Le repas dominical se fait sous silence. Les deux jumeaux mangent face à leur mère. Personne ne parle. Chacun est plongé dans son assiette comme s'ils cherchaient une issue à travers la porcelaine. Personne ne souhaite provoquer une nouvelle dispute vu l'ambiance de ce matin. Rémi a mangé sur le pouce puis a vite déserté le champ de mine afin de poursuivre la récolte des châtaignes. Il préfère s'occuper la tête à ramasser les châtaignes sous le soleil automnal du mois d'octobre. L'été indien s'est installée, Rémi se ressource dehors quand l'intérieur de la maison est sous pression.
Alors qu'Anna range les assiettes qu'elle reçoit tour à tour de la part des ses fils, un bruit de moteur résonne à l'extérieur, le bruit du gravier de plus en plus intense annonce l'arrivée d'une voiture. Anna regarde les jumeaux avec un regard de surprise, ils n'attendent personne. Des coups de klaxon entonnent, dans une horrible cacophonie, la mélodie de la cucaracha. Le visage d'Anna rayonne et se précipite vers la porte d'entrée, une torchon à la main. Elle est sûre que c'est Natacha sa meilleure amie qui vient leur rendre visite. En apercevant la veille coccinelle rouge de son amie se garer dans la cour, elle n'en croit pas ses yeux. Des larmes coulent sur ses joues, elle ne se rend même pas compte qu'elle est en train de s’essuyer avec un torchon trempé et douteux. Anna sort de la maison.
— Ce n'est pas possible, Natacha qu'est-ce que tu fais là ? Anna lui adresse un sourire rayonnant.
— Surprise !!!!
Natacha se dirige vers son amie les bras grands ouverts prêts à l'accueillir. Anna ne se fait pas prier, elle lui saute dans les bras, ce qui déséquilibre Natacha. Les deux femmes dans un éclat de rire se retrouvent les quatre fers en l'air sur les graviers.
— Je ne m'attendais pas à un tel accueil !! je suis trop contente de te voir.
Elles s'enlacent tendrement cette- fois ci. Natacha aperçoit les deux garçons plantés sur le perron de la porte.
— Alors vous attendez quoi pour venir faire un bisou à tatie chacha !!!
Les jumeaux adorent Natacha, ils la considèrent comme leur tante. Elle a toujours fait parti de leur vie. Ils s'embrassent tous les trois en même temps.
—Vous êtes de plus en plus beaux mes chéris !!!! Et vous avez entendu ma coccinelle a chanté la cucaracha, c'est pas trop de la balle ?!!! Fière de sa réplique, elle leur sourit tout en ébouriffant leur cheveux. Vous êtes venus vous enterrer au fin fond de l’Ardèche ma parole, vous cherchez à vous cacher ou quoi ? J'ai eu un mal de chien à vous trouver, le GPS ne fonctionne pas toujours dans votre coin !!!
C'est sur Natacha est une vraie citadine. D’ailleurs, elle a eu beaucoup de mal à comprendre le choix d'Anna.
— Explique moi pourquoi tu ne m'as pas prévenu ? J'aurais préparé ton arrivée. Tu viens direct de Marseille ? Demande Anna dans l'urgence par peur de la voir disparaître aussi vite qu'elle est venue. Elle veut profiter de chaque seconde à ses côtés .
— Je voulais vous faire une surprise. J'étais à Lyon pour du boulot, je ne savais pas quand j'allais repartir. Je ne voulais pas te décevoir en disant que je venais et que finalement non. Je repars demain matin de bonne heure.
— C'est court, dit Anna avec une touche de déception dans la voix, mais je suis trop contente que tu sois là, viens dans la maison, je vais te faire visiter. On a plein de choses à se dire !!!
La lumière automnale inonde le salon d'une belle clarté qui réchauffe le cœur des deux femmes en plus de la tasse de café bien chaude serrée dans leur main. La sonnerie d'un téléphone les sort de leur conversation. Anna se lève pour répondre, elle fait un geste à Natacha pour lui signifier qu'elle doit s'absenter. Théo arrive dans le salon à point nommé. Il s'avance vers Natacha les mains dans les poches, penaud comme prêt à lui avouer une bêtise. Natacha interloqué de le voir ainsi se présenter, lui demande :
— Alors mon titi, comment vas-tu ? T'en fais une drôle de tête ?
— Non ça va, je suis juste un peu fatigué.
Natacha pour le détendre un peu lui parle de musique, tous les deux partagent la même passion.
— Alors dis moi, tu écoutes toujours la musique que je t'ai donné avec mon walkman ?
Théo sourit, il ne veut pas la vexer et lui dire que cela fait longtemps qu'il ne l'utilise plus. Depuis qu'il a un portable, il fait tout avec comme tous les jeunes de sa génération. Cependant, il n'oubliera jamais la joie qu'il avait ressenti le jour où elle lui offrit. Il avait enfin pu écouter la musique qu'il aimait, partout sans gêner personne.
— J'ai découvert David Bowie et son album Ziggy Stardust, c'est génial !!!
— Tu n'écoutes plus les Clash et les Sex Pistols !!! Mais dis moi ça va ?
Elle rit, elle le taquine.
— Hey oui j'évolue !!! Il lui fait un clin d’œil ; j'aime beaucoup le glamrock, c'est ma passion du moment.
— Quand j'étais jeune je dansais avec ta mère sur Last Dance, c'était la folle époque !!! Natacha se met à chanter la chanson en yaourt ce qui intimide Théo.
— J'aime pas trop cette chanson ; par contre j'ai regardé une vidéo du live de Ziggy Stardust, un vrai spectacle. J'ai surtout adoré sa façon de s’habiller et les costumes.
Anna qui vient de raccrocher son téléphone observe de la cuisine cette complicité qui lui met du baume au cœur. Natacha ne fait pas semblant, elle aime ses fils comme les siens, elle qui avait toujours clamer haut et fort qu'elle ne s'embarrasserait jamais d'un enfant. Elle aime trop son indépendance pour cela. Anna n'a jamais souffert d'être fille unique. Cependant, elle avait vite compris ce que cela signifiait d'avoir une sœur le jour de leur rencontre dans un amphi bondé à la fac. Une évidence pour Anna. Un coup de foudre amical.
— Comment trouves- tu ton lycée, poursuit Natacha dans son interrogatoire.
Théo n'ose pas répondre à Natacha comme à sa mère, il reste poli avec elle et lui répond même si le sujet de la conversation lui donne de l'urticaire :
— Bof, j'aime pas trop ni le lycée ni les gens qui y sont.
— Qu'est-ce qui ne va pas Théo ?
Le ton sérieux pris par Natacha le déstabilise, personne ne lui a encore posé cette question de cette manière là. Il sent les larmes lui monter aux yeux. Il baisse la tête :
— Tout va bien, pourquoi tu me poses cette question ?
— Ta mère s'inquiète pour toi tu sais ? Et moi aussi. Je vois bien que tu n'es plus le même depuis plusieurs mois. Ta joie de vie me manque. Tu ne veux pas me dire ce qui t'es arrivé Théo ?
Le jeune homme soutient le regard de Natacha qui est plein d'attente et de compassion, il veut lui parler mais n'en a pas le courage.
— Ce n'est pas moi qui ne suis plus le même, ce sont les autres qui ne comprennent rien, je les trouve tous nuls, ils m'ennuient.
— Je trouve que tu juges les autres bien vite, tu as raison je ne te comprends plus !
Natacha est connue pour ne pas mâcher ses mots. Théo n'aime pas sa façon de lui parler, il se sent attaqué et triste de décevoir Natacha. La colère bouillonne au fond de lui, il se retient, il ne veut pas retirer le bouchon de sa cocotte interne. Il se contient, ses veines s'agitent derrière les tempes, il avale sa salive.
— Et tes anciens amis que tu ne quittais jamais eux aussi sont nuls ? Ou tu gardes encore des contacts avec eux ? Comment s’appelaient-ils déjà ? Emy et … Natacha cherche au plus profond de ses méninges pour se rappeler le prénom de son ami.
— Sacha mais je ne leur parle plus, ils m'ont déçus, dit il avec fermeté.
— C'est à cause d'eux que tu ne vas pas bien ? Tu peux me le dire Théo…
Le jeune homme n'en peut plus, il ne veut pas en parler, les yeux humides, il se lève et hurle sur Natacha :
— Laisse moi, je ne veux pas en parler !!!!
Théo sort de la maison en claquant la porte derrière lui. Natacha n'a rien venu venir, jamais elle n'a vu Théo exprimer autant de colère et de hargne à son encontre. Elle se laisse avalé par le canapé. Anna qui vient d'assister à la scène vient s'asseoir à côté d'elle pour la rassurer.
— Ce n'est pas ta faute Natacha, Théo est comme ça avec tout le monde !!!
— Il s'est passé quelque chose avec ses anciens amis Anna, tu lui en a déjà parlé ?
— Je me rends compte qu'avec le déménagement nos esprits étaient bien trop occupés. Je n'ai rien vu Natacha, je n'ai pas été présente pour lui, je m'en veux tellement.
— Ne culpabilises pas. Tu n'es pas seule, vous en avez parlé avec Rémi ?
Anna regarde son amie avec dépit, Natacha comprend.
— Je me sens si seule, si tu savais, et toi tu me manques tellement!!! Les deux amies s'enlacent, Natacha lui promet de l'appeler plus souvent.
Sam fait son apparition, il est surpris de voir tant de gravité sur les visages des deux femmes.
— J'ai entendu Théo crier, tout va bien ?
— Je crois que ton frère n'a pas trop aimé mon petit interrogatoire, ironise Natacha pour alléger la tension.
— Oui, il fait tout le temps ça en ce moment. C'est chiant mais comme il ne veut pas en parler, je lui pose plus de question. Sinon pour changer de sujet, Natacha tu veux que je te montre le grenier ? Je suis sure que tu vas adorer !!
— Ok, ta mère a oublié de me le montrer, dit- elle en lui faisant un clin d’œil. Elle suit Sam, elle va pouvoir se dégourdir un peu les jambes et faire partir ces satanés fourmis qui ont pris possession de ses membres inférieurs.
Le grenier est sombre, le soleil a disparu en cette fin d’après-midi. La pluie menace de toute son ombre. Natacha est comme un coq en patte au milieu de toutes ces vieilleries. Elle a l'impression de déambuler dans un de ces vides greniers qu'elle affectionne tout particulièrement. Elle a d'ailleurs décoré son appartement au cœur du quartier du Panier avec dans antiquités dénichées sur les brocantes à Marseille et dans les villages provençaux des alentours. Elle se vante souvent d'être une connaisseuse en la matière. Alors qu'en Sam lui montre le psyché, Natacha est sûre d'elle, il s'agit d'un psyché de l'époque de l'Empire du XIXième siècle.
— Tu as vu le miroir est entouré de bronze doré, les particules d'étains renvoient une lumière chaude. Il est vraiment beau. Dommage qu'il soit boiteux. Tu devrais le vendre sur le bon coin pour te faire un peu d'argent, plaisante t-elle.
— Pourquoi tu voudrais que je m'en débarrasse, je l'aime bien et en plus il n'est pas à moi. Faudrait que je demande à maman.
Natacha a oublié que Sam manque un peu d'humour contrairement à Théo. Il comprend pas toujours le second degré et peut rire d'une blague bien longtemps après les autres. Il se fait souvent chambrer pour ça. Avec Théo, elle a déjà eu de vrais fous rires, et vu l'état d’esprit actuel du jeune homme, elle n'est pas sur d'en avoir de nouveaux avant longtemps. Cela la rend un peu mélancolique. En se regardant dans le psyché, sa tristesse ne fait qu'augmenter, elle est submergée par le désespoir et perd l’équilibre. Elle recule et bute dans la commode derrière elle : « aie et merde !! ». Elle rassure Théo qu'elle va bien. Elle veut juste quitter ce grenier dans lequel elle ne sent pas bien tout d'un coup.
Le lendemain matin, à l'aurore, Natacha assisse au volant de sa voiture dit au revoir en klaxonnant. Les jumeaux et leur mère qui sont en train de geler sur le seuil de la porte lui répondent en agitant la main. Ils regrettent tous son départ. Elle leur a apporté une bouffée d'air frais. Elle repart avec le sentiment de les abandonner à leur triste sort, les laissant encore plus seuls qu'ils ne l'étaient. Le ventre noué, Natacha appréhende les routes sinueuses d’Ardèche mais pas seulement...
J'ai bien aimé le personnage de Natasha ! On sent qu'elle est importante pour la famille. Par contre j'aurai aimé qu'elle aide Théo ou du moins qu'elle lui soutire quelques éléments. Je me demande ce qui rend aussi mal l'adolescent ! Après tout, la période de l'adolescence est compliquée, nombreux sont ceux qui se renferment et se sentent incompris, mais il y a peut-être une raison plus profonde de son mal être. M'enfin je vais pas jouer la psy plus longtemps x)
Quelques coquilles :
- L'été indien s'est installée : installé
- des ses fils : de ses fils
- Natacha n'a rien venu venir : n'a rien vu venir
- tu lui en a : tu lui en as + à la fin du paragraphe tu répètes "vient" deux fois dans la même phrase
Aussi au début tu dis "une nouvelle dispute vu l'ambiance de ce matin." mais je trouve cette phrase un peu bizarre, dire "une nouvelle dispute comme celle de ce matin" ne serait pas mieux ? C'est purement subjectif hein, mais je trouve que ce serait peut-être plus clair.
A bientôt !
bien sur que le mal etre de Théo est beaucoup plus profond, on le comprend un peu plus tard. Et tu as raison l'adolescence est une période souvent tourmentée :-)
merci pour les corrections!!!
A bientot