La décision

Par Carvage
Notes de l’auteur : Suite du prologue

 

Je ne sais pourquoi, mais j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette scène.

Assise sur le rebord d’une fontaine à l’entrée de la bibliothèque, j’attends. L’écoulement de l’eau trouble à peine la surface du bassin, le son produit demeure paisible et continu. Je fixe mon reflet, et en particulier mes yeux. Une part de moi s’attend à y voir autre chose que mon visage.

Las de ce souvenir qui ne veut revenir, mon regard se perd parmi les lilas et jonquilles qui parfument les parterres du jardin. Entre ces sons et odeurs, j’en oublie presque l’agression que je viens de subir.

Presque.

Car mon sang bouillon encore. Je suis à la fois soulagée d’avoir survécu, et envieuse de reprendre ce combat, ne serait-ce que pour interroger l’homme qui m’a attaquée.

Je jette un œil vers les portes closes de la bibliothèque. À l’intérieur, on discute à propos de mon agresseur. Surtout, on s’apprête à décider de mon sort. Gorion est en pleine discussion avec Ulraunt, le gardien des écrits.

Un sentiment de déjà vue me revient encore, et je m’attends à voir Ulraunt ouvrir en grand les battants et me jeter un regard de haine. Oui, je le vois déjà paré de sa magistrale robe grise venir m’annoncer la sentence.

Hull apparait dans le jardin, avec un air plus réveillé que ce matin :

« Comment te sens-tu ? » me demande-t-il.

J’ai bien envie de lui hurler de m’ouvrir la porte de la bibliothèque afin d’interroger Gorion. Le vieux connait certainement la raison de cette attaque. Mais Hull n’a pas plus d’autorité que moi dans cette citadelle. J’opte pour une réponse plus aimable : « Bien, Parda a guéri ma blessure. Ma tunique reste trouée et salie de sang, mais je ne ressens plus rien.

— C’est une bonne nouvelle. » Il vient auprès de moi et s’appuie sur son bâton.

Il a des choses à dire, mais en bon garde, il attend que je le questionne un peu. Pas question de le décevoir : « Sais-tu à quelle sauce je vais être mangé ?

— Tu sais bien que je ne suis pas convié dans le secret des magiciens. Mais, il faut que je te demande. As-tu volé ou seulement vexé quelqu’un d’important ?

 — Comment aurai-je pu faire une telle chose ?

— Je parle sérieusement. Je connais tes petites manies, ce n’est pas forcément méchant, tu ne veux que chaparder. Mais il y a des visiteurs qui à Château-suif peuvent s’avérer particulièrement… arrogant. »

Sa question me vexe. Il ne me sermonne pas à propos d’une petite espièglerie. Il me soupçonne d’un véritable méfait, sans oser me le reprocher. Perturbée, j’essaye d’y voir plus clair :

« Non Hull. Winthrop m’a toujours dit d’éviter d’aller au-devant d’ennui trop important. Et je m’en serai rendu compte si je m’étais attaqué à quelqu’un de réellement menaçant. Pourquoi crois-tu cela ?

— Car l’assassin te visait toi en particulier. Et… il n’était pas seul.

— C’est certain ? » Alors que mon anxiété retombait, mon sang s’agite de plus belle.

« Oui, reprend Hull. Nous avons capturé un autre intrus. Le Portier se souvient de l’avoir vu passer il y a une semaine, il accompagnait juste un ravitaillement. Mais il n’aurait pas dû rester. C’est visiblement le frère de celui qui t’a attaqué.

— Vous l’avez interrogé ?

— Mieux. Tethtoril l’a soumis à un sort de contrôle mental. L’homme a avoué s’appeler Carbos. Et son frère que tu as tué se nommait Shank.

— D’accord. Mais ça ne dit pas pourquoi il m’en voulait.

— Ce sont de vulgaires assassins. Des mercenaires, payés pour tuer sans poser de questions. Ils ne connaissent pas leur employeur. Tout ce que Tethtoril a pu en tirer d’intéressant, c’est qu’ils ont rencontré leur recruteur à la taverne de l'Esturgeon Sautillant, à la porte de Baldur.

        — Voilà qui me donne une première direction vers où chercher.

        — Quoi ? Tu crois bientôt partir ? »

        Les portes de la bibliothèque s’ouvrent brutalement, et surgit alors, Ulraunt, paré de sa magistrale robe grise. Hull est surpris et se met presque au garde-à-vous. Tandis que Hull repart en faisant mine d’être en pleine ronde, je reste assise et fixe le gardien des écrits. Il affirme constamment son rang par sa robe brodée d’or, le torse recouvert d’une page d’écritures sacrées. Sous son capuchon gris, il me jette un regard dédaigneux. Comme si j’étais un animal incapable de le comprendre, il s’adresse à quelqu’un derrière lui :

« Vous êtes libre de sceller votre sort comme bon vous semble. Mais il est hors de question que vous ameniez le meurtre et le sang en ce lieu saint. »

Gorion apparait alors, le visage résigné : « Jamais, répond-il à Ulraunt. Jamais je n’ai amené le mal ici et jamais je ne l’ai attiré. » Ulraunt semble prêt à répliquer. Gorion ne lui en laisse pas le temps : « Je vous le redis, votre décision est aussi la mienne, ce qui vient de se produire ne fait que l’accélérer. »

Le gardien des écrits hausse les épaules et se dirige vers moi. Encore un souvenir m’anime tandis que le visage âgé d’Ulraunt me fixe avec haine : « Disparaissez d’ici, me dit-il à la manière d’un anathème lancé contre un démon. Ces lieux ne sont plus votre foyer, nous ne vous accueillerons plus. Vous partez dans l’heure. »

Je m’efforce de soutenir son regard. Heureusement, il fait demi-tour et passe à côté de Gorion. Ce dernier, sans se retourner, lui adresse une dernière parole : « N’oubliez pas que les écrits d’Alaundo le sage sont aussi une source d’attrait pour le mal. » Ulraunt ne réagit pas, il disparait derrière les portes de la bibliothèque qui se referment sous l’effet d’une magie invisible.

Gorion avance vers moi, lentement. Son regard brille d’une lueur que je ne parviens à comprendre. Je me redresse, le cœur serré, partagée entre angoisse et impatience.

« Tu as entendu le gardien des écrits, dit Gorion avec une pointe d’ironie. L’ordre est donné. Mais si cela peut te rassurer, c’est une sage décision. Prise pour de mauvaises raisons, mais pourtant nécessaire. »

Je ressens tout mon être vibrer. Ce n’est pas le départ joyeux que j’imaginais. Mais j’y suis enfin.

« J’imagine que tu as mille questions, poursuit Gorion. Et j’y apporterai réponse le moment venu. Dans l’immédiat, il te faut préparer tes affaires pour le départ. Nous parlerons au cours du trajet. Contente-toi du strict nécessaire. »

À partir de cet instant, j’ai l’impression de flotter dans un rêve. Chacun de mes gestes et pas me paraissent fébriles, mais je ne tremble pas. En quelques instants, je me retrouve dans ma chambre. Mes affaires pour le voyage sont déjà prêtes. Pas de tunique rose pour mon départ, ce ne serait pas sérieux ; je serai bien trop repérable en pleine nature. J’ai opté pour une tunique grise, plus discrète. J’attrape mon carquois et mon arc court. Je glisse une petite dague dans ma botte droite.

En redescendant, apparaît un obstacle de graisse et d’amour : Winthrop se met en travers de mon chemin. Avec sa bouille de gros enfant, il me dévisage l’air triste :

« J’ai toujours su que ce jour arriverait, parvient-il à dire avec contenance. Mais j’espérais qu’il se fasse dans de meilleures conditions. »

Je ressens bien un pincement au cœur. Mais trop de questions m’animent pour que je parvienne à m’émouvoir davantage. Aucun des discours d’adieux que j’ai imaginé ne me revient. Ma réponse est des plus bêtes :

« J’ai pensé exactement la même chose. Tu vas me manquer mon gros-plein-de-soupe ».

De ses gros bras potelet, l’aubergiste m’enlace :

« Ne t’en fais pas, me dit-il. Gorion est un homme sage. Il sait ce qu’il fait. » Il me relâche et essuie une larme : « Viens, j’ai quelque chose à t’offrir. »

Je le suis jusqu’au comptoir. Il sort d’en dessous une besantine, toute brune de cuir clouté. J’éclate de rire et lui demande :

« Enfin tu te décides ! À combien veux-tu me la vendre ?

— Te la vendre ? se choque Winthrop. Tu crois qu’après tant d’années, alors qu’il y a tant de bandits et monstres en maraude dehors, je vais te faire payer quoi que ce soit ? Ce serait ridicule. »

 

 

 

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Toluene
Posté le 26/04/2019
Le Gardiens des écrits est vraiment une ordure. Je trouve qu'Imoen prend tout ça étonnamment bien... Jolie fin de chapitre avec un Winthrop attendrissant.<br />C'est sur que les vêtements roses ne sont pas discrets mais bon... Quand on a déjà les cheveux roses :P<br />Sinon il y a quelques coquilles qui trainent.
Carvage
Posté le 26/04/2019
Merci.
En effet il est dommage que le gardien des écrits (personnage central de Chateau-suif) reste aussi secondaire dans le jeu. En le réalité on ne le voit dans le jeu qu'au retour de Chateau-suif, où il est particumièrement désagréable ; et aussi dans un des rêve en rapport avec notre passé.
Je continu de relire à l'occasion, j'ai déjà repéré un "est" à la place d'un "et".
 
Sorryf
Posté le 25/04/2019
Oooh Winthrop m'a émue a la fin ! (ce qui n'était pas le cas du tout dans le jeu xD)
COMMENT CA IMOEN N'EST PAS EN ROSE ? SACRILEGE !!! C'est vrai que c'est pas discret, surtout pour une voleuse XD  
 
Carvage
Posté le 25/04/2019
ha le rose d'Imoen. J'ai hésité à vraiment le retirer... et je me garde encore le droit de le remettre.
Mais bon, il faut aussi que je lui donne un air plus sérieux !
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