Sam profite du week-end pour continuer à explorer le grenier. Son déjeuner tout juste pris, il est déjà remonté au sommet de la maison, dans son petit paradis. Il espère y trouver de quoi alimenter son feuilleton pour le journal. Il pense à Rose, sa grande tante. Il a envie de croire qu'elle a été heureuse ici avec son mari. Le choix de vivre dans une grande maison isolée n'était sûrement pas irréfléchi. Il est convaincu que sa tante prévoyait de fonder une famille dans cette jolie bâtisse et de vieillir auprès de son mari, tous les deux entourés d'enfants puis de leurs petits-enfants.
Dans son feuilleton, il souhaite décrire sa grande tante de la même manière que sa mère lui en avait fait le portrait à travers ses yeux d'enfants, bien avant que la malédiction ne s'abatte sur elle. Il ne veut pas qu'on se souvienne d'elle comme une femme malheureuse et amère qui a mis une croix sur sa famille, se amis, bref sur sa vie. Sa grande tante ne se résume pas seulement à ce qu'elle est devenue : acariâtre et solitaire. Elle avait des rêves et des espoirs. Il est certain de déceler des preuves d'une vie heureuse dans ces montagnes de cartons qu'il s’apprête à gravir.
Il prend le temps de vider un carton à peine délesté de sa poussière de tout un tas d'objets insignifiants à ses yeux. Ces bibelots avaient peut-être eu de la valeur pour sa grande tante et son grand oncle Armand . Des souvenirs ou de simples objets de décoration, il n'en sait rien, peu importe. Une fois le carton vide, il passe au suivant. Sam est excité quand il s’aperçoit qu'il est rempli de lettres, de documents administratifs et de cahiers. Il se jette sur le tas de lettres relié par un ruban rouge. Quand il ouvre la première lettre destinée à son grand oncle, une subtile odeur de parfum longtemps oublié refait surface. Elle vient lui titiller les narines. Généralement, il n'aime pas l'odeur des parfums mais celle-ci, avec sa touche de ranci, lui plaît beaucoup car elle raconte une histoire. A la première lecture, Sam comprend qu'il s'agit d'une histoire d'amour, celle de ses aïeuls. Sam découvre l'écriture arrondie de Rose. Les phrases sont enflammées et dégoulinent d'amour sincère. Il sourit bien qu'un peu gêné de rentrer dans cette intimité qui n'est pas la sienne. Sa tante était très fleur bleue et somme toute hyper amoureuse de son mari, cela ne fait aucun doute. Elle lui déclamait sa flamme avec un style naïf et des phrases comme « mon michou, toi qui a le goût de chouchou bien chaud et sucré, tu me manques ». Par moment, la lettre est ponctuée de paragraphes un brin érotiques. Les joues de Sam s'empourprent en lisant ces passages sensuels ; il n'est pas habitué à ce genre de lecture. Il préfère les romans policiers. L'esprit de Sam s'égare, l'image de Léana apparaît dans ses pensées. Cette fille ne le laisse pas de marbre, elle l'a séduite grâce à ses yeux pétillants et à sa spontanéité. Elle bouscule son cœur.
Il chasse l'image de cette jolie fille qui le distrait et reprend le paquet de lettres. Il comprend, grâce à cette correspondance, que Rose et son mari se sont rencontrés lord d'un bal de l'été 62. Rose habitait alors chez sa mère Sylvaine dans un petit village du Gard. Armand visitait sa grand-mère qui avait une maison dans le village voisin alors que lui résidait en Lozère. Sam suppose que leur correspondance a pris fin au moment de leur aménagement dans cette maison, entre Gard et Lozère, un lieu stratégique pour ne pas s'éloigner trop loin de leur famille respective. Sam espère un jour entretenir une correspondance amoureuse comme celle de ses aïeuls. Il aime le papier, écrire à la main et pas seulement en pianotant sur un clavier. L’écriture manuscrite est tellement plus personnelle. Bien qu'il se familiarise avec la machine à écrire descendue du grenier, dés qu'il peut, il prend un stylo pour noircir des feuilles de papier. Il passe toujours pour un ringard auprès de ses amis qui le charrient d'être resté bloqué dans le passé.
Il poursuit sa fouille dans le même carton. Des cahiers de comptes, des documents administratifs sans aucun intérêt remplissent la moitié du carton. Une grande feuille de papier type A4 pliée en quatre attire son attention. Au vue de son aspect élimé, il la déplie par le bout des doigts pour ne pas la déchirer. Il découvre un arbre généalogique à peine commencé et dessiné à la main. Au bout des ramifications de l'arbre se trouvent soit une photo soit un nom. Au centre deux photos sont collées côte à côte. Il a l'impression que ce sont les portraits d'Armand et de Rose. Deux photos en noir et blanc, un peu jaunies, sont placées au dessus d'Armand, il suppose que ce sont les parents de son oncle. Deux prénoms se situent au dessus de Rose, ceux de ses parents à elle. Il pense que c'est Armand qui a commencé l'arbre avant de disparaître. Il reconnaît son écriture pour l'avoir lu un peu plus tôt. Il observe attentivement l'arbre et ses ramifications. Il se rend compte qu'un prénom à moitié effacé apparaît sous les portraits de son oncle et sa tante. En approchant la grande feuille prés de ses yeux, ce qui le fait louché, il croit déchiffré le prénom Louis. Surpris, Sam s'y reprend à deux fois mais le prénom Louis apparaît bien clairement. Il ne se rappelle pas avoir entendu sa mère parler d'un enfant. Il veut en avoir le cœur net.
— Maman tu peux venir voir au grenier s'toplait !!!
— C'est toi qui m'appelle Sam ?
— Oui tu peux venir, je veux te montrer un truc !!
— Ok j'arrive dans deux minutes.
Les pas d'Anna se font entendre dans l'escalier.
— Dis Théo tu vas te terrer combien de temps dans ce grenier ? Entre ton frère enfermé dans sa chambre à jouer aux jeux vidéos et toi qui hante le grenier, je me pose des questions. J'ai deux geeks à la maison.
Sam ne prête aucune attention à la remarque de sa mère, il est tellement obnubilé par sa trouvaille qui la lui colle sous le nez. Le premier réflexe d'Anna est de le repousser, surprise de se faire ainsi accueillir.
— Attends un peu que j'arrive Sam !! Qu'est-ce que c'est que ça ? Anna pointe son doigt vers la grand feuille A4 que Sam étend avec soin sur une table.
— Regarde maman, je viens de trouver l'arbre généalogique commencé par ton oncle. Il apparaît le nom d'un enfant c'est bizarre non ?
Anna prend le temps d'examiner le document. Elle rigole quand elle voit le portrait de sa tante et de son oncle encore jeunes. C'est la première fois qu'elle les voit à cet âge là.
— Tu savais qu'ils avaient eu un enfant ?
— Non, ils n'en ont jamais eu, c'est quoi cette histoire ?
Sam montre le prénom Louis inscrit sous les portraits de son oncle et de sa tante. Anna ne réalise pas, ce n'est pas possible. Sa mère lui en aurait parler à moins que cela fut tabou.
— C'est peut-être un secret, cet enfant n'a peut être pas survécu, suppose Anna.
Les yeux de Sam s'emplissent d'étoiles.
— C'est peut-être la raison de la disparition de l'oncle qui ne s'en est jamais remis, il a préféré fuir que de faire face à cette réalité !!!!
Anna observe son fils s'évader dans son imagination, il n'est plus avec elle. Il s'invente mille et une histoires. Depuis qu'il est tout petit, Sam est heureux quand il se noie dans un imaginaire débordant.
— Je dois retourner travailler mon chéri . Même si je suis contente que tu t’intéresses à ma famille, la tienne en l’occurrence pense à redescendre de temps en temps. Je te signale qu'il va bientôt faire nuit et que tu n'as même pas mis le nez dehors.
Sam dit ok à sa mère et retourne encore quelques temps à ses cartons. Rapidement, il se fait rattraper par l'obscurité qui se pose sournoisement sur lui et l'invite à sortir de son antre. Ce lieu chargé de poussière et d'humidité, et qui lui révèle peu à peu ses secrets, l’envoûte. Il a du mal à le quitter. Alors qu'il se résout à abandonner les cartons éventrés sur place, il est interpellé par son reflet, son ombre dans un miroir. Il a déjà aperçu ce psyché caché dans un coin sans lui prêté attention. Cette fois ci, il s'approche doucement de l'objet comme on le fait pour ne pas effrayer un animal paniqué. Il fait si ombre qu'il a du mal à se distinguer dans le miroir. Le psyché est penché, l'un de ses deux pieds en bois doré et en forme de griffes de lion est cassé. Deux bougeoirs mobiles sont présents sur le haut des colonnes de part et d'autre du miroir. Il s'imagine l'époque où des hommes et des femmes s'admiraient à la lueur des deux bougies. Il ne sait pas si l'ambiance dégagée par les flammes était plutôt chaleureuse ou angoissante. En se pavanant dans le miroir comme s'il était un prince, il remarque une boule de poussière dans ses cheveux. En s'approchant du psyché pour l'aider à retirer la poussière une sensation étrange lui parcourt le corps quand les deux paires d'yeux se rencontrent. Des larmes inondent ses yeux ce qui l'oblige à les fermer. Il quitte précipitamment le grenier pour échapper à la honte qu'il vient de ressentir. En cause : le regard inquisiteur de son double qui le soupçonne d'être coupable d'un faute. Son propre reflet le bouleverse.
J'ai eu de la peine pour Sam à la fin même si je me demande quelle faute il a bien pu commettre. D'ailleurs, tu as écrit "un faute".