La cité des ingénieurs (Chap. 5) : Les savants galactiques

Par Cyrmot

 

Avec Samir et Erwan on s'était dit qu' on serait des grands scientifiques plus tard. 

Mais pas n'importe lesquels, pas des mecs coincés à lunettes ou des chauves à barbe sapés comme des clodos, dans des boui-bouis de clodos. Plutôt des scientifiques genre professeur Procyon dans Goldorak, avec des labos stylés, et des recherches ultra-technologiques.

C'était sorti comme ça un soir d'avril en CM2, en revenant du terrain de foot. On s'était assis vers le bac à sable, Samir nous racontait l'émission qu'il avait vue la veille avec ses parents sur FR3. Ça parlait du programme Ariane, et des avancées de la conquête spatiale; on était un peu en retard en France mais notre fusée c'était du solide, peut-être qu' on pourrait bientôt envoyer des hommes sur une autre planète. 

— Ils ont même dit qu'en 1990 on pourrait voyager jusqu'à Jupiter, ou plus loin derrière je sais plus. 

Personne ne l'avait regardée son émission, et on trouvait ça bizarre quand même, Erwan demanda s'il avait pas confondu avec Il était une fois l'espace, le dessin animé. C'est vrai qu'ils progressaient super vite là-dedans, même qu'au générique de fin la planète finissait en explosion nucléaire, et ils dansaient la ronde autour tranquilles en scaphandres, genre tout va bien nous on a un vaisseau on déménage où on veut. 

—  Mais non je te parle pas de ça, c'était une émission de grands,  et mon père il m'a expliqué aussi qu'on aurait une navette nous aussi bientôt, mais il paraît qu'ils la construisent dans un souterrain en Algérie, à cause des espions Russes, et les Américains aussi ils savent pas où elle est.

J'en avais aussi entendu parler de ce programme de navette française, et c'était plutôt une bonne nouvelle, parce qu' Ariane c'était sympa mais bon, c'était quand même une fusée toute maigre qui envoyait rien que des satellites, en plus elle ne  servait qu'une fois. Je me demandais même si un astronaute pourrait tenir dedans, mais il serait tout en long alors, et sans pouvoir bouger. Pour le coup on était encore loin de Star Trek ou même de la fusée de Tintin. Et rien que pour se poser sur la lune par exemple c'était pas possible, il aurait fallu des sièges éjectables et envoyer aussi d'énormes caisses avec une nouvelle fusée à remonter pour repartir. 

Pareil les USA, depuis la mission Apollo il y avait eu quoi à se mettre sous la dent, des pelletées de satellites, des sondes rikiki lancées tout droit dans le vide, une station minus à deux cent kilomètres au-dessus de nos têtes, et puis basta. Deux cent kilomètres, en gros un aller Paris-Loir-et-Cher, et même leur navette elle restait juste en orbite quelques jours puis elle se rentrait. 

Bref, niveau conquête spatiale, 1984 on était encore arriérés. Des extra-terrestres seraient passés cette année, sûr qu'ils se seraient foutus de notre gueule. Ils nous auraient pris pour des gros paysans, avec nos trajets de campagnards et nos fusées du tiers monde.

Ces braves terriens, ces gros paysans, ces sous-développés de l'espace. 

— Ouais mais c'est pas fini, y'a plein de programmes en ce moment, et y a les japonais aussi, si ça se trouve ils sont en train de fabriquer un big vaisseau en loucedé,comme dans Sankukaï!... Moi je dis bientôt on se posera partout sur les planètes ! 

— Mais ça serait bien qu'ils bossent pour faire une base aussi.

—  Une base? 

— Ben oui, une base spatiale comme dans les légospace. Genre pas juste on se pose, mais on vit là-bas en vrai.

 Les yeux de Samir s'étaient agrandis peu à peu. Ah mais ouais… Il avait fait ensuite dans un souffle.

—  Mais tu sais une base style avec un dôme en verre et tout, j'avais repris. Et puis des grands couloirs avec d'autres dômes, et puis…

— Mais ça veut dire quoi on vit là-bas en vrai, avait alors coupé Erwan. C'est genre on y habite tout le temps?... Parce que y'a rien à faire sur les planètes, tu marches à deux à l'heure dans ton scaphandre et tu ramasses des cailloux toute ta vie, c'est nul. 

— Mais non t'as pas compris, nous on reste dans la base avec nos habits, on fait des calculs, on construit des navettes, on réfléchit aux étoiles, ce genre de trucs.

— Et on installe des robots, et plein d'ordinateurs pour nos recherches aussi, ajouta Samir avec enthousiasme. ça avait bien l'air de lui plaire cette idée de base, il commençait à parler avec les mains, c'était souvent signe que des idées se mettaient à dévaler dans sa tête. 

— Ah ok… La moue d'Erwan s'estompa légèrement. Mais c'est quoi notre métier alors ?

— Je sais pas moi, je repris. On est des savants, voilà. 

— Des savants?

—  Oui, des savants de l'espace, un truc comme ça.

— Mais ça existe ça?...

— Bien sûr ça existe, assura Samir en se levant du banc et en agitant à nouveau les mains.  Ils en parlaient dans l'émission aussi je crois, c'est les savants galactiques. C'est le top des profs de maths eux, ils sont payés un million de dollars pour faire des inventions, style des vaisseaux et tout!

Erwan lui demanda alors combien il fallait avoir de moyenne pour passer savant galactique, parce qu'au collège paraissait que c'était autre chose les maths, avec des x et des grosses calculatrices.

— Mais y'a des écoles spéciales à Los Angeles, c'est les centres galactiques je crois, tes parents ils font une lettre et après tu fais tes études avant de partir. Imagine, t'as la tenue classe métallisée dans la fusée et tu parles américain avec la tour de contrôle. Au début on fait les tests sur la lune et après on fait la base sur Mars direct. 

 Erwan le regarda en silence. Les yeux de Samir brillaient, comme si les réacteurs de la fusée s'étaient déjà allumés. . 

— Et pour les vitres de la base on fait comment, il faudra faire gaffe non, fit Erwan au bout d'un moment. Avec le décollage ça peut tout faire péter.

— On prendra de l'arcopal, comme dans  la pub avec l'éléphant qui marche sur des verres. 

J'étais sûr de moi à ce sujet, une fois j'avais fait tomber un saladier arcopal du sixième étage de chez mon oncle sans faire exprès et j'avais halluciné il s'était pas éclaté en bas.  

— Et pour manger aussi, faut une deuxième fusée derrière nous aussi. Avec des grands frigos et tout, pour tout ce qui est yaourts et steaks hachés, et si on veut du coca frais aussi, parce que tiède c'est dégueu. 

Erwan avait continué à dérouler sa liste de courses, Samir comptait quant à lui le nombre d'écrans vidéo dont on aurait besoin. Ça commençait à prendre une bonne tournure ce projet ; après quelques minutes on s'imaginait déjà installés, Samir et moi parcourant la base spatiale flambant neuve d'un dôme à l'autre, sur des mini-pods aéroportés, et discutant de nos recherches le nez dans la galaxie. Erwan en arriva lui à la conclusion de prendre un supermarché comme sponsor, ça serait plus simple pour le ravitaillement. Tous les mois une fusée Mammouth qui se pose et hop, le tout débarqué et bien rangé par les robots qu'il aurait programmés. 

En rentrant chez moi le soir j'avais ressorti tous mes légos pour faire une première version de la base, selon Samir je pourrais faire quelques photos et les envoyer directement à Los Angeles, ça pourrait servir pour l'inscription. Peut-être même une aussi à l'Elysée, pour que le président mette un coup de pouce au programme de la navette française. Samir s'occuperait de dessiner les tenues, Erwan d'organiser le transport des vivres. 

 

On était des grands à cette époque, les plus grands de l'école primaire. Et devenir les plus grands des scientifiques ça nous avait paru normal, vu qu'on y avait pensé. À peine six mois plus tard, rien que l'idée d'être dans les vingt moins nuls de ma classe me paraissait maintenant beaucoup plus difficile, voire hors de portée. 

Le collège était une planète hostile et sans attrait, j'y manquais d'air et de vitalité ; quant aux projets n'en parlons pas, la fin de l'enfance avait instantanément tout congelé.

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