Les jardiniers sont venus et l’ont coupé hier, taillant dans l’air un rectangle de vide, où serpentait indolentes ces lianes au goût amer, arrimées au grillage en croisillons d’acier tressés. Et en tas, tape à l’œil pour certains, invisible pour d’autres, s’amoncellent les nattes de verdure, vert tendre de ces feuilles victorieuses et déchues.
« Va chercher de quoi en tisser des couronnes pour décorer festive notre tablée pascale de cette glorieuse Semaine Sainte » injonctif de deux yeux bleus très pieux à sa fille qui l’est moins.
Il n’est plus si tôt le matin, je chausse les tongues de mon frère et sors pour apaiser ce regard, acquiesçant, attristé par l’état de mon âme insolente.
Clic-clac
Sur mon dos nu le soleil ramène à la vie, minutieusement, périmètre après l’autre, chaque parcelle de ma peau. Neutrons si doux, en harmonie et symbiose, en pleine communication avec l’arrondie de mes épaules.
Clic-clac
Du granulé de la route, de l’emmarchement du trottoir puis de celle du parking, mes orteils entre soudain en collision avec la rosée fraichement déposée sur le gazon résidentiel. Soudain consciente de mes pieds, je les observe mes sens en éveil. Trop petits pour ces sandales rudimentaires, à chaque pas mes orteils en leviers retiennent la large semelle, se recroquevillant sur eux même, et clac sur mon talon le caoutchouc fautif entraîné par ce mouvement rotatif. L’effort demande peu d’énergie, et la force qui lui est consentie est faible pour un tel résultat.
J’en demeure émerveillé. Car en flot resurgissent les souvenirs de petite, les pieds plus potelé, qui avec la même obstination minutieuse, s’en aller cliquetant, emportant dans un rire, de grandes tong d’adultes amusés. M’éloignant trottant, courant par-delà ces entraves de plastique, la lanière entre le « gros pouce » et le « grec » trop épaisse pour moi, brûlant la fine peau de bébé, j’étais le clown de cet instant, aux abords grillonant de cette piscine estival. Sans tomber, avec adresse, j’attendais qu’un de ces adultes de paresse, d’allongé se dresse, quittant, pour l’étuve, l’ombrage de ses ombrelles azalées, afin de me rattraper.
Clic-clac
Un chien roux gros comme un porcelet m’agresse de ses grognements, tournant autour de moi, agressif et vindicatif. Une voix efféminée le rappelle. Le chien stupide s’appelle Martine, c’est le même que dans mes illustrés d’enfant, mais en plus bête et vivant. Elle m’adresse en excuse qu’il déteste quand des étrangers viennent fouler l’herbe verte, octroyant caninement le caractère de ce territoire à ses quatre courtes pattes velues. D’un sourire forcé un peu méprisant, décidément je n’aime pas les chiens, surtout bien idiot comme le tien, je retourne à mes pensées.
Me voici devant l’amoncellement de branchages fauchés à leur printemps. Je me baisse, ramasser ces restes de splendeur, j’aurais dû prendre un sécateur. De nouveau dérivent les souvenirs, cette fois-ci de ma Grand-mère défunte. De sa lointaine Normandie, elle était une fois venue jusqu’ici. Quelle présence incongrue ! Au milieu de ces immeubles policés, sa frêle carcasse contraste et rappel les vents sifflant des manoirs craquant des terres humides des bocages normand. D’à peine un mètre cinquante, encore tassée par l’âge, prénommée Ma Tome, dérivé du temps où Tom Pouce pouvait lui être adressé sans manquer de respect, ma grand-mère avait très fier caractère. Dépossédée de tout bien matériel, méprisant tout surplus qui aurait pu s’amonceler à l’abri de ses vielles pierres, aigries par principe jusqu’à la pensée, elle était le modèle d’une vie simple et dévouée à une forme de frugalité.
Ce tas de laurier fauché ruisselant d’une odeur acidulé me l’évoquait avec force et credulité.
Car à cette visite si atypique, quand j’y réfléchis certainement pour Pâque aussi, nous avions ensemble, durant une ballade toute familiale, ramassées sur notre chemin des tas d’humbles tiges comme celle-ci. Garnissant à la fin nos mains d’un bouquet atypique de feuillage majoritairement déconsidéré. Sorte de Ready-made, des latrines Duchamp fit une œuvre, d’herbes folles nous fîmes un bouquet prêt à être contesté.
Sa belle-fille a par ailleurs secrètement désapprouvé la grossièreté de cet esthétique, mais l’accepta par bonté pour satisfaire son lien allié de parenté. Odorant l’humus et la mousse, sur la table blanche immaculée, le ramassis de branchages oubliés des vieux murs ombrées, gisait festoyant comme centre de table au côté des mets les plus fins préparés en l’honneur de notre reine, belle pomme ridée d’une cave oubliée, yeux pétillants d’azur. Se servant du foie gras comme d’un pâté grossier campagnard, je surpris avec étonnement qu’au final, Bonne maman pouvait avoir de l’appétit et savait s’adonner aux délices du palais !
Clic clac
Clac clic font les pensées grippées !
Fagoté, je l’ai déposé sagement, ce glorieux laurier, au niveau du balcon, pour éviter de parsemer partout de la terre dans l’appartement si impeccablement retourné et lavé par ses deux yeux pieux et bleus, aguerris et sensible aux détails embellis de la vie.
juste deux petites fautes à signaler : une voix efféminée le rappel-LE & Va [sans s] chercher (au présent de l'impératif VA ne prend pas de S) !
Mais, ce n'est qu'un détail devant la beauté de l'enchaînement des mots. je continue le chapitre suivant !
je dois avouer que plus je lis et plus je m'étonne. je m'étonne parce que ce texte, encore plus que "Caléidoscope nocturne",relève plus de la sensation que de la lecture. je n'ai jamais ressenti aussi puissamment une scène à laquelle je n'ai jamais assisté. j'admets aisément que le sens total de certaines phrases m'échappe, comme : "Sans tomber avec adresse, j’attendais qu’un de ces adultes de paresse d’allonger se dresse, quittant, pour l’étuve, l’ombrage de ses ombrelles azalées afin de me rattraper.", mais je comprends quand même tout. En fait, ce n'est pas une question de compréhension, c'est une question de saisissement.
Je ne sais pas comment vous fonctionnez pour écrire des phrases qui tombent comme des respirations. Certaines phrases n'ont pas de place dans la langue française, parce qu'il n'y a ni syntaxe ni sens, mais ce n'est pas si grave. Elles vivent, et ça c'est important.