préférait se rassurer qu’elle eût fait un bon choix, qu’elle avait de la chance d’être en couple avec un beau gars comme Edric et que ses défauts ne ressortaient que lors des soirées arrosées. Toutes ses copines l’enviaient et ses parents étaient contents, elle pouvait bien fermer les yeux sur ses quelques caprices d’enfant gâté...

— Comment vas-tu ? lui demandai-je.

— C’est plutôt moi qui devrais te poser cette question...

— Ça va, je m’amuse bien en ce moment.

— C’est vrai ? s’étonnait-elle, je suis vraiment heureuse de l’apprendre, j’ai eu l’impression de t’avoir déçu.

— Comment pourrais-tu me décevoir ?

— Par mes choix, mon copain, mon style. Tu t’exprimes peu, mais ton regard, lui, est très éloquent notamment lorsque quelque chose ne te plait pas. J’ai fait mine de l’ignorer pendant longtemps, mais lors de notre dernière soirée, cela m’a travaillé.

Je m’étonnais de l’attention que Lise avait portée à mon humeur, moi qui pensais qu’elle n’avait plus d’yeux que pour Edric, je me fourvoyais. Par son élan de perspicacité, je décidai alors d’être honnête avec elle.

— Tu as raison. J’ai mal pris l’annonce de ta relation avec Edric, tu as le droit de m’en vouloir, c’était égoïste de ma part.

Elle me regardait tristement puis jeta un œil en arrière avant de déposer un baiser sur ma joue.

— Non, c’est moi qui me suis montrée égoïste. Tu étais là pour moi depuis le début et je n’en ai fait qu’à ma tête.

Lise se leva d’un air déterminé.

— Je vais rompre. C’est un con. J’attends juste le bon moment pour le faire.

Je pense qu’elle voulait que je l’appuie dans sa décision ou que je vienne la défendre en cas de soucis. Mais je ne désirais plus me préoccuper de ses histoires.

— Fais comme bon te semble.

— C’est ce que j’aurais dû faire depuis longtemps.

Elle emboita le pas pour retrouver Edric.

— Je t’enverrai un message. On retournera boire un verre ensemble.

Elle partit sans attendre ma réponse. Je n’en éprouvais pas la moindre émotion. Seule Lilith m’importait à présent.

Je passais le reste de ma soirée à siphonner des bières et à m’extasier sur la piste de dance dont les couleurs changeantes me stimulaient. Au fond, je m’étonnais, j’avais l’impression d’être une autre personne, d’être libéré, je ne m’inquiétais plus du regard d'autrui, je dansais sur un rythme que seuls mes sens pouvaient percevoir. Complètement décalé par rapport à la foule, j’attirais remarques condescendantes, moqueries et questionnements. Mais je n’en avais que faire, je me sentais heureux, libre. Et au milieu de la piste de dance, comme sous le feu des projecteurs, je la vis. Plus belle encore, une femme s’élevait au sein des ténèbres dans une sublime robe blanche, déployant ses ailes parmi la nuée, s’avançant sur un tapis rouge telle une reine pour enfin poser un regard conquérant sur sa proie. J’étais sa cible. Lentement, un pas devant l’autre, de la grâce d’un cygne, Lilith venait à ma rencontre et me tendit la main. Elle faisait passer le peuple l’orbitant pour des patauds tant sa beauté les sublimait. J’acceptai son invitation et nous nous mirent à danser, au milieu de tous, sur un rythme qui ne correspondait en rien au son du DJ, mais nous étions synchronisés, entre nous, nous écoutions la même musique, voyions les mêmes couleurs, nous étions connectés, ensembles, inséparables. Ma médiocrité se mariait avec sa perfection, créant ainsi une entité unique allant au-delà de tous.

Je l’aimais.

Et nous avons dansé, dansé, dansé... Jusqu’à ce que nous soyons les derniers, jusqu’à ce que le Soleil se lève, jusqu’à ce que nous ne soyons plus capables de tenir sur nos jambes, nous effondrant l’un sur l’autre, l’esprit vide, le sourire aux lèvres.

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