La chasse - 8

— Et donc, lequel de nous deux se lance pour demander notre chemin ?

Cette fois, j’avais surjoué l’euphorie ; c’était ma dernière cartouche. Je n’arrivais pas à sortir Warner du mutisme dans lequel il s’était enfoncé et, à mon grand agacement, je ne le comprenais pas. Moi aussi j’étais mal pour Eryn, et choquée. Mais de là à vivre si personnellement la chose… Nous nous connaissions à peine. Pourtant, cet homme que j’avais jusqu’ici trouvé fiable et réfléchi s’était comme… éteint. Le teint gris, il paraissait terrassé.

— Tu n’as pas envie d’aller tâter d’un peu plus près la médecine locale ? insistai-je en simulant la légèreté.

J’eus enfin une réaction, quoique, pas celle escomptée.

— J’aurais dû rester auprès d’elle… J’espère que ce titre de Reine la protégera désormais.

Cette phrase me fit l’effet d’une petite claque.

Je suis aussi importante que Blondie, ronchonnai-je en sourdine.

En plus, c’était sous son impulsion que nous avions marché droit sur la Bête. Et quelle avait été sa réaction ? Elle s’était carapatée, sans se soucier d’aucun d’entre nous.

Et j’étais dans un état bien plus critique que cette simple petite cheville bandée vue de loin.

Ça ne me semblait donc pas exagéré qu’il soit resté auprès de moi au lieu de farfouiller partout dans la foule pour la retrouver.

Luce, arrête ! me récriminai-je. Garde à l’esprit ce qu’elle a subi.

Je grinçai des dents, fatiguée par ce tourbillon qu’elle m’inspirait et déterminée à me la rendre plus sympathique.

— Je sais qu’elle lui ressemble, ça je le sais, murmura soudainement Warner aux brins d’herbe écrasés sous ses pieds.

Il me fixa ensuite avec intensité.

— Emma. Je t’en supplie, RETIENS ce nom ! Emma ! Retiens Emma pour moi !

Il se laissa tomber à genoux et s’agrippa à mes épaules, me les secouant avec force.

— Promets !

J’acquiesçai, déconcertée par cette perte de contrôle.

— Je… je n’oublierai pas.

C’est qui cette Emma ? Qu’est-ce qui lui prend ?

— Je suis sûre qu’Emma se porte bien, où qu’elle soit, osai-je avancer dans l’espoir de le calmer un peu. Et je suis sûre qu’il en est de même pour Eryn, continuai-je en me remémorant les quatre locaux qui l’avaient délicatement installée dans une sorte de palanquin-hamac avant de l’emmener hors de notre vue. J’y pense, avec son pied bandé, on l’a peut-être transportée dans l’espace dédié aux soins ?

Warner libéra mes épaules. Il me regardait si tristement…, je ne comprenais pas. Il sembla vouloir me dire autre chose, l’hésitation flottait sur ses lèvres, mais il se ravisa.

— Tu as raison, dit-il, laconique. Trouvons où se sont installés les Soigneurs de ce campement fou.

 

****

 

Je voguais silencieusement à travers la foule, portée par Warner. Une femme dont les yeux clairs détonnaient sur sa peau foncée nous avait indiqué comment rejoindre l’espace des soins : il avait été dressé de l’autre côté du grand feu, à l’opposé de mon menhir, près des carrioles, carrosses et autres charrettes - proche du parking en somme. On ne cessait de nous dévisager et de nombreux chuchotements fleurissaient sur notre passage, mais personne ne nous barra la route ni ne nous apostropha. Il y eut de nouveau ce signe tracé dans les airs qui ne m’évoquait rien de connu, il y eut aussi quelques crachats - très peu, mais même un, c’était déjà de trop. Ces projectiles me rappelèrent les mots de la femme-guérisseuse.

Souillée. Elle a dit que j’avais été souillée…

Le pire était peut-être que j’aurais moi-même choisi ce qualificatif. Cet être s’était immiscé dans une partie de moi avec laquelle je n’étais pas du tout en accord. Mon estomac se tordait de honte quand je repensais aux images qu’il m’avait suggérées en parasitant mes pensées. Qu’avais-je laissé transparaitre sur mon visage avant de reprendre le contrôle sur mon esprit ?

Instant présent. N’y pense pas maintenant.

Je repérai le palanquin vide en premier. Un peu plus loin, Eryn était allongée sur une natte à même le sol. Une petite femme à la crinière châtain maintenue relevée par un bandeau bleu marcha vivement sur nous.

— Sa vie est-elle en danger ? mitrailla-t-elle tout à trac à l’attention de Warner.

Celui-ci prit les devants en lui faisant un rapide topo de ses inquiétudes.

— Trouvez une natte libre et patientez dessus. On a presque terminé de s’occuper du géant.

— Armand ?

Elle me regarda en haussant un sourcil percé de plusieurs anneaux.

— Je ne connais pas vos noms et il est inconscient.

L’air songeur, elle marmonna ensuite qu’en même temps, des Étrangers géants, il y avait peu de probabilités qu’il y en ait plusieurs.

— Soit. Il va bien maintenant. Quand il reviendra à lui, il ne lui restera qu’une trentaine d’hématomes superficiels.

Étrange précision…

Pointant Warner, elle ajouta dans un débit haché au couteau :

— Vous. Vous pouvez rester avec elle. Le temps qu’on arrive. Exceptionnellement.

Puis elle repartit au trot.

Décoiffante petite femme.

 

****

 

J’étais cernée par une multitude de valises en cuir rigide débordantes de fioles de formes et couleurs variées, de sachets plats ou bombés et de petits bouquets de fleurs séchées maintenus par de la corde de chanvre. Warner m’avait installée devant Eryn - je n’avais pas osé protester - sur une paillasse rectangulaire au touché doux, agréablement rembourrée, qu’il avait récupérée à quelques pas de là, à côté d’un autre amas de valises hétéroclites. Eryn l’avait regardé faire sans rien dire.

— Comment te sens-tu ? lui demandai-je quand Warner s’installa, jambes croisées, auprès d’elle.

— Ça va.

Un sourire laconique nuança l’affirmation.

— Mais toi, dis-moi, je constate que tu ne rechignes plus à te faire porter ?

Mon sang ne fit qu’un tour. Je souris malgré moi, par automatisme.

Pourquoi elle me pique ? Les situations ne sont même pas similaires !

Je me sentis obligée de me justifier et m’empêtrai dans un rapide résumé : la Bête qui m’avait choisie pour proie, son saut et sa réception inespérée sur mon couteau - qui l’avait amené à m’écraser tout entière - et, elle avait dû en être témoin, la morsure. Au bout d’à peine trois mots, j’avais compris qu’elle ne m’écoutait pas. Oh, elle me regardait et hochait la tête en mesure, mais ça n’était qu’une image, une vitrine de politesse. Reniflant le jugement, je me mis à bafouiller tandis qu’elle attendait que j’en aie fini.

Tais-toi Luce, arrête le massacre.

Elle s’en fichait, quoique je dise, j’étais persuadée qu’elle resterait sur l’idée qu’elle s’était déjà faite sur la question - sur moi. Quand je me tus, elle se détourna et s’enquit avec chaleur de l’état Warner :

— Tu as une mine épouvantable. Et pour toi, tout va bien ?

Je fus égoïstement rassurée de constater qu’il ne se départait pas de sa mine grise et de son regard éteint, même avec elle.

— Je suis éprouvé, oui. Mais toi, Eryn, sache que… que je t’ai trouvée vaillante.

— C’est bon, balaya-t-elle, les yeux pétillants d’importance, n’en parlons plus.

Elle se composa alors un demi-sourire et haussa nonchalamment les épaules en lissant la pointe de son carré parfait, les yeux tournés vers le ciel.

— Je suis Reine maintenant, il ne devrait plus rien m’arriver de fâcheux. Et avec mes responsabilités à venir, j’aurais de quoi m’occuper l’esprit.

Je trouvai étrange la façon dont Warner l’observait, comme s’il cherchait quelque chose de perdu sur son visage. J’étais allongée juste en face d’eux, mais je me sentais délaissée. Dépréciée. Sans parler des pointes de douleurs qui recommençaient à s’élever en vagues de plus en plus rapprochées un peu partout dans mon corps - l’effet de ce qu’on m’avait fait boire devait s’estomper. Je fermai les yeux.

— Que t’a-t-il dit tout ce temps où il te tendait cette bague ? Il ne t’a véritablement pas forcée ?

Warner désirait avoir le fin mot sur cette question.

Et moi donc

Je sentis qu’on me secouait gentiment le bras et soulevai une paupière ; je reconnus tout de suite ce que ce gentleman plus âgé me tendait.

— Tu devrais le prendre, ton front est à nouveau couvert de sueur et tu es très pâle.

Je n’allais pas chipoter, il ne m’était rien arrivé de fâcheux avec la dose précédente. Je le remerciai en tendant ma paume ouverte et récupérai le petit flacon vert foncé. Il y avait une capsule en cire à faire sauter. Je tirai sur l’épais fil de coton et avalai le tout cul sec.

— Pour répondre à ta question, commença alors Eryn, il m’avait prévenue qu’il y aurait ce… moment. Il en était désolé. Il m’a expliqué qu’il ne pouvait pas y couper, que ce serait la seule, l’unique fois.

De ma position couchée, je vis ses ongles bordeaux se resserrer sur le tissu de la chemise d’homme qu’elle n’avait pas quittée.

— Ensuite, il m’a posément expliqué qu’acquérir ce statut aurait des avantages. Entre autres, pour les prochaines épreuves qui nous attendent… Sur cela, il n’en n’a pas dit plus. Il m’a aussi certifié que je ne serai pas une reine de pacotille, que certaines charges du royaume seront sous ma seule responsabilité. Il a parlé d’autres choses aussi, que j’ai trouvé… un peu trop mystiques.

Elle haussa les épaules, petit rebond délicat.

— Il a affirmé que c’était normal, qu’il me faudrait du temps pour comprendre les rouages de leur monde. Tout comme vous. Il m’a demandé de lui faire confiance.

Elle attrapa tout à coup le bras de Warner - le geste me mit mal à l’aise, il me rappela Pull Rose qu’elle avait agrippé de la même façon.

— Il ne m’a pas choisie par hasard, tu sais, il a senti quelque chose en moi. Selon lui, je… je posséderais une particularité en plus.

Elle ménagea une courte pause avant d’ajouter :

— Il m’a dit qu’une prophétie a révélé que Celle qui se verra proposer d’être Reine dans cette décennie sera vouée à réaliser de grandes choses.

Je retins un sourire à la vue de Warner ; il semblait plus sceptique qu’impressionné et ne le cachait pas.

— Une médecine de potions et maintenant des prophéties, grommela-t-il.

— Tout cela donne à réfléchir… et un peu le tournis aussi, souffla Eryn, presque en extase, sourde aux doutes de celui dont elle pétrissait le bras.

— Tant que tu es traitée correctement à partir de maintenant.

— Imagine s’il avait été violent, continua-t-elle, ou barbare, grossier, laid… Au lieu de cela, il est tout ce qu’on imagine d’un Roi : charismatique, intelligent… et même assez bel homme.

Suffisamment âgé pour être ton père, froid, autoritaire… Elle embellit le tableau ou elle n’a pas relevé cette partie du personnage ?

Ou peut-être relativisait-elle pour garder le contrôle ? J’étais bien placée pour le savoir. J’y pense… Je devrais lui demander si son Roi lui a confié ce qu’on attend de nous ici.

La douleur refluait, je redevenais fonctionnelle, mais je sentais mes paupières s’alourdir. Le désir de me laisser emporter par le sommeil prenait le dessus. Il fallut le grondement d’une voix grave pour m’arracher à cette torpeur.

— Je cherche Moire, la Guérisseuse.

Ma curiosité l’emporta. Je découvris un homme imposant, encapuchonné, qui s’approchait en portant une femme à la chevelure blonde, sale et emmêlée. Des bandages reposaient sur son visage et sa poitrine, mais j’étais presque certaine qu’il s’agissait de Myosotis. À la réflexion, je reconnaissais aussi ce géant ; il portait un autre manteau et s’était séparé de son épée, mais c’était l’homme au visage ravagé de cicatrices.

— Moire la Guérisseuse ? répéta-t-il plus fort.

Celle-ci arriva de son petit trot nerveux. Elle sembla le reconnaitre et parut impressionnée, elle s’inclina avant de l’interroger comme elle l’avait fait avec nous :

— Sa vie est en danger ?

— Plus maintenant. Où puis-je la déposer ?

— Sur une natte libre.

Le géant la toisa dans le plus grand silence. Elle finit par céder, mal à l’aise.

— Je vais vous en trouver une.

— Elles sont toutes occupées, la prit-elle de court.

La petite guérisseuse parut confuse et sonda l’espace d’un rapide regard. Elle tiqua à la vue d’Eryn et s’approcha comme un automate réglé sur avance rapide.

— Vous êtes encore là ? Je vous avais dit que vous n’aviez plus rien, pourquoi portez-vous encore votre bandage ?

Avisant la bague ornée d’un rubis qui brillait à son doigt, elle frémit et ferma les yeux le temps d’une longue respiration.

— Ma Reine, reprit-elle plus calmement, vous êtes apte à marcher par vous-même, si vous pouviez libérer votre natte pour un blessé… je vous en serais grée.

Elle conclut en s’inclinant - un peu. Eryn se redressa humblement en refusant la main que lui tendait Warner et s’excusa pour le malentendu, puis elle s’écarta de quelques pas, en boitant très légèrement. La petite guérisseuse cligna plusieurs fois des yeux en pinçant les lèvres et regarda ailleurs en fourrageant dans ses cheveux coiffés en crinière. Lorsqu’elle nous avisa, ma natte et moi, elle se déchargea sur Warner.

— Vous ! accusa-t-elle. Vous avez déplacé la natte !

Elle pointa sèchement celle qu’Eryn venait de quitter.

— Prenez celle-ci et mettez-là exactement là où se trouvait l’autre ! Puis, ouste !

Warner s’exécuta en rougissant. Quand ce fut fait, Eryn l’invita avec insistance à la suivre. Se faisant, elle ne remarqua pas le géant et son fardeau inanimé qui s’avançait vers la couche libérée. Lorsqu’elle se retourna, elle le percuta durement. La capuche de l’homme glissa en arrière, découvrant son visage à demi-dévasté. Sa réaction me sidéra. La nouvelle reine hurla comme elle avait hurlé face à la Bête et s’évanouit. Warner la rattrapa de justesse. Une explosion de rires gras retentit à la limite de l’espace des soins ; quelques jeunes locaux avaient été témoins de la scène.

— Le monstre a encore frappé ! s’esclaffait le plus exubérant du groupe.

Ils ne se moquent pas d’Eryn…

Aucune émotion particulière ne transparaissait sur les traits du géant, il demeurait de marbre. L’empathie s’éleva en moi et je sentis mon cœur se serrer. Imperturbable, il rejoignit la natte pour y déposer la blessée. Il remonta ensuite sa capuche, renvoyant ses plaies dans les ombres.

— Bande de rustres bruyants et immatures ! Vous mettez à mal nos blessés les plus graves ! Et puis réfléchissez, certains font peut-être même partie de vos proches ! Respectez la paix en cet espace !

Penaud, le groupe se dispersa sans chercher à se défendre. L’homme qui venait de les houspiller devait avoir une certaine autorité. Avec sa chemise sans manche effilochée aux épaules, ses favoris et son front ceint par un foulard bleu torsadé - ce devait être un signe distinctif -, il avait des airs de rockeur. Un rockeur dans la quarantaine, aux cheveux noirs piquetés de blanc sur les tempes.

Pauvre Warner

Il semblait perdu ; il avait basculé Eryn dans ses bras et interrogeait muettement la dénommée Moire.

— Plus de mon ressort, l’envoya-t-elle paitre. Amène-la jusqu’à sa calèche. Qu’elle s’y repose. Et qu’elle y reste.

Je la vis mordre sa lèvre inférieure avant de trotter nerveusement vers Myosotis. Le guérisseur-rockeur s’intéressa alors à moi et un franc sourire illumina son visage.

— Ah, c’est enfin vous ! Je me demandais quand on vous transporterait jusqu’ici.

Il s’approcha au plus près de moi et s’installa sur les genoux.

— J’ai ton autorisation pour te palper un peu partout ?

J’acquiesçai en fronçant des sourcils. Mes bras se refermèrent d’eux-même autour de moi.

— N’aie crainte, j’irai doucement et serai respectueux. Essaie juste de te décrisper un peu, il faut que je me fasse une idée de l’étendue des dégâts.

Il déposa ses mains sur la cheville que j’avais tordu en tombant - quand avait-elle doublé de volume ?

— J’avais hâte de te rencontrer : certains chuchotements sont remontés jusqu’à nous. Une tueuse d’Alpha dès la première Épreuve… Ça n’était plus arrivé depuis quelques moissons.

Ses mains se déplacèrent sur mon autre cheville.

— Je sais aussi que la Bête s’est ensuite écroulée sur toi ; avec ce gabarit, je doute que ton corps ait bien encaissé le choc.

Une de ses mains revint sur ma première cheville et il ferma les yeux un court instant.

— Voilà, je suis connecté à toi, je vais pouvoir commencer.

Comme promis, il fut respectueux dans ses touchés. Il ne me parla plus, mais je l’entendis un nombre incalculable de fois chuchoter des là aussi ou ici aussi. Je pouvais voir Myosotis depuis ma couche - on l’avait libérée de ses bandages. Moire la Guérisseuse s’appliquait à étaler une pâte vert clair sur les terribles plaies qui lézardaient son visage, son cou et sa poitrine. Je m’en détachai quand j’entendis mon Guérisseur farfouiller dans une mallette d’où il extirpa un bol cuivré. Très vite, il le remplit de poudres, de gouttes de différents liquides colorés - peut-être des essences, les odeurs étaient fortes et entêtantes - et de quelques pétales et pistils séchés. J’espérais que tout cela était fiable et que je n’étais pas la victime d’une ridicule fumisterie.

— Moire, tu avais pas relancé une eau à bouillir ? apostropha-t-il la petite Guérisseuse en pilonnant avec force le contenu de son bol.

— Je t’apporte ça, il n’y a plus rien que je puisse faire ici.

Myosotis avait retrouvé ses bandages. L’eau bouillante arriva promptement dans une longue théière tarabiscotée. Lorsqu’elle entra en contact avec la mixture du bol cuivré, une odeur puissante, légèrement piquante, m’emplit les narines.

— Il ne te reste plus qu’à boire tout ça, conclut le faux rockeur en déposant la décoction à mes côtés. Moire va s’occuper de ta morsure pendant que ça refroidit un peu.

Jaugeant le breuvage d’un œil expert, celle-ci lui demanda ce qu’il pensait de l’idée d’y ajouter quelques graines de Mioül pour en adoucir le goût.

— C’est une bonne idée, salua-t-il. Le Roi a eu du flair lorsqu’il est venu te chercher dans le fin fond de ton village, tu ne cesses de me surprendre, et pourtant j’ai de la bouteille ! Tes bonnes idées me rafraichissent.

Il partit d’un grand rire franc en ajoutant dans mon bol une généreuse pincée de grains dorés.

On dirait du maïs soufflé…

Sa jeune homologue piquait un fard. Sans rien dire, elle se pencha sur ma cuisse tel un automate.

— Ce bandage… , dit-elle après l’avoir tâté et reniflé, c’est une des nôtres qui te l’a donné ?

— Oui, croassai-je, une femme avec un bandeau comme le vôtre.

Son regard était appréciateur.

— Elle est imprégnée. Travail de qualité… La douleur de la morsure a dû s’estomper presque immédiatement.

J’affirmai d’un hochement de tête.

— Je vais tout de même la retirer, mais je te la remettrai par dessus mon cataplasme.

Elle ouvrit une boite en porcelaine qui contenait cette même pâte vert clair qu’elle avait étalée sur Myosotis. Elle m’en badigeonna généreusement.

— Tu lui as résisté.

Hein ?

Se doutant que je ne comprenais pas, elle précisa sa pensée.

— Le Brumeur, son appel, sa pression pour que tu lui cèdes… Tu lui as résisté. J’ai tout vu, de loin. Ça n’est pas commun.

Qu’est-ce que je suis sensée répondre à cela ? Merci, mais j’ai malgré tout une sensation d’échec car j’ai subi une intrusion ?

— Tu dois être quelqu’un de tenace.

Pas particulièrement, pensai-je en grimaçant.

— Si ce Brumeur ne t’avait pas touchée, ce serait toi la petite veinarde couronnée, déposa-t-elle avec douceur.

— Moire ! siffla son ainé.

Elle pâlit en scrutant vite fait les alentours.

— Pardon Gaët, je n’ai rien dit.

Me défiant du regard, elle devint mordante.

— Je n’ai rien dit.

— Je n’ai rien entendu, assurai-je.

Mais je vois maintenant cette morsure d’un œil moins négatif.

La jeune Guérisseuse n’en finissait pas de mâchouiller sa lèvre inférieure et acheva de me soigner en silence. Quatre bras me redressèrent le temps que j’avale le contenu du bol cuivré - ça n’était pas particulièrement bon, mais ça se buvait sans haut-le-cœur. Quand je revins à ma position allongée, un irrépressible désir de fermer les yeux me gagna. Ce coup-ci, j’en étais convaincue, j’allais sombrer, et aucune voix, qu’elle soit grave ou aiguë, ne saurait rien y changer.

— J’espère que tu es honnête et que je ne regretterai pas de ne pas t’empoisonner sur-le-champ pour m’assurer de ton silence, chuchota un filet de voix nerveuse à mon oreille.

Le sommeil m’emporta avant que je ne puisse offrir la moindre réaction à cette menace à peine voilée.

 

****

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Fhuryy
Posté le 01/10/2024
Je me suis laissée happée par le chapitre, qui a un rythme assez similaire à ceux pleins d'actions, mais avec de nouveaux personnages. Et j'ai adoré les guérisseurs ! Je suis super curieuse vis à vis du balafré aussi !
Il y a beaucoup, et je ne serais pas contre un chapitre plus long pour amener le tout avec un petit peu plus de fluidité, mais j'aime beaucoup la base en tout cas !
J'aime toujours pas Eryn xD
On se retrouve au prochain chapitre !
Lily D.P.
Posté le 01/10/2024
Toi aussi ^^' Et bien... Je l'ai déjà noté dans mes notes de corrections :p je pense que je n'y couperai pas ^^' Pour encore rallonger cette histoire pour laquelle j'étais partie en mode "un truc court". ^^' (En vrai, j'ai toujours du mal à faire court.)
Les Guérisseurs reviennent plic ploc dans l'histoire :)
Fhuryy
Posté le 02/10/2024
En vrai, c'est presque du chipotage, mais si c'est plus fluide, les gens se perdront un peu moins ❤️
(J'ai voulu limiter mes chaps en taille, résultat je le dépasse a chaque fois xD)
itchane
Posté le 27/08/2024
Hello Lily,

je suis d'accord avec Ophelij, il se passe plein de choses dans ce chapitre, au point que parfois on se demande s'il ne vaudrait pas étaler un peu les différents évènements qui se télescopent pas mal je trouve et rendent les situations peut-être moins riches que ce qu'elles ne méritent.
Par exemple ici je trouve qu'Eryn est peut-être un peu trop clichée dans ses réactions, elle est vraiment détestable au premier degrés, c'est difficile à comprendre, surtout si l'on se contente de ne montrer que ces moments-là, ceux qui ne la mettent pas en valeur.
Warner aussi mériterait peut-être que l'on s'attarde un peu plus sur lui et son rapport à Eryn et à cette fameuse Emma. Sans révéler plus de choses, mais simplement en l'amenant plus progressivement peut-être ?

Je ne sais pas, ce chapitre m'a semblé un peu "fourretout" alors qu'il contient tellement de choses importantes ! Il y a Eryn, il y a Warner, il y a les guérisseurs, l'arrivée de nouveaux et d'anciens personnages, tout cela en un chapitre, cela fait beaucoup je trouve, du coup j'ai un peu moins accroché que les précédents car je peinais à me sentir émotionnellement embarquée.

Et à la fin je n'ai pas compris cette menace d'empoisonnement. Ce serait juste pour avoir parlé du choix de la reine ? Cela tombe un peu bizarrement, au point que je me suis demandé qui chuchotait, si ce n'était pas un nouveau perso.

Bref, j'ai quand même pris beaucoup de plaisir à lire tout cela hein, c'est agréable d'en apprendre plus sur le monde et tout, mais clairement j'ai été un peu dépassée par le bloc que représente ce chapitre ^^"

Par ailleurs, j'ai toujours autant hâte de découvrir la suite ! J'ai vu que le chap. 9 était posté, j'y vais ! : D
Lily D.P.
Posté le 30/08/2024
Ôla,
Merci de ton commentaire ^^

Oui, je lis vos retours, comme mis à Ophelij, j'ai été fort - trop - dans la retenue avec ce chapitre. Comme c'est la situation initiale, je n'ai pas osé trop dire... ^^' Je verrai comment l'étendre sans trop rallonger. C'est pas évident, l'équilibre :p

Par rapport à ton retour sur Eryn, je ne sais pas trop quoi faire. Je suis partie de l'idée que le narrateur, c'est Luce (ce n'est pas un narrateur omniscient). Donc, je ne peux raconter que des choses vues, entendues ou vécues par Luce. Et ces deux-là, pour des raisons qui leurs sont propres, elles ne peuvent pas... se piffer, être en harmonie, se supporter. Je peux peut-être ajouter un moment où elle est prévenante à l'égard de Warner sur la couchette. Ce serait facile à mettre je pense. Je garde la remarque en mémoire, j'espère réussir à rééquilibrer cela.

Emma, elle... C'est un petit mystère qui ne sera résolu que plus tard. Dans cette idée que tout passe trop vite ici, je peux peut-être allonger le moment où Warner l'évoque - émoticône réflexif. Dans le chapitre suivant, une petite lumière est faite. Je me demande si un lien ce fera où si je devrais le mettre en lumière via Luce... - nouvel émoticône réflexif.

Je note d'un peu plus développer la menace. Je propose une idée dans mon retour à Ophelij juste en dessous. Un échange entre les 2 guérisseurs quand l'homme rabroue la femme. Peut-être que ça pourrait mieux éclaircir.

Merci pour ton retour. J'aurais du boulot en réécriture par ici ^^' Je m'auto-courage.

À bientôt, par ici ou par chez toi (je sors un peu le nez de mon rush, même si je dois encore trouver mon rythme avec la reprise du boulot) ;) .
Ophelia
Posté le 12/08/2024
Coucou ^^

Encore un super chapitre où l'ont en découvre un peu plus sur l'histoire même s'il reste plein de choses à découvrir.

Hâte de continuer ma lecture <3
Lily D.P.
Posté le 30/08/2024
Merci ^^
<3
Ophelij
Posté le 09/08/2024
Hello !

Chouette d'entrer enfin dans cet autre monde et d'en observer l'agitation plus quotidienne ;-)

J'ai dû relire le passage plusieurs fois et revenir sur le chapitre précédent.

Le comportement de Warner qui se mêle aux vivats (comportement grégaire de joie qui semble indiquer une adhésion à la nouvelle société ? ), et qui apparaît ensuite comme cela dans ton chapitre :
"Pourtant, cet homme que j’avais jusqu’ici trouvé fiable et réfléchi s’était comme… éteint. Le teint gris, il paraissait terrassé."
-> cela m'a invité à penser au début qu'il était pris d'une sorte de transe (comme celle dans le bus, où les passagers sont privés de leur libre arbitre) Cette impression a été ravivée lorsqu'il parle d'Emma et qu'il évoque son angoisse de l'oublier comme s'il se sentait progressivement privé de lui-même.

Mais il semble si triste pour Eryn (comportement non grégaire en opposition avec la nouvelle société - de même le fait qu'il parle du campement de fou... Plusieurs choses indiquent qu'il conserve un oeil très critique sur tout ce qui se passe).

Le passage où Warner parle d'Emma est très saillant. Tu y introduis une nouvelle intrigue, un nouveau personnage alors qu'il s'agit peut être d'un moment de deuil sur le monde passé ?

Le passage de Warner et Luce dans le village "Il y eut de nouveau ce signe tracé dans les airs qui ne m’évoquait rien de connu, il y eut aussi quelques crachats - très peu, mais même un, c’était déjà de trop." pose aussi plein de questions.
Ce ne sont pas des actes anodins de se faire cracher dessus et je pense que cela mériterait de le décrire dans une scène, est ce que Warner réagit ou pas ? Et l'héroïne est ce qu'elle laisse faire ou pas ? Et surtout pourquoi ? Il est suggéré que le fait d'avoir été "souillé" par le brumeur en est la cause, mais je pense que cela mériterait d'être formulé plus clairement, ou bien si tu ne veux pas le dire tout de suite, l'héroïne devrait se poser la question ? pourquoi se fait elle cracher dessus ? (celle qui se fait violée par le roi est admirée/respectée/crainte et celle qui se fait violée par le brumeur est rejetée.) Si l'héroïne ne se pose pas la question, un autre personnage - Warner ou Eryn - devrait s'étonner qu'elle ne se pose pas la question...)

La "connexion" entre la soigneuse et l'héroïne, la promesse de silence "à la vie, à la mort". Là aussi il se produit quelque chose de très intrigant dans ce contraste si marqué entre la défiance et la sympathie ou l'admiration. Est ce que c'est si grave que ça de suggérer que le choix du roi aurait pu être différent ?

A ce stade je me pose plein de questions sur les personnages principaux, leurs observations, état des faits, les douleurs, les blessures, les émotions, les doutes, les peurs, est ce qu'ils se demandent où sont les autres ou bien est ce qu'ils n'y pensent plus (où en est tout notre petit monde de ce qui reste des passager du bus). Il y a un avant et un après la cérémonie. Est ce qu'ils pensent à l'avant d'être entrés dans ce bus orange?

Je pense que c'est un chapitre très riche qui mériterait peut être d'être déployé sur plus de chapitres pour permettre à ton intrigue de se développer. On ne s'ennuie pas, donc je pense que tu peux te permettre de décrire un peu plus.
Lily D.P.
Posté le 30/08/2024
Coucouuuu !
Je suis vraiment vraiment désolée de te répondre seulement maintenant. J'ai été happée et débordée par ma vie IRL, avec divers chantiers en cours autant dans le privé qu'au boulot ; pour tenir bon, j'ai un peu mis - tristement mis - PA de côté. Je dois encore trouver mon rythme, mais le pire est passé - pour le moment, ahahah ^^'.

Merci pour ton commentaire.
Je prends note de cette dissonance que tu ressens dans le comportement de Warner. Je pense que je vais modifier cette dernière phrase dans le précédent chapitre et juste écrire qu'il observe intensément Eryn pendant que le reste de la foule scande " Vive la Reine ! ". Mon idée était de faire passer qu'il cherchait à soutenir cette jeune femme qu'il aurait voulu secourir mais qu'il a vu à la place subir quelque chose de terrible et ce, de manière impuissante.
La partie avec cette mystérieuse Emma est censé prendre sens dans le chapitre suivant - 9. Si ce n'est pas le cas, il faudra alors que j'ajoute une phrase quelque part. Toutefois, Emma restera un petit mystère qui ne sera élucidé que plus tard. Je n'ose répondre à ta question de crainte de spoiler. ;) Mais elle est pertinente.

Je prends bonne note de ta remarque - que je trouve très juste - sur leur traversée de la foule jusqu'au poste de soin. Dans mon journal de réécriture, je vais me laisser comme consigne de plus détailler cette partie. J'ai déjà une idée - merci à toi <3 tu as encore stimulé mon imagination pour approfondir et améliorer mon histoire. Je vais développer le personnage de la femme qui leur indique le chemin avec un petit vieillard qui crache et amener à mieux comprendre ce qui pose problème avec ce mystérieux Brumeur. Il faudra juste que j'évite une redite avec un chapitre un peu plus loin où intervient ce Brumeur de manière directe. Soit, ce sera ma popote.

Est ce que c'est si grave que ça de suggérer que le choix du roi aurait pu être différent ? --> Ca indique une remise en question du Roi. J'hésite sur ce que je dois faire... Laisser cela ainsi ? Peut-être... Peut-être que son collègue pourrait ajouter, quand il la reprend, un petit truc du style "Je ne veux pas d'ennui, nous plus que quiconque devons faire partie de ses fervents partisants, on en a déjà parlé ! (Un truc du genre...) Est-ce qu'ainsi ça te semble plus cohérent ?

J'ai été fort dans la retenue avec ce chapitre. Trop apparemment. C'est que, ce n'est que l'entrée, la situation initiale. Je n'ai pas osé trop dire... ^^' Je verrai comment l'étendre sans trop rallonger cette première partie. C'est pas évident l'équilibre :p

Mille mercis Ophelij <3
À bientôt avec plaisir, par ici ou par chez toi.
Vous lisez