La dispute

Dimanche matin, Sam est réveillé par des cris qui émanent de la cuisine. Il prend le temps d’immerger avant de comprendre ce qu'il passe. Il se décrotte le coin des yeux, se mouche et s'étire. Il ouvre les fenêtres et pousse les volets en bois qui grincent permettant ainsi à la douceur automnale de se faire la malle à l'intérieur de la maison. Les voix sont animées surtout celles de ses parents. Rémi s'emporte, sa mère temporise et Théo ne dit rien. Une nouvelle dispute, encore, pense Sam. Il en a marre d’assister à ces scènes de ménages parents- enfant, cependant, il ne peut pas s’empêcher d'écouter.

— Tu dois nous parler Théo. Tu ne peux pas continuer comme ça !! Rémi essaye de mesurer ses propos. Ta mère et moi on s'inquiète pour toi, tu as de très mauvaises notes, tu te renfermes dans ta chambre. Qu'est-ce qui ne va pas bordel !!!! Rémi ne sait pas se contenir, il est trop sanguin pour ça.

— Y a un problème au lycée, y a des jeunes qui t'embêtent ? Tu peux nous le dire Théo, nous sommes tes parents !!! Anna l'implore en larme.

Sam reste à l'étage, il préfère se mettre à l'écart, cette engueulade qui ne le concerne pas. Caché en haut de l'escalier, il écoute cet échange unilatéral. Théo ne répond rien, toujours aussi mutique. Mais comment arrive t-il à rester planter là devant les darons sans broncher ? Sam ne le comprend pas.

Rémi commence à perdre patience, voir son fils aussi inactif le rend dingue.

— Tu fais chier Théo, il faut que tu arrêtes de faire ça, tu ne pourras pas fuir toute ta vie !!! De toute façon, tu vas être puni de jeux vidéo, il faut que tu bosses mon vieux.

Théo ne répond pas mais fusille son père du regard, les sourcils renfrognés, la mâchoire serrée, il ne lâchera pas un mot. Il se lève subitement tout en maintenant le regard de son père, la chaise tombe en arrière. Théo se décharge d'un cri surhumain avant de monter à l'étage. Il bouscule son frère dans la précipitation et claque la porte de sa chambre. Sam se retrouve collé au mur, une tornade vient de passer. Abasourdi, il se laisse glisser le long du mur et reste assis là pour faire taire ses jambes qui flageolent.

— Rémi tu ne peux pas le punir, s'offusque Anna, il ne va pas bien ces derniers temps.

— Il faut le faire réagir Anna, tu peux lui dire ce que tu veux il s'en fout de tout !!!

Rémi rouge écarlate boit un verre d'eau d'une traite, il respire fort comme s'il venait de courir un marathon. D'ailleurs, il a besoin de prendre l'air.

— Je vais bosser rapide au terrain mais à mon retour je récupère la console de Théo dans sa chambre.

Rémi prend son manteau jeté un peu plus tôt sur le canapé et quitte la maison en trombe. Sam ne se sent pas bien, il entend sa mère pleurer toute seule dans la cuisine. Il tremble, tant d'émotions l'ébranlent, il n'est pas habitué. Il n'aime pas le conflit, et quand une situation est trop intense, il fuit. On lui dit tout le temps qu'il est hypersensible. Il n'a jamais compris ce que ça voulait dire, ce mot est utilisé à outrance par tout le monde comme celui d'hyperactif. Cela n'a plus de sens. Il n'est pas à l'aise pour aller voir sa mère et pas la force de la réconforter, il va donc lui aussi retourner dans sa chambre. Son ventre gargouille, il crie famine. Sa faim attendra. Il a besoin de laisser reposer son trop plein d'émotions.

Au bout d'une heure, Sam se résout à sortir de sa chambre pour aller prendre son petit déjeuner. Il est déjà 11H et il n'a rien mangé. Les gargouillis dans son ventre ressemblent à des petits êtres qui tambourinent contre son abdomen pour s'en échapper. Il passe devant la porte de son frère, aucun son n'en sort. Il est sûrement allongé dans son lit avec son casque sur la tête. Il ira le voir plus tard. En descendant l'escalier en colimaçon qui rejoint le séjour, il aperçoit sa mère étalée sur le canapé, une couverture en laine la recouvrant de la tête au pied. Elle a les yeux dans le vide, elle doit se remémorer la dispute et s'en faire une montagne.

— Ca va maman ? J'ai entendu la dispute toute à l'heure. Dit Sam en prenant des précautions pour ne pas déclencher une crise de larme. Il connaît la sensibilité de sa mère, il a du hérité cela d'elle. Il a toujours été très prévenant vis a vis d'elle. Peut-être parce qu’il est l’aîné de 15 minutes par rapport à Théo et se sent obligé d'être celui qui protège sa mère.

— Je ne parlerais pas vraiment de dispute vu que ton frère n'a même pas ouvert une seule fois la bouche, répond Anna avec lassitude. Je suis fatiguée Sam, je ne sais pas comment l'aider.

— Peut-être qu'il ne veut pas être aidé ?

— Je ne crois pas, non. Je sais que ton frère ne va pas bien. Anna répond avec certitude ce qui désarçonne complètement Sam. Il se sent bête de minimiser la situation. Du coup, il culpabilise de ne pas assez s'inquiéter pour Théo. Sa mère a peut-être raison. Sam a soudain besoin d'aller voir son frère pour d'une certaine façon s'assurer qu'il va bien et d'une autre, avoir l'impression de faire quelque chose pour lui. Une réaction un peu minable pour avoir bonne conscience, pense t-il. Il refoule vite cette pensée dans sa tête et monte l'escalier quatre à quatre pour aller frapper à la porte de Théo. «Pourvu qu'il veuille me parler » se supplie t-il à lui même. Toc toc…

— Théo c'est moi je peux entrer ?

— Qu'est-ce que tu veux ?

— Je ne sais pas, juste parler ou jouer à la console avec toi.

— Ok si tu veux, prend une manette là. Il désigne le lit où une manette dépasse d'un tas de fringues qui attend d'être rangé. Profites car papa va bientôt me l'enlever.

— Ah bon pourquoi ? Sam feint de savoir la raison, il préfère laisser son frère donner sa version des faits.

— Les parents sont sur mon dos, fais pas genre, je suis sur que tu t'en es rendu compte. Papa veut me punir d'avoirs de sales notes. Mais je m'en fous.

— Pourquoi tu t'en fous ? C'est vrai c'est dommage tu as toujours été bon en cours.

— Putain Sam !! on peut pas parler d'autres choses, t'es pas mon père !! Théo jette sa manette par terre après avoir perdu la partie.

Sam sait que cela ne sert à rien d'insister. Il change de sujet.

— J'ai découvert des lettres dans le grenier, elles appartenaient à notre tante et à notre oncle, faudra que tu les lises ,elles sont drôles. Des lettres dégoulinantes d'amour. Et sinon j'ai trouvé aussi une esquisse d'arbre généalogique où un prénom d'enfant apparaît sous Rose et Armand. Maman n'est pas au courant qu'ils aient eu un enfant.

— Ah ouais, et alors ça t'avance dans ton enquête Mister Sherlock? La fossette de Théo apparaît grâce au léger rictus qui surprend Sam. Ce dernier sent que son frère est disposé à parler. Ça le rassure et le réjouit.

— Je me dis que peut être il ne s'est pas remis du décès de l'enfant si on pense qu'il est mort et qu'il a fuit ne pouvant plus vivre dans cette maison ?

— Ouais ou peut-être aussi que c'est lui qu'il l'a tué, il l' a enterré dans le jardin et s'est enfui pour pas se faire prendre par la police ?

— T'es toujours trop glauque toi !!! Sam joue le mec choqué.

— Oui enfin c'est plus cool pour mener une enquête qu'il s'agisse d'un meurtre, tu crois pas ? Arrêtes de faire la fille effarouchée. Lâche toi un peu !!!

Amusé par sa remarque, Sam surenchère.

— C'était un accident, peut-être que Rose était présente voir même autant responsable que lui. Elle lui a peut-être dit de partir pour le protéger. Et n'a jamais rien dit à personne pour pas qu'il soit inquiété. Ou c'est lui qui a préféré fuir.

Théo regarde son frère amusé.

— Bah voilà c'est mieux comme début d'histoire non ? Du coup, faudrait aller creuser dans le jardin pour retrouver Louis, tu ne crois pas. Le rire de Théo est tellement réconfortant que Sam, au lieu de se montrer offusqué, rit à gorge déployé, à l'unisson avec son jumeau. Puis quand l'euphorie du moment retombe, Théo évoque le psyché sur pied qui lui a fait une drôle d'impression.

— Tu t'es déjà regardé dans le psyché qui se trouve au grenier ?

Gêné, Sam reste évasif sur sa réponse. Il laisse à Théo la liberté de développer le sujet.

— Oui oui pourquoi ?

— Je ne sais pas, je me suis senti bizarre après m'être regardé dedans, mais je ne peux pas l'expliquer… tu ne me croirais pas.

Sam n'y tenant plus, attend la suite. Lui aussi a ressenti un truc spécial. Il veut savoir si son frère a vécu la même chose que lui.

— Ce n'était pas moi dans le miroir et puis… puis mon reflet a bougé alors que moi non.

Sam le regarde les yeux écarquillés, il n'en croit pas ses oreilles.

— Je n'ai rien vu bougé mais moi aussi j'ai eu l'impression de faire face à un inconnu, que ce n'était pas moi. C'est trop bizarre !! Tu crois qu'il est maudit ce psyché ?

— Faut en avoir le cœur net, viens on monte grenier maintenant !!!

Sam est tellement heureux de partager ses découvertes avec son frère qui semble aussi excité que lui, qu'il le suit sans poser d'autres questions. Alors qu'ils sont sur le point de sortir de la chambre, Rémi barre la route à Théo avec son bras.

— Hop hop hop jeune homme je viens récupérer ta playstation !

— Ok fais toi plaise, j'ai un truc à faire avec Sam là maintenant !

Rémi les sourcils relevés et les bras ballants observe ses jumeaux se précipiter dans l'escalier qui monte au grenier. Il n'imaginait pas si facile la mise en place de la punition. Il est soulagé que cela se passe ainsi, cela évite finalement de nouveaux éclats de voix.

Dans le grenier, les garçons tournent autour du psyché comme deux abeilles qui butinent une fleur, ils se regardent dedans mais rien ne se passe. Ils sont déçus. Leur enthousiasme s'est évaporé. Chacun espérait qu'une chose exceptionnelle se réaliserait.