Après quelques minutes de marche douloureuse, les deux jeunes filles atteignirent un pont scabreux, qui enjambait maladroitement le vide. Annie aurait tout donné pour ne pas s'y risquer mais Xia lui empoigna le bras avec force. Encore une fois, Annie faillit se faire avoir. La stature de Xia avait beau être fébrile, sa force en demeurait colossale.
Depuis que son secret eût jailli de sa bouche, Annie la trouvait plus rayonnante que jamais. Ses boucles flottaient derrière son passage comme un nuage caramel. Son pas évoquait la grâce silencieuse d'un cygne glissant sur l'eau. Ses yeux, dans l'ombre du matin, scintillaient comme deux étoiles et, bien qu'incomparables à son sourire, ils dégageaient une sensation de sécurité.
- Trêve de silence, lâcha-elle soudain, ce qui eut le don de faire sursauter Annie. Conte-moi donc toute ton existence. Qu'est-ce que tu fous ici, sérieusement ?
Pour toute réponse, Annie observa le pont sans rambarde avec anxiété. En dessous de lui, le néant. Une infinie brumeuse, clapoteuse et désastreusement effrayante s'offrait à son regard confus, soufflant sur le paysage un horrible sentiment d'inconfort. Là-bas, les nuages se faisaient et se défaisaient dans un mouvement perpétuel. Même à travers leurs dentelles vaporeuses, ils laissaient rien entrevoir qu'une éternité de brouillard dense et crémeux. Anne pâlit. Le vide portait vraiment bien son nom. On aurait dit qu'il était éternel, sans fin.
Peinée, Xia posa sur son épaule une paume chaude et délicate. Lentement, en déglutissant, Annie se détacha de l'affreux spectacle.
- J'ai déjà du mal à me taire, alors ne m'oblige pas à patienter, dit Xia dans un tintement de breloques. C'est en regardant par-dessus bord que tu vas t'affoler et si tu pensais ainsi esquiver ma question, détrompes-toi. Je peux t'aider à intégrer ce monde, Annie. Je le veux.
- Je le veux, renchérit Pudubec.
Son regard n'était plus que braises, à présent. Elle flamboyait.
- Par quoi pourrai-je commencer ? Bredouilla Annie, en s'empêchant, bien évidemment, de scruter le vide.
- Par, déjà, la cause de tes cicatrices sur le dos.
Quand elle le voulait, Xia pouvait vraiment emmitoufler les personnes dans une confiance laineuse et absolue. Avec étonnement, Annie réalisa que son pull était légèrement déchiré, et que deux horribles éraflures s'exhibaient à la vue de tous.
Les souvenirs, la douleur, l'enfance, la naïveté affluèrent comme une allergie. Les archives de son âme enflaient comme une blessure récemment commise, et Annie se sentit étouffée par le poids de son passé. Elle prit une grande inspiration. L'air tiédissait, mais les narines de la jeune fille continuaient d'évacuer de la buée.
- Je... Lorsque je n'étais qu'une gamine, mes parents me battait. Ils ne voulaient pas d'enfant mais jamais ils n'ont osé m'avouer pourquoi Maman n'a pas avorté. Ils m'ont donné un prénom particulièrement banal sur Terre – Annie, qui était également le prénom de ma grand-mère...
Ses yeux se perdirent dans le vague, tandis qu'elle progressait sur le pont scabreux. Ils ne ressemblaient plus qu'à un brouillard dense et mélancolique. Le brouillard des souvenirs. Xia ne l'interrompait pas.
- Sans compter les couches que ma mère achetait d'occasion, ils ne dépensaient jamais rien pour moi. Maman me customisait des bodys affreux à l'aide de vieux torchons et mon lit ne ressemblait qu'à un amas de bois sales. C'est ainsi que dès mes trois ans, je n'étais plus leur fille, j'étais leur domestique. Je passais le balai, lavais la vaisselle et si une tracée de poussière, une tracée de sauce subsistait malgré tout, ils m'enfermaient dans une niche pour chien.
Annie se mordit la lèvre. En quelques phrases, elle avait déjà intimé beaucoup trop de souvenirs à Xia. Xia, jeune fille si rayonnante, si souriante, si extravagante, si pétillante, si impulsive. Les recommandations des pégases n'avaient donc pas été assez claires ? Annie secoua la tête. Elle s'était lancée, maintenant, elle ne pouvait plus reculer.
- A cinq ans, je devenais une vraie petite voleuse, poursuivit donc-elle d'une voix rauque. Barres chocolatées, carnets, crayons, porte-clés, cigarettes même si j'en ne comprenais pas l'utilisation... tout y passait. J'aimais écrire, j'aimais lire. J'allais bien heureusement à l'école et j'adorais cela. L'imagination était mon unique raison de vivre. C'était mon échappatoire. Tant que des spirales de rêves dansaient dans mon esprit, tant que mes doigts s'imprégnaient d'encre, tant que je proclamai des poèmes à voix haute, je pensais être l'enfant la plus heureuse du monde.
Xia frissonna, les larmes plein les yeux.
- A huit ans, je lisais énormément. Passionnée de rêves, je nettoyas la maison avec parcimonie, je hurlai à qui voulait l'entendre que je deviendrais le plus célèbre des écrivains de tout les temps. Pour oublier les coups de mes parents, je m'émerveillai des chatouillis de l'herbe sous mes pieds, des clapotis évanescents de la mer, du sifflement appréciateur du vent, des fleurs qui s'épanouissaient sur les arbres fruitiers, et du soleil, du si beau soleil qui me caressait de ses rayons dorés. Mais un jour, des gens se sont moqués de moi à l'école, à cause de mon espoir trop persistant. J'ai raconté le moindre son qu'émanait leurs fétides bouches à mes parents, en espérant qu'ils porteraient plainte. Mais ils étaient d'accord avec mes camarades, écrivain n'était pas un métier, il fallait que je devienne chirurgienne, pour gagner des montagnes de pognon.
Annie reposa sa voix, résonnante dans ce lieu étrangement vide. La cité qu'elles avaient quitté s'effaçait doucement derrière la densité de la brume. Le pont était passé, mais Annie ne l'avait pas remarqué. Elle continuait de marcher avec une prudence irréelle, les yeux fixés dans le lointain. Les nuages, de plus ne plus rembourrés, se franchissaient calmement. Annie s'égarait dans son misérable passé.
- J'ai toujours eu une opinion solide, une traversée d'émotions fortes, mais un visage indéchiffrable. Cependant, dès leurs arguments soufflés, j'ai piqué la crise de ma vie. J'ai empoigné la plus grosse, la plus coûteuse des bouteilles de whisky de mon père et je l'ai fracassé parterre. L'alcool était le deuxième femme de Papa, peut-être même la première.
Elle s'arrêta soudain, prise de vertiges. Dans ce lieu au calme surnaturel, ses paroles, même murmurées, semblaient prendre d'énormes proportions. Son souffle devenait râle, la sincérité de ses dires enlaçait la brise fraîche puis demeurait ensuite un écho fantomatique.
Le sifflet de sa respiration saccadée, l'écoulement d'une source dans le lointain, les bruissements désapprobateurs des nuages lorsqu'elle marchait un peut trop lourdement, les sinistres claquements de langue que proférait Xia pour l'inciter à poursuivre... Le moindre bruitage était en fait accentué en boucan. Annie déglutit d'une manière qui lui parut indécemment bruyante, puis continua :
- Suite à ma tempête émotionnelle, je fus soulevée et projetée dehors. C'était l'hiver et du haut de mon âge fluet, la première chose que je me suis dite était que j'avais vraiment froid. J'ai donc marché, en quête d'une boutique dans laquelle je pourrais piqué en douce un manteau.Quelques heures plus tard, mes pieds nus engoncés dans la neige, ma poupée écrasée contre mon cœur, mes cheveux emportés par le vent glacial, ma robe déchirée humidifiée et ma peau affreusement bleuie, des policiers m'ont retrouvés. Avant même que je comprenne ce qui ce passait, j'ai atterri dans un orphelinat abominablement grincheux. Je n'avais que huit ans et demi, et ce n'est qu'à mes quatorze ans que j'en ressorti enfin.
La suite fut confessée comme une claquée de vent. Annie vidait le contenu de son cœur, écrin à douleur qui l'accablait depuis des années et des années durant.
Et se fut seulement à la dernière syllabe de son récit qu'une larme se détacha de ses cils. Xia avait passé un bras protecteur autour de ses épaules, et ses hoquets prouvaient à quel point son empathie était réelle.
Leurs pieds avaient martelé tellement de nuages qu'Annie, après d’interminables sanglotements refoulés, questionna, en se mordillant l'extrémité de ses cheveux sombres :
- Où allons-nous ?
Depuis de longues minutes, l'horizon n'érigeait plus que des cumulus moelleux et la sphère rouge et éblouissante qu'était le soleil levant.
Xia brillait avec la même flamboyance lorsqu'elle lui répondît :
- A Scintillam, ma demeure. Elle adore se balader aux alentours de la Cité Blanche, c'est pourquoi je me demande comment ça se fait qu'on ne la pas encore croisé.
Il lui fallut trois mouchoirs pour venir à bout de sa coulée de nez et encore trois ruminations pour digérer les paroles de Xia, et se rendre compte de leur sens.
- Hein ? Tu veux dire que ta maison est... vivante ?
Annie était éberluée. Elle avait parfois pensé que l'orphelinat possédait une âme et on lui avait déjà parlé des bâtisses hantées. Or, jamais elle ne s'était permis d'imaginer des logements dotés de pieds et de jambes, ainsi qu'une langue mal éduquée. Étonnée par son exclamation, Xia tourna vers elle un visage éclatant. Elle rabattit plusieurs bouclettes derrière ses oreilles avant qu'elle s'exclamât d'une voix douce et curieuse à la fois :
- Parce que chez vous, vos maisons ne le sont pas ?
- Non...
Annie s'interrompit pour se rendre compte que depuis l'heure passée, plus aucune intonation méfiante ne se formalisait dans leurs dialogues.
- Non, ils n'ont pas de caractère propre à eux-mêmes.
Avec un ahurissement sincère, Xia haussa les sourcils, écarquilla les yeux et ses breloques carillonèrent d'émerveillement. Sa bouche pulpeuse s'ouvrit sur un cri retentissant, qui combla spectaculairement le silence des lieux.
- Ils ne soufflent, ni ne rient, ni ne parlent, ni ne conseillent, ni ne rouspètent, ni ne bougent ?
- Affirmatif, confirma Annie.
Sa compagne leva théâtralement ses bras au ciel. En ces instants, elle ressemblait à une fillette captivée par un papillon particulièrement coloré.
- C'est... c'est incroyable !
- Ce qui est incroyable, c'est que vos logements peuvent se déplacer. Pourrais-tu m'expliquer comment...
Un râle assourdissant, à glacer le sang, l'interrompit.
Le râle de la mort.
Annie voulut hurler de terreur lorsqu'une gigantesque ombre noire la recouvrit, la dominant de cinquante-sept têtes au moins. Et elle hurla véridiquement en se retournant, mais de soulagement cette fois-ci. Rassurée, elle essuya avec flegme la sueur qui dévalait la pente vertigineuse de son nez.
Devant les deux jeunes filles paraissait une architecture aussi noire que la nuit, aussi lisse que la soie, aussi pointue qu'un capuchon de nain. La tour riait d'une voix grave et humide, rocailleuse et tonitruante.
- Pluviam, mon cher Pluviam, sacré Pluviam...
Annie eut beau chercher sur toutes ses parois, elle ne trouva jamais une déchirure susceptible d'être la bouche de cette curiosité. Ni quelque chose qui ressemblerait à des bras et des pieds, d'ailleurs. De son côté, parfaitement à l'aise avec ce genre de personnage, Xia engageait joyeusement la conversation, tout en refaisant de l'ordre dans sa conséquente quantité de bracelets :
- Je trouve également que Pluviam est un abominable farceur... toujours volontaire pour les cochonneries de ce genre... Je plains sincèrement ses passagers.
La titanesque tour eut un rire spectral. Ce rire, si semblable au vrombissement d'un aspirateur, pulsa jusqu'au petit orteil d'Annie, et résonna crapuleusement dans sa cage thoracique. Un nouveau filet de sueur caressa la nuque de la jeune fille apeurée malgré tout. Elle tourna une mine suppliante à une Xia hilare.
Bien qu'elle ne la connaissait depuis quelques heures seulement, Annie ne put s'empêcher de constater à quel point Xia et elle étaient différentes. Xia, chaude, détendue, ouverte, souriante et gonflée par un espiègle optimiste, inspirait la floraison sous un soleil de plomb. Elle, maigre, maussade, impassible et ayant atteint l'extrême état de réserve, avait la rigidité d'un chevalet.
- C'est sûr, approuva la tour avec un hochement de toiture et un sifflement de chaudière. Ce Pluviam... ce cher Pluviam...
Il s'apprêtait à poursuivre indéfiniment dans cette lancée quand Xia toussa contre son poing.
- Excuse-nous, Noctix, mais nous ne sommes pas trop disposées pour discuter davantage. En revanche, si tu pouvais nous indiquer où se trouve Scintillam, tu serais un ange !
Noctix parut réellement réfléchir à la question. Ses minuscules fenêtres assombries par une indéniable concentration, sa réponse mit finalement cinq minutes à arriver, activée par un nouveau raclement de gorge :
- Scintillam se trouve à quelques mètres de là, il regardait le lever du jour. Ce Scintillam, ce cher Scintillam, sacré Scintillam...
La tour s'inclina avec un horrible craquement – des cris leur vinrent de l'intérieur – et acheva d'une voix obscure :
- … toujours aussi romantique.
Xia fut secouée d'un tel fou rire que toutes ses boucles se hérissèrent en points d'interrogation. Elle échangea encore avec l'architecture, inculquant à Annie le bonheur de la patience. D'ailleurs, la jeune fille se surprit à se languir du départ de Noctix. Impensablement lent à la détente, il n'en était sans moins effrayant. Elle enroula une mèche folle et ombreuse autour de son index comme illustration de son impatience. Si elle eut toujours trouvé que l'orphelinat avait presque l'air vivant, son langage n'avait jamais plus été que soufflements, tapements, claquements, gémissements et grincements. Noctix faisait un redoutable adversaire avec sa voix grésillante et sa respiration semblable à un ronflement.
- Ce fut un plaisir, j'espère te recroiser bientôt, conclut enfin Xia, avec un hochement de tête poli.
- Oh, j'allais me poser. Les promenades en journées ne sont guère ma tasse de café. Tout bouge en même temps, j'ai l'impression de perdre la tête. Et, sans vouloir paraître offensant, les piaillements des enfants évoquent les sifflements d'une théière... Théière... ma chère théière... sacrée théière...
- Vous avez certainement raison, concéda Xia. Au revoir, Noctix.
- Au revoir, fillette, répéta la tour avec un soupçon de mélancolie. Fillette... ma chère fillette... sacrée fillette...
Ce ne fût qu'une heure plus tard qu'elles trouvèrent enfin Scintillam. La maison avait jugé le moment opportun pour une promenade « digestive », mais Annie ne préféra pas savoir ce qu'elle digérât.
La demeure, principalement constituée d'amples parois rougeâtres unies par un dôme d'or, colorait le panorama d'une étrangeté douillette. Malgré ses airs riches, Scintillam était un bâtiment particulièrement détendant. Les rideaux revêtaient des carreaux blancs et oranges, les quatre cheminées crachotaient une fumée étouffante, la végétation fleurissait sur les rebords des fenêtres et les gravures artistiques se bousculaient sur les murs. Les vitres, si larges, si hautes, si nombreuses renfermaient sûrement tout les rayons du soleil.
Après s'être tant baladé, le logement s'était assoupi avec des ronflements pareils au chant d'une tondeuse.
Pétrifiée et stupéfiée par cette voix grasseyante, Annie n'avait pas osé actionner la poignée dorée de la porte d'entrée. Elle avait l'impression que cette ouverture était la bouche de la créature, et elle imaginait déjà la consistance de sa langue.
Mais Xia l'avait gentiment rassuré, puis poussé moins gentiment à l'intérieur de la demeure. Déboussolée par ses excès d'humeur, Annie avait déboulé dans un vaste salon fraîchement décoré en hurlant presque. Les sols arboraient de somptueux tapis colorés. Une immense cheminée dont le feu allumé s'agrafait aux murs velouteux, et la lueur des flammes se miroitait sur une longue tablée de cristal où reposait une charmante théière d'argent.
Le reste, c'était l'incarnation de la douceur. De moelleux édredons nappaient les fauteuils, d'étincelantes argenteries agrémentaient le vaisselier, de merveilleuses cartes s'étalaient sur les tables basses et un tourne-disque vociférait non loin de là. Annie trouvait ce lieu prodigieusement accueillant.
- XIA !
Tourbillonnante, spatule à la main, une petite femme sans âge venait de surgir de nulle part. Elle se jeta sur Xia puis se mit à lui malaxer les joues avec une familiarité maternelle. Tellement de tendresse et de soulagement se lisaient dans ses gestes qu'on aurait dit qu'elle n'avait pas vu la jeune fille depuis des mois.
- Xia..., soupira-elle d'une voix à la mélodie enfin apaisée. Cela fait des heures que tu t'es absentée... J'ai failli hurler comme une cocotte-minute en ne te renvoyant pas rentrer...
Elle examina encore les traits de sa fille avec inquiétude, puis relâcha son visage avec négligence. Après une seconde vivace dans laquelle son corps ne devint qu'un terrible flamboiement, elle saisit Annie par le menton. Stupéfaite, la jeune fille blêmit, puis balbutia bêtement.
- Voici Annie, maman et je lui ai fait la promesse de l'aider, déclara joyeusement Xia. C'est ma nouvelle amie.
- Nouvelle amie, radota Pudubec en s'envolant à travers le salon.
La mère grogna pour montrer qu'elle avait compris, puis ses yeux se noyèrent dans le regard incompris d'Annie.
Bien que sa peau imprimât quelques ridelles, elle était un admirable doublage de son enfant. Ses pommettes si hautes semblaient sur le point de s'envoler, et ses lèvres dissimulaient des dents opalines et joliment alignées. La structure délicate de sa tête, la longue tresse dorée qui dévalait fluidement les échelons de sa colonne vertébrale... Annie l'aurait presque trouvé belle si son œil n'avait pas été si perçant. Au cœur de son regard mordoré brillait une singulière énergie. Une énergie inépuisable.
D'ailleurs, la prise de la mère se détendit. Lentement, très lentement, un sourire de velours lui grimpa aux oreilles. Après l'avoir brutalement attrapé par la mâchoire, elle caressait sa joue d'une manière douce et inouïe.
Avec son expression attendrie, son tablier bleu pâle et son parfum printanier, elle aurait été une excellente représentation de la maman en général si une corne de pipe ne dépassait pas de sa poche.
Elle se la tapota en s'éloignant puis contempla les deux jeunes filles songeusement. L'une, souriante, de petite taille avec un vêtement d'une extravagance ahurissante produisait un contraste saisissant avec l'autre, maigrichonne, pâlichonne, de noir entièrement vêtue. La mère cambra les sourcils. Que faisait donc cette inconnue dans sa maison ? Elle semblait si différente, si perdue, si inquiétante, si... triste ? Et quelle tristesse...
- Annie, c'est bien cela ? Interrogea-elle d'une voix soudainement adoucie.
L'intéressée opina de la tête. Pourtant, elle saisit la main que la mère lui tendît avec beaucoup plus d'hésitation.
- Je suis Solveig, la maîtresse de ses lieux. Si tu n'avais pas été l'amie de Xia, j'aurais déjà réglé ton compte à coups de poêle à frire.
Elle avait déroulé son discours sans cesser de lui secouer la main et Annie commençait sérieusement à avoir mal aux doigts. Grimaçante, elle nota cependant que plus les minutes s'égrenaient, plus les épaules de Solveig s'apaisaient. La relâchant enfin, la mère se tira une chaise de cristal en ignorant les protestations du plancher.
- Cela dit, tu m'as l'air d'être une honnête môme. Tu as intérêt à me raconter toute ta vie et rien de mieux qu'une bonne histoire autour d'un bon repas. Au menu, frites et cuisse de dragon.
Si Annie se figea au mot « dragon », son estomac, lui, gargouilla avec entrain. Elle n'avait pas mangé depuis belle lurette, et elle imaginait déjà la réaction de Mr. Limitrof et de sa moustache si jamais ils avaient su pour ce jeûne.
- Je vois qu'en dépit de ta maigreur, l'appétit te préserve. Assieds-toi donc, Annie, et mets-toi à l'aise !
Elle se releva, coinça sa pipe dans son sourire et entreprit de vider le vaisselier.
- Tu as de la chance, cela fait des heures que le plat mijote ! Et toi, Xia, veux-tu que j'aille te chercher quelque chose de particulier ?
- Si j'avais droit à un repose-pied, tu serais un ange ! Déclara très sérieusement sa fille, en virevoltant dans sa robe multicolore.
Souriant jusqu'à en avoir des crampes, Solveig déposa couverts et assiettes sur la table avant de disparaître dans un couloir. Immobile sur la chaise cristalline, Annie patientait, pas vraiment à son aise. La mère de Xia courait dans tout les sens, déposant chandelier, verres à pied, beurrier, carafes d'eau, salière et le fameux repose-pied sur la table.
Annie aurait bien voulu l'aider mais dès qu'elle esquissait un geste, son estomac protestait férocement. Elle resta donc vissée sur sa chaise, tout en admirant la diabolique énergie de Solveig. Tandis qu'elle déambulait de pièces en pièces, avec une nouvelle cargaison, sa pipe chassait négligemment de la fumée blanchâtre. Xia non plus ne semblait pas décidée à lui porter secours. Elle chantonnait un air léger, tout en martelant un rythme de son pied aux orteils bagués.
Enfin, après quelques flamboyantes minutes, un véritable festin nimbait la transparence de la table. Énormes morceaux de viande juteuse et rougeâtre, frites pelées et étrangement bleues et corbeille remplie de chocolats en forme de licorne. Bien qu'Annie ne connaissait rien de tout cela, elle se servit une conséquente portion de nourriture. Le fait de manger du dragon était quelque chose de particulièrement effrayant, mais la faim eut vite le dessus.
Tandis qu'elle enfournait des bouchées aussi voraces que déraisonnables dans sa minuscule bouche, Xia avait pris la bonne initiative de raconter sa vie à sa place. Annie lui en était reconnaissante. Elle s'était souvent entendue dire et répéter qu'une jeune fille bien éduquée ne mangeait jamais « goulûment », mais elle estimait qu'il y avait certaines circonstances qui excusaient l'impolitesse. Comme lorsqu'on n'a rien savouré depuis trois jours. Pourtant, une part d'elle avait vraiment honte d'avaler si rapidement, si sauvagement, si bruyamment. Elle se répugnait.
- Ainsi donc es-tu humaine, Annie ? Demanda doucement Solveig, qui boudant son assiette, mâchonnait la corne de sa pipe.
Cramoisie, la jeune fille essuya la sauce qui gouttait de son menton.
- Oui, murmura-elle.
Pendant sa dégustation dégoulinante, Xia avait fourmillé les détails, les extrapolations théâtrales et ses gestes extasiés faisait de la vie d'Annie une aventure épique et fabuleuse. Ladite héroïne, qui avait discrètement revêtu un statut de dangereuse guerrière en quête de paix, ne put jamais la ramener sur la bonne voie. Elle racla consciencieusement son écuelle en se demandant si Solveig avait cru le charabia de sa fille.
- Oui, répéta-elle d'une voix plus audible.
Solveig hocha la tête, tout en recrachant sensuellement une bouffée immaculée.
- Et dans ton humanité, jures-tu que jamais tu t'en prendras à Xia ?
- Parce que vous comptiez me garder chez vous ?
La jeune fille se mordit la lèvre, le regard plein d'espoir.
L'espoir avait un arôme royalement sucré, collant, comme des caramels mous. Quiconque l'eût goûté, quiconque en redemandait. C'était un parfum envoûtant, délicieux.
- Te garder à Scintillam ? Sourcilla Solveig. Seulement si tu acceptes le règlement donné. Annie, jures-tu que jamais tu t'en prendras à Xia ?
- Je le jure.
Derrière la fumée que produisait sa pipe, le sourire rassuré de Solveig se discernait avec aisance. D'un geste plein de grâce, elle lissa sa tresse impeccable.
- Parfait. Et depuis ton arrivée à la Wolken, j'imagine que personne ne t'as jamais expliqué quelques principes de notre monde ?
- Non.
- Je vois...
Le silence qui s'ensuivit s'avéra olympien. Même si midi sonnait, les bûches craquaient dans l'âtre enflammé. D'indiscrets rayons de soleil plongeaient dans le décolleté de la Xia inhabituellement silencieuse. Sur un perchoir doré, Pudubec somnolait. Une étrange odeur, mélange de miel, de friture et de végétation printanière dérobait le salon. Il faisait agréablement chaud, mais Annie transpirait à grosses gouttes. Elle restait ici ? Vraiment ?
En face d'elle, Solveig fumait doucereusement.
- Bien, déclara-elle soudain, et tout le monde sursauta. Si tu ne connais rien à l'Histoire Nuageuse, c'est donc à nous de te raconter un fabuleux récit...
Je parie qu'il y a un peu de toi dans son histoire !
Le suspens arrive lentement mais sûrement.
Votre style d'écriture est très vivant, parfois, un peu alourdi par certaines descriptions trop longues.
Merci infiniment de ta lecture, en tout cas <3
D'ailleurs, n'hésites pas à tutoyer les autres plumes. PA est une communauté plus que bienveillante, alors prends tes aises ;)
A très bientôt, j'espère !
Pluma.
D'abord, j'ai remarqué pleins d'erreurs de grammaire et d'orthographe mais ça ne m'a pas empêché d'apprécier ce chapitre, loin de là, pour l'instant il est mon préféré pour l'instant.
- mes parents me battait = mes parents me battaient
- Anne pâlit. = tu as oublié le i :)
- je proclamai = je proclamais (tu as oublié beaucoup de s dans le récit d'Annie, je te laisse le faire ;-) )
- Les nuages, de plus ne plus rembourrés, se franchissaient calmement. = de plus en plus rembourrés (cette phrase n'est pas très claire... les filles marchent sur des nuages ? Ou le pont ?)
- je pourrais piqué en douce un manteau. = je pourrais piquer en douce
- Avant même que je comprenne ce qui ce passait = ce qui se passait
- Xia frissonna, les yeux plein de larmes = les yeux pleins de larmes
- jamais elle ne s'était permis = jamais elle ne s'était permise (on fait l'accord)
Voilà voilà, il y a encore d'autres erreurs mais voici ce que j'ai détecté pour l'instant
L'univers s'approfondit, on en apprend plus sur ce nouveau monde. Des maisons qui marchent et qui parlent ? Des cuisses de dragons ? J'ai surkiffé.
Mais Il aurait été plus intéressant de développer le point de vue d'Annie qui se pose des questions. Après, j'aime bien Solveig qui me rappelle un mélange entre madame Weasley et Berenilde ^^. Mais pourquoi insiste-t-elle pour qu'Annie lui jure de ne pas s'en prendre à sa fille ? Ce passage était très soudain.
Le fait que tu ai beaucoup décrit la chevelure de Xai m'a plu aussi. J'aime les petits détails que tu insères par-ci par-là qui donne du charme à l'histoire. Cela n'alourdit pas le texte mais l'enrichit et le rend plus vivant.
J'ai encore plus envie de suivre la suite du coup parce que je tiens absolument à connaître l'Histoire Nuageuse.
A plus !
PS : L'alcool était le deuxième femme de Papa, peut-être même la première. => j'ai trouvé cette phrase particulièrement triste et puissante à la fois TT je te dis pas l'émotion que j'ai ressenti pour Annie
Je prends note de tout ça, en souhaitant du fond du cœur que la suite te plaira ! ^^
Concernant la rédaction elle même :
Tu as tendance à utiliser beaucoup d'adverbe, ce qui alourdit le texte. Tu devrais essayer d'en éliminer quelques uns pour gagner en fluidité.
fébrile : fiévreux (donc tremblant). Le terme que tu désires n'est il pas plutôt frèle.
son secret avait jailli (concordance des temps).
je nettoyais la maison avec parcimonie (i manquant dans le verbe)
je me suis dit (et pas dite), il n'y a pas de COD.
je pourrais piquer en douce
que j'en suis ressorti enfin
tout en remettant de l'ordre dans sa conséquente quantité de bracelets
ce qu'elle digérait
J'espère te revoir très bientôt !!!!
Pluma.
Ça fait un drôle de décalage de vocabulaire de mettre « conte-moi » et juste après « qu’est-ce que tu fous »
Je trouve ça aussi un peu bizarre que Xia propose directement à Annie de l’aider à intégrer ce monde alors qu’elle ne sait pas qui elle est ni ce qu’elle fait là, non ? À moins qu’elle envie de devenir son amie ?
« En quête d’une boutique dans laquelle je pourrais -piquer- en douce » (et pas -piqué- en douce, accord)
« Pourquoi on ne l’ait pas encore croisée »
Je trouve ça un peu bizarre que la mère de Xia exige une promesse que jamais Annie ne s’en prendra à sa fille. Après peut être cela est-il une coutume de ce pays, mais ce n’est pas dit... Elle a peur d'Annie parce que c'est une étrangère ?
Les descriptions sont bien menées, mais en tant que lectrice je me pose des tas de questions. Alors Solveig va « tout nous raconter », mais je me demande s’il ne faudrait pas qu’Annie soit plus étonnée que ça. Par exemple, elle mange du dragon pour la première fois de sa vie et on n’a même pas un aperçu de ce qu’elle pense en le goûtant : c’est chaud ? Fort ? Épicé ? Bizarre ? Il y a plein de choses dans ton univers, mais je pense que si j'étais à la place d'Annie, je me poserais des milliers de questions, à moins que je sois dix fois trop fatiguée et affamée pour pouvoir réfléchir à tout ça, mais dans ce cas ça serait dit dans le texte... "Annie était tellement épuisée et tellement de choses étranges lui étaient arrivées en si peu de temps qu'elle ne s'étonnait plus de rien" ou un truc du genre...
Sans ça, j'ai encore aimé ce chapitre, et j'ai hate de savoir vers où on va aller, quel est cet endroit, que va y faire Annie...
En tout cas, je ne sais pas combine de mercis je te dois pour ta lecture si pointilleuse.... <3
Au plaisir de te retrouver !
Pluma.
Si je comprends bien, Xia à un "don" qui lui permet de mettre les autres en confiance. Ou tout du moins Annie. C'est intéressant :)
J'avoue que je ne suis pas fan des héroïnes boniches de leurs parents et des histoires de prophétie, mais Annie a de nombreuses qualités qui me plaisent en tant que personnage (dont j'ai déjà mentionnées)
A bientôt !