La déesse du sommeil – Troisième partie (11.11.19)

Par Lutetia

Jour après jour, elle tentait d’essayer une chose nouvelle. Elle avait mis de côté les manières traditionnelles. Elle tentait ou plutôt testait toutes les idées qui lui passaient par la tête. Toutes n’étaient probablement pas approuvées par ses supérieures mais comme elles n’étaient nulle part en vue, elle s’en donnait à cœur joie. Personne n’était venu lui donner un coup de main après tout. Aujourd’hui, elle avait décidé d’assommer son humain. Pas l’assommer de paroles mais l’assommer tout court, lui faire tomber un objet assez lourd sur la tête pour qu’il perde connaissance. Alors seulement elle pourrait l’accompagner au pays des rêves enjôleurs ou à celui des mauvais rêves. Elle avait d’ailleurs bien envie de lui faire vivre un cauchemar après tout le mal qu’elle s’était donné. Seulement voilà, mettre ce plan à exécution n’était pas évident.

Pourtant elle réussit et son humain tomba tête la première en travers du canapé. Elle ne s’inquiéta pas du mal qu’il put ressentir. Assommé, il l’était et elle en était très heureuse. Elle attendit près de lui, assise sur le même accoudoir, qu’il s’endorme. Elle eut peur qu’il ne se soit réveillé parce qu’il bougea légèrement.

« Où suis-je ? murmura-t-il.

– Là où je voulais t’emmener, lâcha la jeune fille en pensant : ‘ENFIN !’

– Comment j’ai pu m’assommer … ? continua-t-il en se frottant la tête.

– Oh c’était plutôt facile tout compte fait. J’ai … »

Mais l’humain se releva et alla se verser une tasse de café, sourcils froncés, encore dans l’incompréhension. Judith n’en crut pas ses yeux. Elle l’avait assommé par la déesse ! Elle y était presque, elle l’avait senti. Oh mais elle était prête à recommencer. La prochaine fois, elle n’utilisera pas le manche du balais mais un objet bien plus lourd, il verrait ce qu’il verrait.

« La prochaine fois sera la bonne, tu verras mon bonhomme ! », se jura-t-elle.

Elle redoubla d’efforts. Trois jours après, elle fit en sorte que Jordi boive beaucoup et elle lui fit se prendre les pieds dans le tapis. Dans sa chute, il heurta une étagère et un bon gros livre lui tomba sur la tête. Elle ferma les yeux tout du long, parce qu’au fond, elle avait quand même un peu mal pour lui.

« Tu es avec moi ? » demanda-t-elle en lui tapotant la joue. S’il était dans l’état second dont elle avait besoin pour le guider ensuite, il devrait être en mesure de la voir.

« Avec qui ? Ah .. AAAH !! Mais qui êtes-vous ? s’écria-t-il, n’en croyant pas ses yeux.

– Quelqu’un qui doit t’aider à trouver le sommeil. Une fée du sommeil si tu veux. Même si bientôt je serais la déesse du sommeil », continua-t-elle en chuchotant. Son sourire était radieux. « Alors Jordi, comme ça tu rencontres des soucis pour t’endormir ?

– Comment le savez.. le sais-tu. Le savez-vous… quoi !? »

Le pauvre ne comprenait pas très bien ce qui lui arrivait. Décidément la jeune fille avait de grosses choses à accomplir avec lui.

« Réponds-moi simplement. Tu as des soucis pour t’endormir ?

– Oui.

– Pourquoi ?

– Si je le savais, je dormirais plus…

– Tu ne m’aides pas Jordi Swall.

– Comment connaissez-vous mon nom ?

– Je suis une fée, rappelle-toi.

– Les fées n’existent pas.

– Ahah, bien sûr.

– C’est une blague de mes potes, c’est ça ? Ils sont cachés dans l’appartement ?

– Si seulement c’en était une », répondit-elle agacée.

Elle lui fit signe de regarder plus bas. Lorsqu’il baissa les yeux, il découvrit son propre corps inanimé. Les yeux écarquillés, il s’écria, tremblant :

« Je … je suis mort ?

– Non, qu’est-ce que tu peux être stupide ! Tu es sur le point de t’endormir. Je suis sensée t’aider mais je ne sais pas si j’en ai envie finalement, bougonna Judith en croisant les bras.

– Aide-moi, fais quelque chose ! la pria-t-il en agrippant son bras. Je .. je ne veux pas rester mort …

– Tu n’es PAS mort, nom d’une clochette ! » siffla-t-elle en se débarrassant de sa main moite. Elle avait eu droit à un sacré numéro. « C’est la fatigue qui te met dans ce sale état ?

– Je ne sais pas ….

– Tu ne sais pas.

– Non ! » s’énerva le jeune homme. « Si vous êtes sensée m’aider, faites-le, j’attends !

– Ce serait plus simple si tu m’aidais à comprendre.

– Je ne sais pas comment j’ai atterri là.

– Moi je sais, j’ai fait en sorte que tu t’assommes et…

– Tu as quoi ?

– Mais ce n’est pas la question, laisse-moi finir humain !

– Humain… elle me traite d’humain la gamine ! répéta-t-il ironiquement.

– Raaah et puis zut ! Trouves le sommeil tout seul, tu m’énerves à la fin », lâcha-t-elle. Sa voix et sa volonté faiblissaient. « Ça fait des mois que j’essaye de te comprendre, j’y arrive pas ! Pourquoi tu ne dors pas comme tout le monde ? C’était sensé être facile, facile, tu comprends ?

– Non, pour le coup, je comprends rien du tout. Je suis pas mort et pourtant je flotte au dessus de mon propre corps », dit-il en la regardant. « Et j’ai l’impression que tu as la réponse. Expliquez-vous ‘fée’. »

Il n’avait pas dit cela comme un ordre, mais plutôt comme une invitation cordiale. Elle releva la tête, croisa son regard cerné. Il avait peut-être vraiment envie de comprendre. Elle lui expliqua quelle sorte d’être elle était et quel était son rôle. Il rigola plusieurs fois, ne la prenant pas au sérieux au départ. Mais plus elle racontait, imperturbable, plus il avait du mal à croire qu’elle inventait tout. C’était un peu gros.

« Alors comme ça, tu passes un examen pour devenir la potentielle future déesse du sommeil ? Je t’avoue que j’ai du mal à accepter ce baratin. Ce sont des histoires à dormir debout …

– Dormir, justement ! enchaîna-t-elle sans comprendre la subtilité de l’expression. Tu vois, on y revient ! C’est ça ton problème. Il faudrait que tu dormes.

– Comment j’ai fait pour dormir cette fois .. ? »

Elle lui pointa du doigts tous les éléments présents dans la pièce qui pourraient lui rappeler comment il avait pu en arriver là.

« Ah oui. Je vais avoir une sacrée bosse ... Si je me réveille un jour .. !

– Tu vas te réveiller.

– C’était une blague.

– Je ne parle pas cette langue.

– Toi aussi tu as des choses à apprendre j’ai l’impression », dit-il, le sourire aux lèvres. « Décontracte-toi. On y arrivera bien, va.

– Plus le temps passe, plus j’en doute. Tu n’as rien à voir avec tous les exemples qu’on m’avait enseignés.

– Peut-être mais si on s’y met à deux, on va régler ce souci.

– Tu veux m’aider … ? » chuchota-t-elle. Personne ne l’avait jamais fait.

Il hocha la tête, toujours souriant.

« C’est aussi ma santé qui est en jeu. J’ai tout intérêt à faire en sorte que ça fonctionne.

– Tu le fais pour toi alors, soupira-t-elle. Évidemment, pourquoi avait-elle pensé un instant qu’il voudrait l’aider, elle.

– Pour moi et pour toi. Tu es en plein examen ? Je sais à quel point c’est dur. Je n’en dormais pas.

– Tu ne dors toujours pas.

– Oui, mais avec ton aide, je vais dormir », la rassura-t-il en lui tapotant la tête.

Ils réfléchirent encore un petit moment. Elle ne savait pas si à son réveil, il se souviendrait de leur entretien. Il avait tenté de la rassurer et ensemble ils avaient mis au point une sorte de code. Elle lui avait donné les meilleurs conseils qui puissent exister et dont elle avait connaissance pour s’endormir. S’il n’y parvenait pas sous vingt-quatre heures, elle l’assommerait à nouveau. Comme il n’en avait pas envie, il lui avait juré qu’il ferait tout pour lui éviter tout ce travail. En la quittant, il avait promis qu’il se souviendrait.

« Après tout, j’ai une bosse pour me rappeler qu’une fée veille sur moi. »

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